Services correctionnels de l’Ontario : Axes de réforme
Lire le rapport du Examen indépendant des Services correctionnels de l’Ontario.
septembre 2017
ISBN: 978-1-4868-0706-2 (LSHT)
Équipe de l’Examen indépendant des Services correctionnels de l’Ontario
Membres principaux
Howard Sapers – Conseiller indépendant
Andrea Monteiro – Responsable de l’équipe de l’Examen indépendant
Nathalie Neault – Conseillère principale
Abby Deshman – Conseillère en services correctionnels
Erin McConaghy – Coordonnatrice des services
Simrit Athwal – Adjointe administrative administratifs
Soutien contractuel
Anthony Doob
Alexandra Hunter
Teja Rachamalla
Jane Sprott
Cheryl Webster
Soutien consultatif sur les Services correctionnels de l’Ontario
Gregory Dranitsaris (détaché du bureau de probation et de libération conditionnelle de Richmond Hill)
Francine Poulin (détachée du centre de détention d’Ottawa-Carleton)
Soutien consultatif sur les Indigènes
Mandy Wesley (détachée du ministère du Procureur général)
Préface
Dignité. Respect. Légalité. Ces valeurs font partie intégrante de la prestation des services correctionnels. Associées à des principes comme la retenue dans l’exercice de l’autorité de l’État et l’adoption par défaut de la mesure la moins restrictive, il en résulte une pratique correctionnelle sûre et efficace. On a beaucoup écrit sur le lien entre la façon dont les gens sont traités et la façon dont ils se comportent. Chaque fois, la conclusion est la même : on récolte ce que l’on sème. Si l’objectif des services correctionnels est de contribuer à une société pacifique et juste en aidant ceux qui sont en conflit avec la loi à apprendre à vivre dans les limites de celle-ci, alors le travail des services correctionnels doit se faire en incarnant une attitude éthique, légale et équitable.
En d’autres termes, les droits de la personne sont à la base des services correctionnels. Dans une société libre et démocratique comme la nôtre, la liberté est l’un des droits les plus protégés et les plus prisés. Nos droits de libre circulation et d’association, conjugués à la protection contre toute ingérence arbitraire avec ces droits, font partie intégrante de notre constitution. Les normes internationales, la Charte canadienne des droits et libertés et nos tribunaux sont clairs : les personnes en conflit avec la loi conservent tous leurs droits à l’exception de ceux nécessairement limités par des restrictions ou des sanctions imposées légalement.
La sécurité publique est la résultante d’un processus de justice pénale qui vise une réponse équitable et proportionnée au délit. Les chances d’atteindre ce résultat sont fortement augmentées lorsque chaque composante de notre système judiciaire joue son rôle de façon coordonnée, renforçant ainsi les principes et valeurs qui définissent notre société. Cela signifie que les services correctionnels, au sein desquels le risque d’abus de pouvoir et de contrôle excessif de l’État est sans doute le plus grand, doivent être vigilants à chaque instant afin de minimiser ce risque.
Le présent rapport se penche sur ces thèmes. Dans les pages qui suivent, j’ai ciblé des domaines clés de la pratique correctionnelle qui, lorsqu’ils sont bien mis en œuvre, accentuent l’engagement envers les droits de la personne. Je n’ai pas dressé une liste exhaustive de ces domaines, car là n’est pas le but. Certains problèmes évoqués ne sont ni de grande ampleur ni complexes. En effet, il importe parfois de se pencher sur les détails du quotidien. C’est en résolvant des petits problèmes que l’on peut prévenir l’apparition de grands problèmes, ou tout au moins, atténuer l’incidence de problématiques plus importantes. Les modifications et les améliorations recommandées sont en quelque sorte des tremplins ou des leviers. Par exemple, une bonne gestion de l’engagement familial implique la modification d’un certain nombre de pratiques, comme le partage d’information, les pratiques respectueuses de visite et les habitudes et la gestion de la sécurité. Une meilleure définition de la politique de fouille aura une incidence sur les attitudes durant les autres interactions entre le personnel et les détenus. Nous ne serons jamais en mesure de dire « mission accomplie » et de nous reposer sur nos lauriers. Garantir des conditions de détention équitables, sûres et humaines exige une attention au quotidien.
