Avant-propos

En 1910, une commission royale en Ontario a mené une enquête sur les systèmes d’indemnisation des travailleurs. Dirigé par Sir William Meredith, cet examen a été terminé au bout de trois ans et a mené à la publication du rapport Meredith en 1913 ainsi qu’à l’adoption, en 1914, de lois modernes sur l’indemnisation des travailleurs dans la province. Dans ses recommandations, M. Meredith indique que le système devrait être fondé sur les principes d’absence de faute, de résolution non adversative des différends, de sécurité des prestations, de paiement de la part de l’employeur et de responsabilité collective, et être administré par un organisme public indépendant ayant une compétence exclusive (1). Ces principes sont devenus le fondement du « Compromis historique », dans le cadre duquel des travailleurs blessés ont renoncé à leur droit de poursuivre leur employeur en contrepartie de prestations garanties prévues par un système non adversatif, pourvu que dure l’incapacité. Le compromis visait à fournir une indemnisation équitable aux travailleurs qui ont eu un accident ou une maladie en raison de leur travail, tout en protégeant les employeurs contre une poursuite en justice et une faillite potentielle. Bien que ce compromis ait été avantageux pour chacun, il a toujours donné les meilleurs résultats pour les blessures et les maladies lorsque les effets sont immédiats et que les éléments de preuve de l’exposition aux dangers et l’attribution sont clairs.

Le cancer et les autres maladies à longue latence sont difficilement pris en charge par les systèmes d’indemnisation des travailleurs. Puisque nos connaissances des effets chroniques sur la santé des expositions professionnelles ont augmenté, l’indemnisation pour le cancer professionnel est devenue un enjeu important pour les travailleurs dans des industries dangereuses, ainsi que les syndicats qui les représentent, et leurs employeurs. Cependant, il est devenu un enjeu public au cours des dernières décennies grâce aux rapports des médias de masse et à une sensibilisation accrue au lien entre l’exposition aux cancérogènes professionnels et le cancer. La façon dont les demandes d’indemnisation pour un cancer sont traitées est une source fréquente de frustration pour toutes les parties concernées, particulièrement pour les travailleurs atteints du cancer et leur famille. Puisque notre province compte un important secteur de la fabrication et d’autres industries, comme l’exploitation minière, où les expositions dangereuses étaient courantes par le passé, il est probable que les problèmes découlant d’expositions antérieures et leurs conséquences se poursuivent. C’est pourquoi le ministère du Travail, de la Formation et du Développement des compétences de l’Ontario a commandé le présent rapport.

Remerciements

Le présent rapport a été préparé avec l’aide de plusieurs collègues et de membres du personnel du Centre de recherche sur le cancer professionnel (CRCP). Anya Keefe, ancienne directrice du secrétariat à la recherche de WorkSafeBC, a dirigé l’analyse environnementale des pratiques pertinentes dans d’autres territoires de compétence, aidé à rédiger le contenu du rapport concernant la politique et son intersection avec la science et fourni une assistance rédactionnelle tout au long du processus. La Dre Sarah Mc Cormick-Rhodes a aidé à l’examen de la documentation pour appuyer l’explication des principes scientifiques pertinents formulés dans le rapport. Stephanie Ziembicki, Kate Jardine et Elizabeth Rydz ont également contribué aux examens de la documentation, à la conception graphique et à l’édition. Je souhaite remercier le personnel et les dirigeants de la CSPAAT et du MTFDC, qui ont beaucoup aidé à expliquer le processus décisionnel, fourni les statistiques demandées, présenté le contexte historique et formulé des suggestions utiles. Je remercie tout particulièrement Katherine Lippel, professeure à l’Université d’Ottawa et chaire de recherche du Canada en droit de la santé et de la sécurité du travail, de m’avoir expliqué la différence entre les points de vue juridique et scientifique à l’égard de l’indemnisation, ainsi que Lesley Rushton, professeure émérite en épidémiologie professionnelle au Imperial College London et présidente de l’Industrial Injuries Advisory Council du Royaume-Uni, d’avoir prodigué des conseils extrêmement précieux sur les comparaisons internationales. J’aimerais également remercier mes collègues de partout au Canada et dans le monde d’avoir fait part de leurs opinions sur l’indemnisation et de nous avoir dirigés vers des ressources utiles. Enfin, j’aimerais remercier les travailleurs, les avocats des travailleurs blessés, les employeurs et les représentants syndicaux qui ont partagé leur point de vue et leurs expériences à l’égard du système d’indemnisation des travailleurs en Ontario.

