On estime en général que les mille-pattes sont utiles dans les cultures légumières, car ils s'alimentent de tissus végétaux en décomposition et facilitent ainsi l'incorporation de la matière organique dans le sol. Dans certaines conditions, toutefois, leurs populations peuvent se multiplier au point d'endommager les racines et les plantules de diverses cultures. Ces dernières années, en Ontario, les dommages causés par les mille-pattes aux légumes racines se sont intensifiés, particulièrement chez les carottes et les patates douces. On a également constaté récemment que les mille-pattes s'attaquaient aux plantules de ginseng et que les dommages étaient plus fréquents dans le maïs de grande culture cultivé par semis direct ou selon des méthodes de travail réduit du sol.

Identification des mille-pattes

Les mille-pattes (figure 1) sont souvent confondus avec d'autres arthropodes qu'on retrouve fréquemment dans le sol, comme les vers fil-de-fer (figure 2) et les centipèdes (figure 3). Le corps des mille-pattes est allongé et cylindrique, d'une longueur variant de 1 à 10 cm à maturité. De couleur blanche à gris-noir, ils ont tendance à s'enrouler pour former une spirale serrée lorsqu'on les dérange. Leur corps se compose de nombreux segments uniformes, dont le nombre varie selon les espèces et augmente avec l'âge.

Type de mille-pattes répandu chez les cultures racines, en Ontario

Figure 1. Type de mille-pattes répandu chez les cultures racines, en Ontario.

Vers fil-de-fer

Figure 2. Vers fil-de-fer. (Photo reproduite avec la permission de Frank Peairs, université de l'État du Colorado, Bugwood.org)

Centipède. Remarquer ses longues pattes effilées qui partent du thorax

Figure 3. Centipède. Remarquer ses longues pattes effilées qui partent du thorax. (Photo reproduite avec la permission de Jim Kalisch, université de Nebraska-Lincoln).

Mille-pattes. Le mille-pattes possède deux paires de pattes par segment corporel

Figure 4. Mille-pattes. Le mille-pattes possède deux paires de pattes par segment corporel. (Photo reproduite avec la permission de David Cappaert, université de l'État du Michigan, Bugwood.org)

Les mille-pattes se caractérisent surtout par leur grand nombre de pattes. Ils en possèdent deux par segment (figure 4).

Les centipèdes sont habituellement de couleur jaune à brun rougeâtre et leur corps est plus aplati que celui des mille-pattes. Contrairement à ces derniers, ils ne possèdent qu'une paire de pattes par segment, lesquelles sont habituellement plus longues que celles des mille-pattes et portées latéralement.

Les vers fil-de-fer n'ont que trois paires de pattes, toutes rattachées au thorax (figure 5).

Comparaison entre un mille-pattes (haut) et un ver fil-de-fer (bas). Le ver fil-de-fer n'a que trois paires de pattes au total, toutes rattachées au thorax, alors que le mille-pattes a de nombreuses paires de pattes le long du corps.

Figure 5. Comparaison entre un mille-pattes (haut) et un ver fil-de-fer (bas). Le ver fil-de-fer n'a que trois paires de pattes au total, toutes rattachées au thorax, alors que le mille-pattes a de nombreuses paires de pattes le long du corps. (Photo reproduite avec la permission de Liane O'Keefe, Université de Guelph)

Il existe environ 10 000 espèces connues de mille-pattes dans le monde. Seulement trois d'entre elles, cependant, sont considérées nuisibles aux cultures racines, soit Cylindroiulus caeruleocinctus, Blaniulus guttulatus et Pseudopolydesmus spp.

Les deux premières espèces appartiennent à la famille des Julidae. Leur apparence est typique des mille-pattes, lesquels ont un corps cylindrique et une tête arrondie qu'ils utilisent pour se frayer un chemin dans le sol. Les deux représentants de cette famille se différencient par leur couleur. En effet, C. caeruleocinctus est brun foncé ou noir (figure 6), alors que B. guttulatus (le blaniule moucheté) est beaucoup plus pâle (blanc à jaune) avec des points rouges sur les flancs (figure 7).

La troisième espèce, Pseudopolydesmus, possède un corps plus aplati, et ses segments sont encore mieux définis (figure 8).

Cylindroiulus caeruleocinctus

Figure 6. Cylindroiulus caeruleocinctus.