Howard Sapers, conseiller indépendant
Sommaire
Le présent rapport offre un examen ciblé de certaines pratiques correctionnelles en Ontario. Dans chaque section, je me penche sur la loi, les politiques et les pratiques en Ontario à la lumière des pratiques éprouvées dans les services correctionnels et des valeurs sous-jacentes de dignité, de respect et de légalité. Ce rapport comporte 62 recommandations correspondant aux thèmes suivants :
- droits de la personne et fonctionnement correctionnel
- services correctionnels et présomption d’innocence
- pratique correctionnelle factuelle
- populations indigènes et Services correctionnels de l’Ontario
- services de santé et gouvernance des Services correctionnels
Opérations correctionnelles : un exercice en matière de droits de la personne
Les établissements correctionnels contrôlent les aspects les plus élémentaires de la vie d’une personne et, à ce titre, peuvent influencer directement et considérablement les droits de la personne. Chaque décision opérationnelle prise par une autorité correctionnelle doit être empreinte des valeurs de respect, de dignité et de légalité. Le présent rapport examine cinq domaines opérationnels qui devraient incarner clairement ces valeurs de base : les fouilles, les processus de plainte des détenus, les visites et les soutiens familiaux, la fiducie des détenus et la réponse aux décès en détention.
Fouilles
Il est absolument nécessaire de revoir le cadre juridique et réglementaire régissant les fouilles dans les établissements correctionnels ontariens et que celui-ci soit basé sur la reconnaissance des droits garantis par la Charte.
Par rapport aux autres territoires de compétence au Canada, la loi ontarienne n’impose que peu de limites sur une vaste gamme de fouilles dans les établissements. Ainsi, la plupart de la correspondance des détenus peut être interceptée et lue aléatoirement, sans qu’il y ait raison de croire que la communication constitue une preuve de délit ou une atteinte à la sécurité. Les chefs d’établissement se sont vus conférer de vastes pouvoirs pour supprimer ou refuser d’envoyer la correspondance des détenus. Malgré le fait que la loi et la politique ontariennes ne permettent pas la censure des lettres adressées à un certain nombre de représentants élus, on dit aux détenus que leur correspondance sera examinée et leur sera retournée si elle comprend, selon l’opinion subjective du censeur, un « langage grossier » ou du « contenu inapproprié ».
L’usage des fouilles à nu dans les établissements ontariens est particulièrement troublant. La Charte canadienne des droits et libertés limite strictement l’usage des fouilles à nu du fait de sa nature intrinsèquement humiliante et dégradante, et la majorité des territoires de compétence au Canada ont adopté des dispositions législatives qui limitent l’usage de ces fouilles dans les établissements correctionnels. Ce n’est pas le cas en Ontario. Au contraire, en vertu de la politique du ministère, les établissements correctionnels ontariens doivent effectuer régulièrement des fouilles à nu de routine sur tous les détenus, et ce, aux deux semaines. La politique exige également que les cellules d’isolement soient fouillées quotidiennement, et précise que les détenus doivent subir une fouille à nu durant la fouille de la cellule.
Processus de plainte des détenus
Un processus de plainte équitable et rapide permettant aux détenus de faire part de leurs préoccupations au sujet d’un traitement inapproprié ou illégal sans crainte de représailles est un élément clé d’un système correctionnel respectant les droits.
La mise en place d’un tel système de plainte exige une législation et des directives précises. Malheureusement, il n’y a pratiquement aucune loi indiquant la façon dont les plaintes des détenus doivent être traitées en Ontario. Il existe une variété de politiques internes du ministère régissant le traitement des plaintes, mais celles-ci manquent de précision et de cohérence, et ne correspondent pas aux renseignements fournis aux détenus sur le processus de plainte. La plupart des établissements n’ont pas de formulaire de plainte, et quand une plainte écrite est déposée, le détenu n’en reçoit généralement pas une copie et n’est pas en mesure de conserver une confirmation écrite de réception, de prise de connaissance ou de traitement. Bien que la politique indique expressément que les plaintes verbales doivent être consignées par écrit, c’est rarement le cas.