Liste d’abréviations utilisées dans le présent rapport

ABRWH
Advisory Board on Radiation and Worker Health
ABTSH
Advisory Board for Toxic Substances and Health
ACATC
Association des commissions des accidents du travail du Canada
CIRC
Centre international de Recherche sur le Cancer
CNESST
Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail
CRCP
Centre de recherche sur le cancer professionnel
CSPAAT
Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail
CWED
Canadian Workplace Exposure Database
EEOICPA
Energy Employees Occupational Illness Compensation Program Act
FDN
Fichier dosimétrique national
GE
General Electric
IIAC
Industrial Injuries Advisory Council
INRS
Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles
IRSST
Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail
ISCRR
Institute for Safety, Compensation and Recovery Research
MPO
Manuel de politique opérationnelle
MSSS
Ministère de la Santé et des Services sociaux
MTFDC
Ministre du Travail, de la Formation et du Développement des compétences
NIOSH
National Institute for Occupational Safety and Health
OHCOW
Centres de santé des travailleurs(ses) de l’Ontario
OIT
Organisation internationale du Travail
OSHA
Occupational Safety and Health Administration
OWCP
Office of Workers’ Compensation Programs
PWHS
Partnership for Work, Health and Safety
SHARP
Safety & Health Assessment & Research for Prevention
STAC
Scientific and Technical Advisory Committee
WTC
World Trade Center

Résumé

Portée de l’examen

En janvier 2019, le ministère du Travail, de la Formation et du Développement des compétences (MTFDC) de l’Ontario a demandé un examen indépendant afin de prodiguer des conseils au ministère quant aux questions suivantes :

  • Comment peut-on utiliser le mieux possible les preuves scientifiques pour déterminer le lien de causalité avec le travail dans une demande d’indemnisation pour un cancer professionnel, surtout dans des cas d’expositions multiples?
  • Existe-t-il des pratiques exemplaires dans d’autres territoires de compétence que l’Ontario pourrait adopter?
  • De quels principes scientifiques faudrait-il tenir compte dans l’élaboration de politiques concernant les maladies professionnelles?

Méthodes

Une analyse environnementale a été réalisée pour déterminer les instruments législatifs et politiques pertinents. L’analyse a été suivie d’un examen plus détaillé des cadres législatifs et des instruments de politique clés afin de cerner les principes régissant l’indemnisation du cancer professionnel et la façon dont l’admissibilité est déterminée en Ontario. Les renseignements ont été recueillis auprès de sources en ligne et ont été complétés par une série de réunions en personne avec les représentants de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT) et du MTFDC ainsi que des réunions en personne ou des appels téléphoniques avec des intervenants en Ontario et des chercheurs en santé professionnelle de partout au Canada, aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande, en Australie et en Europe. De plus, la CSPAAT a fourni des données sur les demandes d’indemnisation pour un cancer présentées et acceptées. Enfin, des recherches dans la documentation scientifique publiée ont été menées pour déterminer les études clés portant sur des principes scientifiques pertinents.

Cancer professionnel en Ontario

La partie 2 du rapport énonce le contexte du cancer professionnel et de l’indemnisation en Ontario. D’après nos connaissances actuelles des causes du cancer, nous estimons qu’environ la moitié des cancers sont évitables. Bien que nous ignorions encore bien des choses sur les causes du cancer, un grand nombre de cancérogènes professionnels ont été identifiés. Le projet Fardeau du cancer lié à des expositions professionnelles du CRCP a estimé qu’environ 3 000 des cancers diagnostiqués par année en Ontario sont causés par l’exposition professionnelle à 16 des cancérogènes les plus connus.

Le programme des maladies professionnelles et des prestations de survivant de la CSPAAT est responsable de prendre les décisions concernant les demandes d’indemnisation pour un cancer professionnel en Ontario et de gérer ces demandes. Pour établir l’admissibilité à l’indemnisation spécialement en cas de cancers professionnels et plus généralement en cas de maladies professionnelles, la question à résoudre concernant les décisions clés est le lien de causalité (p. ex., quelle est la cause du cancer).

