Introduction

A L’étendue et l’envergure de la prédation que subissent les moutons de l’Ontario ont augmenté à un point tel que celle-ci menace la viabilité d’un grand nombre d’exploitations. La plupart des producteurs ovins s’entendent pour dire qu’il n’existe pas une seule pratique ou méthode de lutte permettant d’éliminer la prédation. Pour lutter de façon efficace contre la prédation, les producteurs doivent adapter leurs pratiques de gestion et mettre en œuvre des méthodes de lutte contre les prédateurs qui tiennent compte des problèmes précis auxquels fait face leur exploitation.

L’utilisation d’animaux gardiens pour le bétail, aussi appelés animaux de lutte contre les prédateurs ou animaux protecteurs du troupeau, comme moyen non létal de réduire la prédation suscite beaucoup d’intérêt. Les animaux gardiens de bétail vivent avec le troupeau et le protègent des prédateurs sans lui causer du tort ni lui nuire. Parmi les animaux actuellement utilisés pour garder les moutons figurent les chiens, les lamas et les ânes, qu’on dresse spécialement à cette fin. De plus en plus de producteurs ont recours à des ânes pour garder leurs moutons en raison de leur coût modique, de leurs besoins d’entretien minimes, de leur longévité et de leur compatibilité avec les autres méthodes de lutte contre les prédateurs. Le fait que les ânes consomment à peu près les mêmes aliments que les moutons constitue un autre avantage.

En Australie, aux États-Unis et dans l’ouest du Canada, des producteurs ovins ont utilisé avec succès des ânes bergers pour protéger leur troupeau contre des prédateurs comme les loups, les coyotes et les chiens. L’Ontario Predator Study de 1995 a indiqué qu’environ 70 % des ânes utilisés offraient un excellent ou un bon moyen de protéger le troupeau. Cependant, l’efficacité des ânes variait, allant de l’élimination complète de la menace à aucune incidence sur la prédation, et leur présence causait également d’autres problèmes au sein du troupeau. Dans de nombreux cas, de mauvaises pratiques de gestion et des attentes irréalistes (nombre trop élevé de moutons, moutons ou pâturages répartis sur une trop grande superficie) étaient autant, sinon plus, responsables des échecs que les manquements des ânes. La présente fiche technique résume les lignes directrices en matière de gestion et divers éléments qui peuvent améliorer les chances qu’un âne devienne un bon gardien de bétail.

Âne derrière la clôture d’un pâturage où se trouvent des moutons.

Figure 1. Âne qui garde des moutons en se tenant près de la clôture pour examiner les intrus potentiels.

Comment les ânes protègent le troupeau

Pour que les ânes puissent offrir la meilleure protection possible contre les prédateurs, il faut d’abord comprendre comment ils protègent le troupeau. L’animal gardien, toute espèce confondue, n’est pas différent d’un gardien de sécurité, c’est-à-dire que pour remplir son rôle de protecteur, il doit être au bon endroit au bon moment. Plus les animaux bergers passent de temps avec le troupeau, plus il y a de chances qu’ils soient présents au bon moment. L’âne possède un instinct grégaire naturel qui le porte à s’attacher aux moutons; une fois que des liens seront établis, il passera la plus grande partie du temps avec eux. Son instinct grégaire naturel, jumelé à son aversion innée pour les coyotes et les chiens et à son agressivité à leur égard, peut en faire un gardien de bétail efficace, à condition qu’il soit bien géré.

Les ânes détectent les intrusions en se basant sur des indices visuels et auditifs. Quand un intrus s’approche, les moutons ont tendance à se déplacer de sorte que l’animal gardien se retrouve entre eux et l’intrus. Les braiments violents et la prise en chasse rapide de l’âne peuvent effrayer les prédateurs et avertir le berger. La plupart du temps, les ânes vont affronter les chiens ou les coyotes et les chasser du pâturage. Si les prédateurs canins ne se retirent pas rapidement, l’âne passe à l’attaque en se cambrant sur ses pattes arrière et en donnant des coups avec ses deux pattes avant. Un coup assez fort peut blesser, tuer ou pour le moins décourager un prédateur.

Compatibilité des ânes avec les moutons

S’ils en ont amplement l’occasion, la plupart des ânes s’attachent aux moutons et les protègent contre les prédateurs. Pour favoriser leur attachement aux moutons, il faut les placer avec des moutons le plus tôt possible. Les moutons et l’âne doivent d’abord se reconnaître comme faisant partie du même troupeau pour que l’âne démontre son véritable instinct de gardien. L’idéal est que l’âne femelle et son petit soient élevés avec les moutons. Le petit sevré est ensuite laissé seul avec le troupeau. Beaucoup estiment que, en raison de son côté très sociable, l’âne doit travailler seul pour protéger efficacement les moutons. On craint que l’âne néglige les moutons s’il peut se mêler aux bovins, aux chevaux ou à d’autres ânes.