La vaste majorité des plaintes de détenus ne sont pas centralisées ou suivies, que ce soit au sein de l’établissement ou du ministère. Dans les établissements, le système repose entièrement sur des bouts de papier qui sont remis à des agents correctionnels, lesquels doivent à leur tour transmettre ces feuilles de papier au gestionnaire pertinent. Dans ces conditions, il est impossible pour les gestionnaires principaux d’analyser les tendances ou d’utiliser les renseignements pour déterminer quels sont les problèmes systémiques. Bien que la correspondance adressée aux plus hautes instances du ministère fasse l’objet d’un suivi administratif, aucune analyse n’est faite quant à l’objet, la source, la résolution ou le volume des plaintes de détenus.
Dans mon rapport L’isolement en Ontario, j’ai évoqué la mise sur pied de services d’inspection indépendants des Services correctionnels afin d’améliorer la surveillance du système correctionnel de la province. La mise en œuvre rapide de cette recommandation permettrait une plus grande responsabilisation quant au traitement des préoccupations maintes fois signalées sur le processus de plainte actuel en particulier et, plus généralement, sur la conformité à la politique.
Visites et soutien familial
Au Canada, la politique correctionnelle considère depuis longtemps qu’il est important que le détenu maintienne des liens avec ses amis et sa famille. Les établissements correctionnels au Canada et de par le monde ont mis en place une variété de mesures afin de faciliter le contact avec la famille et le soutien familial, comme la création d’espace de jeux pour les enfants, d’aires de visite ouvertes permettant des interactions sans entraves, de logements privés pour les visites en famille pour des séjours prolongés et de programmes mère/enfant pour éviter de séparer les mères de leurs enfants en bas âge.
Les établissements correctionnels ontariens n’offrent pratiquement aucune de ces possibilités. La grande majorité des visites des proches de détenus en Ontario se limitent des séances de 20 à 40 minutes durant lesquelles les visiteurs et les détenus sont séparés physiquement par une barrière. La politique du ministère stipule que « dans les établissements à sécurité maximale, y compris les prisons et les centres de détention, les visites sans séparation ne sont pas systématiquement approuvées »; 25 des 26 établissements correctionnels du ministère sont à sécurité maximale. Dans de nombreux établissements, les aires de visite sont exiguës et comportent uniquement des tabourets fixes, installés côte à côte et très rapprochés, tant pour le détenu que pour le visiteur. Cela rend la visite difficile et inconfortable pour les enfants, les personnes âgées ou à mobilité réduite, et ne permet aucune intimité. La tendance en Ontario ces dernières années a été de réduire le nombre de visites en personne. Les deux plus récents établissements ontariens ont presque totalement remplacé les visites en personne par des visites à distance, par vidéo.
L’Ontario n’a aucun programme mère/enfant, n’offre qu’un soutien prénatal et post-partum limité, et ne propose qu’une politique inadaptée sur des sujets aussi élémentaires que l’allaitement. Les femmes qui accouchent pendant qu’elles sont incarcérées dans un établissement provincial sont séparées de leur nouveau-né dès qu’elles reçoivent l’autorisation médicale de quitter la maternité.
Comptes en fiducie des détenus
Les détenus doivent remettre tous les biens personnels en leur possession, y compris l’argent, au chef d’établissement au moment de leur incarcération. Il incombe à l’établissement de tenir un compte en fiducie pour chaque détenu; les fonds dans ce compte peuvent servir à acheter des effets personnels auprès de la cantine de l’établissement, et ce, sur une base hebdomadaire. Traditionnellement, le processus de dépôt de fonds était exigeant en main-d’œuvre et sujet à des erreurs humaines. Bien que le ministère ait tiré parti des technologies pour améliorer la capacité de gestion des fonds des détenus, ceux-ci ne peuvent pas faire de dépôts. Il n’est pas possible d’effectuer des dépôts automatiques, et les amis et membres de la famille qui souhaitent déposer des fonds dans le compte du détenu doivent le faire en personne ou par courrier. De nombreuses provinces ont mis en place des systèmes permettant aux personnes de déposer des fonds dans le compte des détenus à distance par Internet ou par l’entremise de kiosques installées en communauté. Bien que ces systèmes ne soient pas exempts de défauts (des problèmes persistent quant à l’installation de kiosques à des endroits opportuns et pratiques, aux frais d’utilisation élevés et à la fréquence d’entretien de l’équipement), ils constituent une amélioration par rapport au statu quo qui existe en Ontario.