Trois principes généraux régissent la façon dont le lien de causalité est évalué et l’admissibilité est déterminée :

  • L’emploi ne doit pas nécessairement constituer la cause prédominante ou primaire.
  • La certitude absolue n’est pas requise.
  • Le travailleur a le bénéfice du doute.

L’admissibilité est établie par renvoi aux présomptions fournies aux annexes 3 et 4 du Règlement de l’Ontario 175/98, par application des politiques opérationnelles énoncées aux chapitres 16 et 23 du Manuel des politiques opérationnelles et au cas par cas. Selon la CSPAAT, la collecte de renseignements constitue l’étape clé de toutes les demandes d’indemnisation pour des maladies professionnelles ainsi que la plus pertinente pour le présent examen. Dans le cadre de cette étape, les décideurs recueillent, analysent et évaluent les antécédents professionnels, les antécédents détaillés de l’exposition, les antécédents médicaux, les données scientifiques actuelles sur les expositions et des maladies professionnelles, et les renseignements personnels pertinents. Le cas échéant, les décideurs consulteront des médecins spécialistes pour régler les questions concernant la causalité et les liens de causalité avec le travail.

Les demandes indemnisées à la suite d’un décès attribuable à un cancer professionnel en Ontario ont considérablement augmenté depuis 1997, dépassant celles pour les blessures traumatiques en 2005 et augmentant à plus du double en 2010. Toutefois, les demandes d’indemnisation pour décès ne représentent qu’une partie des demandes attribuables aux cancers. Selon les données fournies par la CSPAAT sur toutes les demandes d’indemnisation pour un cancer, 4 044 demandes ont été présentées entre 2009 et 2018 et 1 678 (ou 41,5 %) ont été acceptées (exclusion faite des demandes d’indemnisation liées aux présomptions applicables aux pompiers). En moyenne, la CSPAAT a accepté 170 demandes d’indemnisation pour un cancer par année (dont 130 pour des cancers attribuables à l’exposition à l’amiante). Il ne s’agit que d’une petite partie des 3 000 cancers professionnels estimés qui seraient en Ontario (dont environ 800 liés à l’amiante).

Les taux de demandes d’indemnisation pour les cancers mortels sont les plus faciles à comparer parmi les territoires de compétence canadiens et ceux de l’Ontario sont les plus élevés parmi les provinces les plus importantes. Le taux de toutes les demandes d’indemnisation pour un cancer acceptées en Ontario en 2018 était de 2,9 par 100 000 travailleurs assurés, ce qui est nettement inférieur à un grand nombre de pays de l’Union européenne. Dans un rapport de 2016, par exemple, le taux de demandes d’indemnisation pour des cancers professionnels acceptées pour 100 000 travailleurs assurés allait de 4,7 (Belgique) à 15,1 (Allemagne). Les taux en Italie, au Danemark et en France se situaient entre ces deux valeurs (6,3, 6,9 et 11,4 respectivement).

Principes scientifiques pertinents pour le présent examen

Déterminer le lien de causalité dans le contexte de l’indemnisation des travailleurs est un processus complexe principalement régi par des principes juridiques, mais, espérons-le, également orienté par des principes scientifiques. Un certain nombre d’organismes nationaux et internationaux évaluent, en se fondant sur des principes scientifiques et sur l’utilisation de données scientifiques examinées par les pairs et mises à la disposition du public, si les produits chimiques, les formes de rayonnement ou d’autres facteurs causent le cancer. L’un de ces organismes le plus largement reconnu à l’échelle internationale, ainsi qu’au Canada, est le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), qui a relevé des centaines d’associations connues, probables et possibles entre les expositions en milieu de travail et le cancer. Bien que nos connaissances des causes du cancer ont considérablement augmenté et continuent d’augmenter, la sophistication avec laquelle nous approchons l’attribution des indemnisations des travailleurs n’a pas toujours suivi le rythme.