Tout n’est pas perdu si l’âne n’a pas été élevé avec les moutons. Il est encore possible de lui enseigner à protéger les moutons s’ils sont logés à proximité les uns des autres pendant une à deux semaines. Après une période d’adaptation, on peut habituellement envoyer l’âne avec les moutons en toute sécurité, mais il faut surveiller attentivement les signes de conflit potentiel.

Pour que le troupeau soit protégé de façon efficace contre les prédateurs, l’âne et les moutons doivent être compatibles. Il ne faut pas supposer que compatibilité signifie absence de conflit. La façon dont chaque âne interagit avec les moutons varie beaucoup. Il faut savoir que le comportement et l’humeur de l’âne peuvent devenir imprévisibles pendant l’œstrus ou l’agnelage.

Ce ne sont pas tous les ânes qui font de bons gardiens de troupeau, car il existe d’importantes différences comportementales d’un animal à l’autre. Certains ânes sont exagérément agressifs envers les ovins. Ils peuvent notamment prendre en chasse des agneaux ou des moutons, mordiller leurs oreilles ou leur toison, leur bloquer l’accès à l’eau ou aux aliments ou, à l’extrême, les blesser ou même les tuer.

Compatibilité des ânes avec les chiens de la ferme et les êtres humains

Vu son aversion naturelle pour la race canine, l’âne peut aussi s’en prendre au chien berger ou au chien de la ferme. Au début, il faut limiter et superviser les interactions entre l’âne et le chien. La plupart des chiens bergers s’adaptent avec le temps et apprennent à travailler avec l’âne plutôt que de tenter de le contrôler comme s’il était l’un des moutons. Il faut aviser les voisins qui ont des chiens de la présence d’un âne berger et des conflits potentiels pouvant survenir entre les ânes et les chiens errants. Malgré leur agressivité naturelle envers la race canine, la plupart des ânes sont doux et dociles avec les êtres humains.

Éléments à considérer pour l’achat d’un âne comme gardien de moutons

Taille, conformation et comportement

Miniature : moins de 91 cm (36 po) au garrot

Standard petit : 91-122 cm (36-48 po)

Standard grand : 122-137 cm (48-54 po) pour les femelles et 122-142 cm (48-56 po) pour les mâles intacts et les mâles castrés

Très grand : plus de 137 cm (54 po) pour les femelles et plus de 142 cm (56 po) pour les mâles intacts et les mâles castrés

La plupart des ânes miniatures sont vraisemblablement trop petits pour se défendre efficacement contre les prédateurs. Si les très grands ânes peuvent repousser les prédateurs grâce à leur taille, ils ont toutefois tendance à être plus difficiles à maîtriser. Les ânes standard, petits et grands, ont à la fois de bonnes aptitudes de lutte contre les prédateurs et un caractère facile, ce qui constitue la combinaison idéale. Selon les recommandations de l’Alberta, les ânes gardiens doivent être âgés d’au moins deux ans et mesurer au moins 112 cm (44 po) au garrot. Les principaux éléments à examiner au moment de l’achat d’un âne sont les suivants : une bonne conformation, des pattes droites et une bonne attitude. De plus, on peut vérifier les tendances agressives d’un âne à l’égard des chiens et des coyotes en mettant un chien dans un petit enclos avec le gardien éventuel.

Taille du troupeau et nombre d’ânes gardiens

En général, ce sont les producteurs de petits troupeaux qui utilisent les ânes comme gardiens. Les ânes semblent convenir parfaitement aux troupeaux de moins de 100 brebis. Idéalement, un âne pourrait garder un maximum de 200 brebis en terrain plat et aride si les animaux sont dans un seul pâturage. Cependant, de nombreux troupeaux ontariens sont élevés ou mis en pâturage sur des terres rudes, vallonnées et parsemées de buissons qui fournissent un couvert idéal aux coyotes. Dans des conditions semblables, la vue de l’âne sera vraisemblablement gênée et celui-ci ne pourra pas surveiller l’ensemble du troupeau.

Le recours à des ânes gardiens peut présenter des lacunes si les troupeaux sont grands et les pâturages vallonnés et buissonneux, à moins qu’on utilise un âne pour chaque groupe ou chaque pâturage. À noter que, si des ânes sont aussi utilisés dans des pâturages adjacents, il faut s’assurer de bien séparer les pâturages de sorte que les ânes restent avec leurs troupeaux respectifs et non pas les uns avec les autres. Il faut aussi savoir que les coyotes ou même les chiens sont capables de distraire un âne de son troupeau pendant que leurs congénères attaquent les moutons non protégés.

Sexe de l’âne

Une femelle et son petit offrent probablement la meilleure protection, mais les femelles travaillent aussi très bien seules. Les ânes castrés sont également efficaces et sont surtout populaires en raison de leur tempérament égal. Les mâles intacts ne sont pas aussi couramment utilisés, car ils ont tendance à être trop agressifs tant avec les moutons qu’avec les personnes.

Comportement surprotecteur

Il y a des ânes qui sont surprotecteurs de leur troupeau. Il faut être prudent pendant la saison de l’agnelage, car des ânes gardiens peuvent considérer les agneaux comme des intrus. Le comportement protecteur de l’âne peut l’amener à blesser ou à tuer des agneaux.