Décès en détention
Plus de 150 personnes sont décédées dans des établissements correctionnels ontariens au cours de la dernière décennie. Un système correctionnel responsable et réactif doit traiter chaque décès en détention à la fois comme un événement tragique et comme une occasion d’empêcher que des décès similaires se produisent à l’avenir.
La majorité des décès en détention en Ontario ne font pas l’objet d’un examen approfondi et totalement indépendant. Même lorsqu’un examen a lieu, ses conclusions ne conduisent que dans une moindre mesure à une réflexion systémique ou à une modification. À part les mises à jour des politiques du ministère pouvant découler d’une enquête, il n’existe aucun processus permettant de déceler des tendances générales, d’effectuer des analyses ou de partager les leçons apprises entre établissements.
Le Bureau du coroner en chef de l’Ontario est tenu d’enquêter sur les circonstances de chaque décès survenant lorsqu’une personne est en détention sous la garde d’un agent correctionnel, et doit mener une enquête approfondie si, au vu de l’enquête préliminaire, le coroner pense que la personne pourrait ne pas être décédée de causes naturelles. En 2009, la Loi sur les coroners a été modifiée de façon qu’il n’est plus obligatoire de mener une enquête en cas de mort naturelle en détention. Cette modification a créé une lacune importante dans la surveillance des décès de détenus au sein des établissements correctionnels ontariens.
De même, les établissements ne reçoivent pratiquement pas de directives visant les renseignements et le soutien qui devraient être fournis à la famille des décédés. La politique du ministère et les notes de service donnent des instructions divergentes quant à savoir si les chefs d’établissement doivent communiquer avec le plus proche parent advenant le décès d’un détenu. Il n’existe pas de directives, de ressource ni de politiques du ministère sur un certain nombre de sujets connexes, dont les frais de funérailles, d’inhumation ou de crémation.
Enfin, l’équipe de l’Examen indépendant n’a pas été en mesure de trouver des statistiques fiables sur le nombre de personnes qui sont décédées en détention en Ontario. La définition juridique d’un décès en détention est restrictive, et il existe une variété de circonstances pour lesquelles le ministère et le Bureau du coroner en chef de l’Ontario considèrent que le décès d’un détenu ne peut pas être qualifié de décès en détention.
Services correctionnels et présomption d’innocence
La plupart des personnes incarcérées dans les établissements provinciaux en Ontario sont innocentes d’un point de vue juridique, en attente d’un procès ou de la détermination de leur caution. En tout temps en 2015/1016, les deux tiers de la population carcérale en Ontario étaient en détention provisoire. Malgré des taux de criminalité à la baisse et un déclin de la gravité des délits, le taux de détention avant jugement en Ontario est en hausse durable, avec une augmentation de 137 % ces 30 dernières années.
Le traitement de la population en détention provisoire devrait correspondre à son statut juridique d’innocence. Au lieu de cela, la politique et la pratique du ministère exigent que les détenus en attente de procès soient maintenus dans des conditions de détention hautement restrictives (et in fine punitives), quelles que soient leurs circonstances individuelles. À l’heure actuelle en Ontario, presque toutes les personnes en détention provisoire sont présumées avoir une cote de sécurité maximale et sont maintenues dans des conditions de sécurité maximale. La cote de sécurité maximale signifie également que de nombreuses personnes en détention provisoire ont un accès limité aux programmes et aux autres activités. En outre, malgré le fait que la législation donne aux surintendants et à la Commission ontarienne des libérations conditionnelles toute l’autorité nécessaire pour accorder à tous détenus une autorisation de l’absence temporairement de l’établissement pour des raisons médicales, humanitaires ou de réadaptation, la politique du ministère restreint grandement ce pouvoir discrétionnaire. Des absences temporaires sous escorte pour les personnes en détention provisoire ne sont considérées que « pour des raisons médicales ou humanitaires ou autres circonstances exceptionnelles ». Les absences temporaires sans escorte sont encore plus limitées : elles ne sont possibles que si la personne en détention provisoire est sous respirateur artificiel.