La partie 3 du rapport porte sur les théories et les principes suivants pertinents à la détermination des liens de causalité entre le cancer et le travail :

  • Des théories en plusieurs étapes de la carcinogenèse soulignent l’importance de tenir compte des expositions multiples ainsi que des intervalles de temps entre de multiples expositions dans le processus de carcinogenèse.
  • Tous les cancers ont probablement plusieurs causes. Si deux causes sont indépendantes l’une de l’autre, nous présumons généralement que le risque cumulatif des deux causes est la somme des risques individuels de chaque cause. Cependant, dans certains cas, il peut exister une synergie entre les causes, ce qui peut accroître les effets combinés.
  • Les périodes d’induction et de latence sont parfois traitées comme une propriété d’une maladie. Cependant, ils constituent en fait une propriété de la relation entre chaque exposition et la maladie. Chaque exposition pourrait avoir différentes périodes d’effets.
  • Les processus biologiques, comme le développement d’une maladie, ont généralement ce qui s’appelle une distribution normale (courbe en cloche), tandis qu’à des fins pratiques, nous utilisons généralement un intervalle d’années discret ou d’autres unités pour évaluer la durée d’exposition ou sa latence. Les intervalles discrets pour l’exposition et la latence fondés sur des chiffres ronds sont pratiques, mais il faut reconnaître que ces intervalles ne s’appliquent pas à toutes les personnes.

Les raisons pour lesquelles l’indemnisation des cancers professionnels est complexe

Pour prendre une décision concernant une demande, les décideurs cherchent à déterminer si la maladie est attribuable à la nature de l’emploi du travailleur (p. ex., à savoir si elle est liée au travail). La partie 4 énonce brièvement certains enjeux importants auxquels est confronté le système d’indemnisation des travailleurs de l’Ontario et d’ailleurs. Ces enjeux sont les suivants :

  • le manque de reconnaissance de la part des fournisseurs de soins primaires est le principal facteur qui sous-tend l’écart entre le véritable nombre estimé de cancers professionnels et le nombre de cancers indemnisés en Ontario
  • l’épidémiologie (la science qui étudie l’occurrence d’une maladie au sein de la population) évalue l’exposition et le risque à l’échelle du groupe, et non à l’échelle individuelle. L’épidémiologie s’avère utile pour élaborer des critères de présomption, éclairer les directives générales ou établir la causalité générale, mais il faut user de prudence dans l’application de ces résultats au moment d’établir la causalité des cas individuels
  • l’exposition à de multiples cancérogènes reconnus ou aux cancérogènes présumés pour les humains est courante. Cependant, trop peu d’études épidémiologiques ont examiné l’incidence de multiples expositions professionnelles, car elles se concentrent presque toujours à déterminer si un agent en particulier est la cause de la maladie
  • la documentation sur les antécédents d’exposition à des cancérogènes professionnels ou l’estimation de cette exposition est un élément essentiel pour émettre des jugements fondés sur la science à propos du lien de causalité entre le cancer professionnel et le travail. Toutefois, il s’avère complexe de documenter l’exposition rétrospectivement, surtout en l’absence de mesures quantitatives et d’autres données
  • la définition du terme « grappe » a été utilisée au cours des dernières années pour décrire un nombre anormal de cancers au sein d’un groupe de personnes relativement petit pouvant être attribuables à des dangers nouveaux et émergents ainsi que pour décrire un risque excessif perçu au sein d’une population plus importante qui a été exposée à des dangers reconnus. Malheureusement, il n’existe aucun organisme en Ontario ayant la responsabilité d’enquêter des grappes professionnelles et ni la CSPAAT ni le MTFDC ne possèdent la capacité de recherche nécessaire

Pratiques pertinentes dans d’autres territoires de compétence

La partie 5 du rapport met en évidence les pratiques pertinentes utilisées dans d’autres territoires de compétence. Un grand nombre de systèmes d’indemnisation des travailleurs ont des listes de maladies professionnelles présumées, dont certaines sont appuyées sur la Liste des maladies professionnelles publiée par l’Organisation internationale du Travail (OIT). Cependant, il y a un large écart entre le nombre de cancers reconnus et les expositions/conditions de travail qui leur sont associées. Par exemple, au Royaume-Uni, des cancers associés à 40 expositions et conditions de travail sont actuellement inclus dans la liste de maladies prescrites. Dans les territoires de compétence ailleurs dans le monde, des comités consultatifs scientifiques ont été mis sur pied pour formuler des conseils indépendants pour la mise à jour continue des listes de présomption nationales, ainsi que pour éclairer l’élaboration et l’optimisation des politiques et des processus sur la relation de causalité et le lien avec le travail.