Autre conséquence potentielle de ce comportement, l’âne peut nuire à l’accouplement du bélier avec les brebis. Pour régler le problème, on peut mettre l’âne dans un abri ou un enclos différent pendant la saison de reproduction et d’agnelage ou jusqu’à ce que les agneaux aient noué des liens d’attachement avec leur mère et soient assez solides sur leurs pattes. Les producteurs doivent bien réfléchir à l’utilisation d’un animal gardien étant donné qu’il faut le retirer alors que le risque de prédation est élevé, notamment lorsque l’agnelage a lieu au pâturage.

Avantages et inconvénients des ânes gardiens par rapport aux chiens bergers

Les chiens spécialement dressés pour garder le bétail peuvent aussi protéger les troupeaux contre la prédation. Cependant, contrairement aux chiens, les ânes n’ont pas tendance à vagabonder, à la condition que les clôtures soient bien entretenues. En outre, les ânes vivent plus longtemps que les chiens et, s’ils sont bien gérés, peuvent assurer une bonne protection pendant 10 à 15 ans. En moyenne, il est moins coûteux d’acheter et d’entretenir des ânes que des chiens pour garder les troupeaux, car les ânes sont surtout nourris d’aliments cultivés à la ferme.

Soins et gestion des ânes

L’un des avantages particuliers de l’utilisation des ânes comme gardiens est qu’ils peuvent manger les mêmes aliments que les moutons, à moins que le foin ne contienne une très grande proportion de légumineuses à haute teneur en protéines. Des fourrages provenant de pâturages riches ou composés de légumineuses fourragères de grande qualité ne sont pas recommandés parce que les ânes ont de faibles besoins énergétiques et sont prédisposés à l’obésité et à des troubles métaboliques comme la laminite (fourbure) et l’hyperlipémie si on leur laisse le choix des aliments. Pour bien se porter, les ânes ont besoin de foin de bonne qualité et, dans la plupart des cas, de très peu de grain. Si on leur donne du grain, il faut s’assurer qu’ils ne consomment pas les rations des moutons ou des bovins qui contiennent du Rumensin (matière active : monensin), du Deccox (matière active : décoquinate) ou du Bovatec (matière active : lasalocide sodique), car l’ingestion de ces ionophores ou additifs alimentaires par les ânes et les autres équidés peut être mortelle. C’est la taille et l’état corporel de l’âne qui dictent la quantité de foin et de grain que l’animal doit consommer. En règle générale, l’ingestion de matière sèche totale (foin et grain) pour l’entretien équivaut à environ 2 % du poids de l’animal. Pour un âne de 272 kg (600 lb), l’ingestion quotidienne totale est d’environ 5,5 kg (12 lb) de matière sèche ou 6,1 kg (13,3 lb) d’aliments servis. Si on prévoit une période au pâturage de 185 jours et 180 jours de fourrage et que le prix du foin est de 0,10 $ la livre, il en coûterait environ 100 $/année (0,61 $/jour) pour nourrir un âne avec du foin.

Quand on donne du grain aux moutons, il vaut mieux nourrir l’âne séparément ou lui donner sa ration dans une auge séparée. Autrement, l’âne plus gros et plus dominant pourrait empêcher les moutons d’avoir accès à la mangeoire ou même les en chasser, ce qui pourrait entraîner des blessures.

Il faut tailler les onglons des ânes tous les 3 ou 4 mois, ce qui représente des coûts d’environ 100 $ à 125 $ par année. Le soin des sabots de l’âne est primordial pour qu’il soit efficace dans sa chasse aux prédateurs.

Aspects économiques

Avant de prendre toute mesure de lutte contre les prédateurs, les producteurs doivent se demander combien cela coûtera et si le problème de prédation est suffisamment grave pour engager des coûts de mise en œuvre et de maintien d’une méthode de lutte. La meilleure façon de répondre à ces questions est de comparer les coûts d’achat et d’entretien d’un âne avec le nombre d’agneaux que le gardien devra sauver pour que l’investissement soit rentable.

En supposant qu’un âne coûte 500 $ et qu’il protège le troupeau des prédateurs pendant 10 ans, le coût annuel en capital serait de 50 $ par an. Les coûts d’entretien d’un âne, ce qui comprend les aliments cultivés à la ferme, la taille des onglons et les autres frais, se chiffrent entre 200 $ et 250 $ par an. Si le prix de l’agneau est de 200 $ par quintal pour un agneau de 45 kg (100 lb), il suffirait que l’âne sauve la vie d’un ou de deux agneaux par an pour assurer la rentabilité.

Conclusion

Les ânes à eux seuls ne sont peut-être pas la solution parfaite contre les prédateurs pour l’industrie ovine ontarienne, mais ils ont certainement prouvé leur efficacité pour réduire la prédation dans des circonstances précises s’ils sont bien gérés.

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La présente fiche technique a été mise à jour par Jillian Craig, spécialiste des petits ruminants, MAAARO, Lindsay.