Le traitement des détenus de l’immigration suscite également des inquiétudes. En 2016/2017, il y avait plus de 1 200 incarcérations d’immigrants dans les établissements correctionnels provinciaux en Ontario. Alors qu’ils ne sont accusés d’aucun délit ni condamnés, les détenus de l’immigration sont incarcérés pour des périodes de détention indéfinies en sécurité maximale; ils font l’objet de fouilles à nu régulières, sont confinés à leur cellule et ne peuvent recevoir qu’un nombre limité de visites. Il leur est difficile de garder contact avec leur famille à l’étranger, les appels interurbains pour l’étranger n’étant généralement pas autorisés. Au moins un établissement exclut du programme de travail les détenus de l’immigration passibles d’une reconduite à la frontière, et la politique du ministère restreint fortement l’accès des détenus de l’immigration aux absences temporaires. Un seul établissement possède des unités réservées aux détentions d’immigration; dans tous les autres établissements, en contravention avec les normes internationales, les détenus de l’immigration sont incarcérés dans des unités accueillant d’autres catégories de détenus.
Pratique correctionnelle factuelle
Après des décennies de recherches, des preuves de ce qui fonctionne en milieu correctionnel existent. Un système correctionnel efficace, factuel et humain doit mettre en œuvre des interventions de réadaptation ciblées, en se fondant sur le principe de retenue, et faire le pont entre les personnes et les services sociaux nécessaires. Le présent rapport explore trois domaines de la pratique correctionnelle : l’évaluation initiale en établissement et la surveillance communautaire, la détermination et répondre aux besoins de programmation, ainsi que la libération graduelle et la réinsertion.
Évaluation initiale en établissement et surveillance communautaire
Un processus d’évaluation initiale rigoureux constitue la première étape du mandat du système correctionnel consistant à fournir une garde et des soins appropriés. Chaque nouvelle admission doit faire l’objet d’une évaluation afin de déterminer la cote de sécurité afin que le placement en établissement et la surveillance communautaire soient conformes avec le principe de retenue. Le processus de placement doit également déterminer de quels services une personne aura besoin durant sa surveillance ou sa détention.
L’Ontario ne possède pas d’outil permettant d’évaluer le risque pour la sécurité de l’établissement à l’échelle de la province. La vaste majorité des détenus sont placés en sécurité maximale par défaut. Contrairement aux autres provinces, presque tous les établissements ontariens sont à sécurité maximale : la province n’a pas d’établissements à sécurité minimale, et le seul établissement à sécurité moyenne est un centre de traitement spécialisé.
Le processus d’évaluation initiale en établissement devrait constituer le début d’une offre de services globale et de la planification de la libération. Or, pour la majorité des personnes, le processus d’admission et de placement en établissement en Ontario se limite à l’enregistrement des renseignements personnels de base. Le placement en unités spécialisées, dont les unités de santé mentale, de besoins spéciaux et d’isolement, est souvent basé sur l’intuition personnelle et sur des renseignements non vérifiés provenant de séjours carcéraux précédents. Ce processus peut facilement renforcer les stéréotypes et entraîner une discrimination individualisée ou systémique. La grande majorité des détenus en Ontario n’ont pas accès à une planification de libération efficace. Les services de planification de libération ne sont pas fournis avec constance et, lorsqu’ils sont offerts, leur qualité et leur format varient.
Bien que le processus d’évaluation des personnes sous surveillance communautaire soit meilleur, il existe des cas pour lesquels la politique ou la loi impose des conditions ou des exigences de surveillance qui ne sont pas conformes avec la pratique factuelle ou l’adoption des mesures les moins restrictives. Les conditions et les niveaux de surveillance devraient être adaptés à une évaluation individualisée des risques, et non pas de directives générales.