Blaniulus guttulatus - blaniule moucheté

Figure 7. Blaniulus guttulatus - blaniule moucheté. (Photo reproduite avec la permission de D.K.B. Cheung, Université de Guelph)

Pseudopolydesmus spp.

Figure 8. Pseudopolydesmus spp. (Photo reproduite avec la permission de D.K.B. Cheung, Université de Guelph)

Biologie et comportement

Les mille-pattes, aussi appelés millipèdes, jouent un rôle écologique important en décomposant la matière organique dans des milieux variés. Bien que la plupart des 10 000 espèces de mille-pattes connues soient utiles, certaines sont nuisibles aux cultures, notamment aux pommes de terre, aux betteraves à sucre, aux carottes, aux patates douces, aux légumes de la famille des choux, aux fraises, aux pois et aux haricots.

Les mille-pattes appartiennent à une classe d'arthropodes terricoles qui possèdent deux paires de pattes par segment. Avec l'âge, de nouveaux segments s'ajoutent, et les mille-pattes s'allongent. Chaque segment additionnel comporte deux paires de nouvelles pattes. Dans les régions tempérées, la longueur des mille-pattes varie de 1 à 10 cm; dans les tropiques, ils peuvent atteindre 28 cm. Jusqu'à maturité, la croissance des mille-pattes s'accompagne de mues successives, comme dans le cas des insectes. Ainsi, C. caeruleocinctus passe par quatorze mues, et B. guttulatus en a onze.

En Ontario, la plupart des mille-pattes pondent de 20 à 300 œufs à la fois dans des nids enfouis dans le sol. Il faut au moins un an et demi, à partir de la ponte des œufs au printemps ou au début de l'été, pour que les mille-pattes parviennent à maturité sexuelle. Certaines espèces, comme C. caeruleocinctus et B. guttulatus peuvent vivre de deux à cinq ans.

Les mille-pattes sont habituellement nocturnes et se nourrissent donc la nuit. On a souvent signalé que les mille-pattes préfèrent les milieux humides et détrempés pour se protéger de la déshydratation. Toutefois, des recherches réalisées un peu partout dans le monde ont montré que les mille-pattes peuvent demeurer actifs au cours de périodes de sécheresse et s'attaquer aux racines des cultures, lorsque les cultures constituent l'unique source d'humidité.

Les mille-pattes possèdent leur propre mécanisme de défense. Ils ne mordent pas et ne piquent pas non plus, mais ils dégagent des substances chimiques lorsqu'on les dérange ou qu'on les écrase.

Le produit chimique dégagé pour les défendre varie selon le type de mille-pattes. Ainsi, les mille-pattes de la famille des Julidae (p. ex. : C. caeruleocinctus) produisent des quinones, alors que certains mille-pattes de la famille des Polydesmidae dégagent des composés cyanogénétiques. Ces fluides ne sont habituellement pas toxiques pour les humains, mais ils peuvent être dangereux pour les yeux et susciter des réactions allergiques chez les personnes sensibles. Par ailleurs, ces substances expliquent l'odeur désagréable associée aux cadavres de mille-pattes.

Dépistage

Commencer à prélever des échantillons pour le dépistage des mille-pattes dès le printemps, juste avant ou après les semis de carottes ou le repiquage des boutures de patates douces. Des recherches menées en Ontario, en 2007, ont démontré que l'utilisation des pièges à fosse constitue la meilleure méthode de capture de mille-pattes en début de saison. Plus tard, avec le couvert végétal qui se referme, ce sont les pièges à appât de maïs qui sont le plus efficaces. On a également observé que les pièges dans lesquels on utilise des patates douces coupées et enfouies comme appât étaient moins efficaces que les deux autres. Quel que soit le type de piège cependant, on recommande de placer chacun d'eux à des endroits signalés par un marqueur (de 10 à 20 sites), suivant un Z ou un W à travers le milieu du champ. Les pièges doivent être placés à au moins 10 m de la bordure du champ. Cette méthode permet d'évaluer approximativement les populations de mille-pattes dans les champs, qu'on recommande de surveiller pendant deux semaines consécutives ou plus.