Un certain nombre d’exemples de capacité scientifique interne et collaborative existe pour rassembler les décideurs, les chercheurs et les ressources de données dans le but d’améliorer l’indemnisation et de prévenir les maladies professionnelles. Le rapport propose deux exemples canadiens et deux internationaux : le Partnership for Work, Health and Safety Colombie-Britannique), l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (Québec), le programme Safety & Health Assessment & Research for Prevention (État de Washington, É.-U.) et l’Institute for Safety, Compensation and Recovery Research (Australie). Cette partie du rapport met également l’accent sur plusieurs données d’exposition à grande échelle (p. ex., le projet Canadian Workplace Exposure Database, élaboré par CAREX Canada), sur les approches d’évaluation de l’exposition utilisées par le National Institute for Occupational Health and Safety des États-Unis ainsi que sur la matrice des antécédents d’exposition créée sous contrat pour UNIFOR afin d’apporter une aide quant aux demandes d’indemnisation de ses membres.

Observations et recommandations

La partie 6 du rapport énonce une série d’observations et de recommandations afin d’appuyer les efforts de la CSPAAT visant l’amélioration de la prise de décisions fondées sur des données probantes.

Recommandations visant la mise à jour des listes de présomptions et des politiques liées au cancer

  1. la CSPAAT devrait mettre à jour et élargir considérablement la liste de présomptions concernant le cancer dans les annexes 3 et 4 pour tenir compte de l’état actuel des connaissances scientifiques. Les présomptions devraient être fondées sur l’exposition à des agents ou à des procédés cancérogènes, et non sur des employeurs en particulier, afin qu’elles soient plus largement applicables. Pour mettre à jour et élargir ses listes de présomptions, la CSPAAT pourrait envisager d’utiliser des critères, tels que ceux utilisés dans le cadre de l’examen scientifique indépendant de la liste des maladies présumées de l’Australie (2). Comme pour cet examen, je recommande d’utiliser les trois critères suivants :
    • des données prouvant un fort lien de causalité entre la maladie et l’exposition professionnelle, défini sur la base de l’inclusion au sein du groupe 1 du CIRC (p. ex., cancérogènes pour l’homme), un examen systématique des données probantes ou des études multiples de bonne qualité indiquant une relation de causalité entre la maladie et l’exposition professionnelle
    • des critères diagnostiques clairs pour une maladie incluse dans une liste annexée pour éviter de mettre en doute si le demandeur est véritablement atteint de la maladie faisant l’objet de la demande d’indemnisation
    • la maladie comprend une proportion considérable des cas de cette maladie au sein de la population exposée
  2. la CSPAAT devrait mettre à jour et élargir toutes les politiques liées aux décisions concernant les demandes d’indemnisation pour un cancer pour tenir compte de l’état actuel des connaissances scientifiques. Nous avons ciblé plusieurs aspects pour lesquels de nouvelles politiques sont nécessaires.
    • une politique qui explique la façon de traiter l’exposition à de multiples cancérogènes. Étant donné l’état actuel des connaissances sur l’incidence des expositions multiples, les effets de l’exposition aux cancérogènes touchant le même organe cible devraient être considérés comme additifs, sauf preuve du contraire
    • une politique qui stipule clairement la façon dont l’exposition non professionnelle, en particulier le tabagisme, est évaluée par rapport à l’exposition professionnelle. Comme pour de multiples expositions professionnelles, la relation devrait être considérée comme additive, sauf en cas de preuve d’un effet synergique
  3. la CSPAAT devrait créer un comité d’examen scientifique indépendant pour examiner et recommander des modifications aux annexes et aux politiques, examiner et approuver les rapports scientifiques ainsi qu’aider à la sélection d’experts-conseils et de chercheurs externes. Le comité devrait être composé de scientifiques indépendants qui possèdent une vaste expertise, notamment en épidémiologie, en toxicologie, en médecine professionnelle et en hygiène au travail. Le processus pour le choix des membres devrait permettre aux intervenants de formuler des commentaires, y compris la possibilité pour les représentants et les employeurs de désigner des scientifiques. Les scientifiques ayant une expertise en maladie et en cancer professionnels sont une ressource rare au Canada et les enjeux scientifiques sont semblables dans l’ensemble du Canada. L’Ontario pourrait envisager de partager le soutien d’un tel comité avec d’autres territoires de compétence. Non seulement ce partage permettrait d’accroître l’efficience et de tirer profit d’autres ressources, mais il augmenterait aussi l’autonomie du comité