Déterminer les besoins de programmation et y répondre
Garantir un accès à une programmation appropriée est un élément crucial d’une pratique correctionnelle factuelle. Les activités et programmes généraux (études, activités récréatives, possibilités de travail, etc.) devraient être ouverts à tous. Les interventions et les programmes de réadaptation plus intensifs, cependant, doivent être soigneusement ciblés. Il est avéré que le fait d’offrir ce type de programme de réadaptation aux personnes qui ne présentent pas de risque majeur de récidive diminue paradoxalement leur chance de sortie réussie du système judiciaire.
En Ontario, la participation à des programmes généraux est entravée par une offre irrégulière et de qualité variable. Les fonds alloués pour le personnel et le matériel sont minimes. La majorité des programmes généraux sont assurés par des fournisseurs de services communautaires, des organismes et des bénévoles qui doivent généralement fournir le personnel, le contenu du programme et les fournitures. Souvent, l’espace au sein des établissements pour ces programmes n’est pas adéquat. Les programmes sont parfois offerts dans un couloir, une chapelle, une salle polyvalente, une cellule aménagée, un gymnase ou, plus troublant, dans des enclos grillagés. Même lorsqu’un espace aménagé à cet effet existe, celui-ci peut faire l’objet de réaménagement du fait de besoins opérationnels et administratifs urgents.
Les programmes peuvent être annulés ou interrompus à court préavis en raison d’exigences opérationnelles. Il est rare que l’ensemble des programmes soient assurés selon un horaire précis ou régulier, et ni les détenus ni le personnel ne sont généralement en mesure de savoir quand un programme sera offert. La politique même du ministère constitue une entrave pour les personnes en détention provisoire et pour les détenus de l’immigration, qui ensemble représentent la majorité de la population carcérale. Ces groupes sont présumés inadmissibles aux possibilités de travail carcéral et aux programmes en communauté.
Pour les détenus qui ont un profil de risque élevé et dont la peine d’emprisonnement ou de surveillance communautaire est plus longue, les programmes de réadaptation devraient être un élément clé. Or, les établissements correctionnels ontariens n’offrent pas une gamme complète de programmes de réadaptation et, dans la plupart des cas, ne transmettent pas proactivement de renseignements individualisés sur les programmes pour lesquels la participation des détenus serait pertinente. Les personnes faisant l’objet d’une surveillance communautaire bénéficient d’un plan de programmation personnalisé. Cependant, l’accès aux programmes est inégal et des lacunes persistent pour les personnes ayant des besoins complexes.
Dernièrement, le ministère a pris des mesures pour renforcer la surveillance communautaire afin qu’elle soit efficace et factuelle : il a mis en œuvre une initiative de formation stratégique en surveillance communautaire. Il est encourageant de voir que la province investit dans des pratiques factuelles et soutient le personnel qui assure ces services.
Libération graduelle et réinsertion
La plupart des personnes prises en charge par le système correctionnel ontarien font l’objet d’une surveillance communautaire. Parmi celles qui sont incarcérées, la grande majorité retourne au sein de sa collectivité au bout de quelques mois, voire de quelques jours. Cependant, même la détention la plus brève peut entraîner une série de conséquences collatérales, dont la perte d’emploi et de domicile, l’absence de prise de médicaments et de suivi médical, et la prise en charge d’urgence des personnes à charge. Toutes les personnes incarcérées devraient recevoir du soutien afin d’atténuer ces répercussions durant leur incarcération et à leur libération. Pour les personnes purgeant des peines d’incarcération de moyenne ou de longue durée, le retour au sein de leur collectivité devrait être graduel et Encadré.
Le système correctionnel ontarien possède divers outils qu’il pourrait utiliser pour améliorer les liens avec la collectivité et permettre une libération graduelle et Encadrée. Par exemple, les détenus peuvent être autorisés des absences temporaires de leur établissement pour contribuer à leur réadaptation ou pour des raisons humanitaires ou médicales. Malgré le fait que leur utilité soit fondée, l’Ontario a considérablement réduit le nombre d’absences temporaires au fil des décennies. En 1991/1992, quelque 25 000 détenus dans les établissements provinciaux de l’Ontario ont été autorisés des absences temporaires; en 2016, ils n’étaient plus de 8 481. La grande majorité des autorisations d’absences temporaires du système correctionnel ontarien sont pour des raisons médicales, et non pour réadaptation.