Piège à fosse

Pour fabriquer un piège à fosse, enfouir un verre en plastique en laissant le rebord juste au-dessus de la surface du sol, afin d'empêcher l'eau de pluie de remplir le verre (figure 9). Remplir partiellement ce dernier avec de l'antigel non toxique et sans risque pour les mammifères, qui agira comme agent de conservation. Recouvrir le piège d'un petit toit ou de plantes en guise de protection, en utilisant un couvercle de plastique et deux tiges de fil de métal galvanisé (figure 10). Retirer les pièges à fosse chaque semaine, puis mettre en place de nouveaux verres de plastique et renouveler l'antigel.

Piège à appât de maïs


Pour fabriquer un piège à appât de maïs, placer un quart de tasse de semences de maïs non traitées dans une petite pochette en filet (figure 11). Faire tremper la pochette dans l'eau pendant au moins 12 heures avant de l'enfouir à environ 15 cm dans le sol à différents endroits signalés avec un marqueur quelconque. Pour éviter que le maïs ne pourrisse, remplacer les appâts tous les trois ou quatre jours.

Piège à fosse

Figure 9. Piège à fosse.

Piège à fosse avec couvercle

Figure 10. Piège à fosse avec couvercle.

Piège à appât de maïs

Figure 11. Piège à appât de maïs.

Seuils d'intervention

On n'a pas établi de seuils d'intervention contre les mille-pattes, dans les cultures horticoles ou les grandes cultures. Il faudra poursuivre les recherches en Ontario afin d'établir la taille des populations susceptibles d'entraîner des dommages économiques chez les carottes et les patates douces.

Selon des données préliminaires obtenues dans le cas des patates douces, il vaut la peine de poursuivre les inspections si l'on trouve de 5 à 10 mille-pattes dans au moins la moitié des pièges ou plus de 20 mille-pattes dans deux ou plusieurs pièges au cours d'une période de dépistage. On pourra alors replacer des pièges plus tard en saison ou encore examiner des échantillons de racines vers la fin de l'été (à la fin août ou au début septembre) à la recherche d'éraflures, de trous, de galeries ou d'autres signes de dommages.

Pratiques Optimales De Gestion

Le mille-pattes n'ayant pas encore été reconnu comme un ravageur des cultures racines en Ontario, on ne possède que très peu d'information sur les méthodes de lutte à préconiser. La lutte chimique n'est pas recommandée dans leur cas, puisqu'il n'y a actuellement aucun insecticide homologué contre les mille-pattes pour aucune grande culture ni aucune culture légumière au Canada.

Dans les champs où le dépistage effectué avant la saison laisse soupçonner la présence de populations élevées de mille-pattes, il peut être utile de labourer le sol avant les semis afin d'amener les mille-pattes à la surface du sol, où ils risquent alors d'être déshydratés ou capturés par des prédateurs.

Si le dépistage au cours de la saison porte à croire que les populations sont élevées, faire la récolte le plus tôt possible, car les mille-pattes continuent à se nourrir des cultures tant qu'elles sont dans le sol. Enlever les débris de culture après la récolte afin de diminuer les sources de nourriture résiduelles pour les mille-pattes et de réduire les sites d'hivernation.

On estime habituellement que les populations de mille-pattes augmentent davantage sous des conditions fraîches et humides. Éviter par conséquent les pratiques culturales qui accroissent l'humidité du sol, au-delà du niveau requis par la culture. (Noter, toutefois, que bien que la saison 2007 ait été sèche, on a trouvé des populations élevées de mille-pattes et de centipèdes dans les champs de carottes et de patates douces.)

Il est important de commencer à faire le dépistage des mille-pattes en Ontario et de prendre note de leur activité dans les cultures racines. Les renseignements sur les caractéristiques de la saison, les rotations des cultures, le type de sol, son degré d'humidité, l'évaluation des dommages et les variétés de cultures en cause seront utiles pour déterminer les pratiques optimales de gestion dirigées contre les mille-pattes nuisibles. Pour les producteurs qui soupçonnent la présence de mille-pattes ou de dommages qui leur sont associés dans les cultures racines, le dépistage permettra de cibler les méthodes d'intervention pertinentes.

La présente fiche technique a été rédigée par Jennifer Allen, spécialiste des cultures légumières, MAAARO, Guelph, et Melanie Filotas, spécialiste de la LI dans les cultures de spécialité, MAAARO, Simcoe.