Recommandations visant à améliorer la capacité scientifique

  1. la CSPAAT doit accroître sa capacité scientifique interne au moins à ses niveaux précédents. Cette augmentation devrait comprendre les scientifiques ayant des études aux cycles supérieurs en épidémiologie, en toxicologie et en science de l’exposition (comme l’hygiène au travail)
  2. des partenariats plus solides avec les centres de recherche externes, y compris ceux déjà financés par des fonds de la CSPAAT, sont nécessaires pour la recherche sur les questions et lacunes émergentes d’importance pour l’Ontario. Ces partenariats devraient encourager l’élaboration de systèmes de surveillance pour soutenir la prise de décisions fondées sur des éléments probants et aider à cibler les problèmes émergents, y compris les excès de cancer non reconnus auparavant
  3. la capacité provinciale doit être développée pour mener des enquêtes sur les grappes de cancer et d’autres problèmes émergents. Cette capacité devrait idéalement être développée au sein du MTFDC, de façon indépendante de la CSPAAT, et pourrait se concentrer sur la prévention des maladies futures en plus de l’indemnisation. Le ministère aura ainsi besoin d’accroître sa capacité de recherche. Le MTFDC pourrait chercher à établir des partenariats avec d’autres directions du gouvernement. Par exemple, Santé publique Ontario mène actuellement une enquête sur des grappes présumées d’origine environnementale et a l’expertise nécessaire pour fournir de l’aide. Auparavant, les médecins du ministère du Travail effectuaient ces enquêtes. Le MTFDC doit reconstituer sa capacité scientifique

Recommandations afin d’améliorer l’accès aux données sur l’exposition aux fins d’indemnisation (et de prévention)

  1. le processus décisionnel devrait être amélioré en donnant un meilleur accès aux données électroniques sur l’exposition. Bien que la surveillance médicale soit utile, elle pourrait utiliser une meilleure interface. De plus, elle ne s’applique pas à toutes les circonstances ou périodes nécessaires. La CSPAAT devrait tenter de collaborer avec la Canadian Workplace Exposure Database (CWED), qui contient les données de surveillance médicale ainsi que des données sur l’exposition recueillies par d’autres provinces afin de couvrir un éventail plus large d’exposition
  2. le MTFDC devrait atténuer les obstacles à l’accès aux données et créer de meilleurs mécanismes pour fournir à la CSPAAT des données liées à l’exposition. L’échange des données entre le MTFDC et la CSPAAT pourrait également contribuer à la prévention. Le ministère devrait en tenir compte dans le contexte de ses obligations prévues par la loi et du cadre réglementaire actuel sur la protection de la vie privée de l’Ontario. Faciliter cette tâche peut exiger que le ministère informatise les registres et, potentiellement, apporte des modifications réglementaires
  3. le MTFDC devrait recueillir des copies des résultats de surveillance de l’exposition auprès des employeurs au moment des inspections et informatiser ces résultats pour faciliter l’accès aux données de surveillance de l’exposition. Comme il est mentionné ci-dessus, le ministère devrait tenir compte de cette recommandation dans le contexte du cadre réglementaire actuel sur la protection de la vie privée de l’Ontario, et des modifications à la loi peuvent être requises
  4. la CSPAAT devrait explorer les possibilités de collaboration avec des organismes externes de recherche pour numériser les antécédents d’exposition ou les relevés d’emploi des secteurs à risque élevé, comme il a été effectué avec le fichier principal des mines. De tels efforts pourraient également être déployés en utilisant des ressources internes

Recommandations visant à améliorer la reconnaissance par la formation des médecins

  1. la formation des médecins est un domaine complexe qui doit être étudié davantage. Malgré qu’un examen détaillé de cette question se situe au-delà de la portée du présent rapport, il est important d’améliorer la formation des médecins en Ontario afin d’accroître la reconnaissance du cancer professionnel