Il existe un certain nombre de facteurs structurels pouvant contribuer au faible niveau des absences temporaires. En premier, en dépit des vastes pouvoirs conférés par la loi et des nombreuses raisons des absences temporaires, la politique du ministère limite considérablement l’admissibilité des détenus. Le processus encadrant les demandes d’absence temporaire et leur examen constitue également un frein important. À l’exception des absences temporaires pour raisons médicales, il incombe normalement au détenu d’enclencher le processus d’absence temporaire, et notamment de compiler les nombreux renseignements visant à étayer sa demande exigés par le ministère ou la Commission ontarienne des libérations conditionnelles. En outre, les délais de traitement de ces demandes excèdent généralement la durée d’incarcération de la personne.
La libération conditionnelle, qui permet la libération anticipée assortie de conditions et sous surveillance d’un détenu condamné, a traditionnellement été la pierre angulaire d’une libération graduelle et Encadrée et de la réinsertion. Dans les années 1980 et au début des années 1990, il y avait entre 1 200 et 1 800 personnes en libération conditionnelle par mois. Cependant, à partir de 1993, il y a eu un recul spectaculaire du nombre de personnes bénéficiant de libération conditionnelle, et en 10 ans, le nombre de personnes en libérations conditionnelles a chuté de 91,8 %. Leur nombre n’a jamais retrouvé les niveaux d’antan : en 2015, on comptait en moyenne 207 personnes en libération conditionnelle par mois en Ontario.
Il existe des dispositions législatives visant à faire bénéficier les personnes en établissement correctionnel d’une libération conditionnelle sous surveillance. Malheureusement, celles-ci ne fonctionnent pas comme prévu. Il y a obligation juridique de déterminer si la libération conditionnelle serait appropriée pour tous les détenus purgeant une peine de plus de six mois. Bien que les détenus puissent renoncer à leur droit à une audience auprès de la commission des libérations conditionnelles, ce renoncement n’élimine pas pour autant l’obligation de la commission de statuer sur l’admissibilité du détenu à une libération conditionnelle. La Commission ontarienne des libérations conditionnelles n’effectue pas d’examens proactifs en vue de la libération conditionnelle, et le ministère ne lui transmet pas les renseignements nécessaires. Au contraire, la politique de la commission est la suivante : si un détenu signe une renonciation à une audience ou refuse de signer une renonciation, de se présenter à l’audience ou de communiquer avec la commission ou avec le personnel compétent de l’établissement, toute activité d’examen de la libération conditionnelle cesse.
L’équité procédurale du processus de libération conditionnelle en Ontario est également préoccupante. Une composante fondamentale de l’équité procédurale est que la Commission ontarienne des libérations conditionnelles est censée motiver ses décisions par écrit. Cependant, les demandeurs de libération conditionnelle ne reçoivent qu’un document de décision succinct qui ne comprend pas l’argumentaire complet étayant la décision. Une préoccupation porte également sur le fait de savoir si les renseignements communiqués avant la tenue d’une audience sont partagés avec le détenu, ce qui est une autre exigence fondamentale d’équité procédurale en vertu des garanties constitutionnelles.
La procédure de libération conditionnelle crée des obstacles à une libération graduelle opportune. Certaines questions restent en suspens quant à la qualité, la diligence et l’exhaustivité des renseignements présentés à la Commission ontarienne des libérations conditionnelles. Le soutien fourni aux détenus pour leur demande de libération conditionnelle est insuffisant. Il n’est pas réaliste d’attendre des détenus qu’ils mettent sur pied et documentent un plan de libération complet, et ce, depuis un établissement correctionnel et en un laps de temps restreint. Les échéanciers pour la préparation et l’examen des demandes de libération conditionnelle constituent également un obstacle important : la majorité des détenus seront libérés avant même d’obtenir une audience de libération conditionnelle.
La Commission ontarienne des libérations conditionnelles admet plusieurs de ces préoccupations importantes et a entamé un dialogue avec le ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels, ainsi qu’avec le ministère du Procureur général, afin de s’assurer d’obtenir les renseignements requis et les ressources nécessaires pour remplir correctement son mandat statutaire. De nouvelles ressources et un engagement transformationnel ferme seront nécessaires afin d’assurer que les libérations conditionnelles provinciales en Ontario remplissent leur rôle et participent à la libération progressive, à la réinsertion et à la sécurité au sein de la collectivité.
Un éventail de ressources communautaires pourraient être utilisées pour augmenter le nombre d’absences temporaires et de libérations conditionnelles, et pour aider à la libération et à la réinsertion. Dans les années 1990, le ministère a financé un certain nombre de centres de ressources communautaires qui servaient de maisons de transition. Ces centres ont été fermés au milieu des années 1990. Malgré de nombreuses recommandations en faveur de leur réouverture, le ministère n’a pris aucune mesure concrète dans ce sens.
Le ministère a conclu un certain nombre d’ententes résidentielles communautaires avec des organismes communautaires pour offrir un hébergement et des traitements ou programmes résidentiels pour détenus et clients sous surveillance communautaire. Cependant, la capacité d’accueil de ces installations est extrêmement limitée. Les quelques places qui existent sont utilisées presque exclusivement par des personnes qui sont déjà surveillées dans la communauté. Un large éventail d’organismes, de programmes et de services communautaires ont une vaste expérience d’aide aux populations marginalisées et à risque. Le système correctionnel ontarien pourrait considérablement augmenter son intégration avec les services et programmes communautaires existants, améliorer la réinsertion, la prestation de services, la continuité des soins et la sécurité publique.
Les Indigènes et les Services correctionnels de l’Ontario
Les Indigènes constituent environ 2 % de la population totale en Ontario, mais en 2016 ils représentaient 13 % des détenus provinciaux. La surreprésentation des Indigènes dans le système correctionnel a bien été documentée et n’est qu’un symptôme de plusieurs siècles de colonialisme et de discrimination.
Bien que les conclusions et les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation ont donné un second souffle aux efforts visant à résoudre de façon significative la discrimination systémique dans les services correctionnels, beaucoup de travail reste à faire. Les engagements précis pris par les Services correctionnels de l’Ontario envers la Commission de vérité et réconciliation se concentrent uniquement sur l’offre de service aux Indigènes en détention ou sous surveillance communautaire. Les conclusions et les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation sur les Indigènes et le système correctionnel allaient bien au-delà de la simple incorporation de services et de soutien aux Indigènes; ils comprenaient des appels à éliminer la surreprésentation des Indigènes en détention, à créer des huttes de guérison pour Indigènes supplémentaires et à augmenter le soutien aux programmes pour Indigènes dans les maisons de transition et les services de libération conditionnelle. Bien que certains des appels à l’action visent directement le gouvernement fédéral, ceux-ci demeurent pertinents pour les établissements correctionnels provinciaux et devraient être pris en compte alors que l’Ontario va de l’avant avec une modernisation de son système provincial.
L’ensemble des recommandations du présent rapport doivent être abordées sous l’angle indigène afin de déceler les obstacles qui leur sont propres et les mesures qui peuvent atténuer leur incidence sur les Indigènes. Il faut également tenir compte des circonstances des Indigènes et des répercussions actuelles du colonialisme et de la discrimination systémique au sein du système judiciaire de manière proactive durant les processus de prise de décision au sein des services correctionnels. Dans la décision de 1999 R. c. Gladue, la Cour suprême du Canada a enjoint les tribunaux à prêter attention aux circonstances particulières des délinquants autochtones pour toutes leurs décisions de condamnation. Malgré les décisions juridiques claires stipulant que les principes de Gladue s’appliquent chaque fois que la liberté d’un indigène est en jeu, on ne sait pas quand et comment ces facteurs sont pris en considération dans le contexte correctionnel ontarien.
La structure actuelle permettant d’aborder des problématiques indigènes au sein des établissements correctionnels est limitée. Les recommandations au ministère en vue de créer une unité permanente centralisée pour les Indigènes n’ont pas été mises en œuvre. Il est peu probable qu’en l’absence d’une division autochtone centrale et permanente dotée de décideurs de haut niveau avec un réel pouvoir décisionnel, les changements fondamentaux requis aient lieu. Les agents de liaison pour les détenus indigènes offrent des services aux détenus indigènes au sein des établissements correctionnels. Cependant, ces postes ne sont pas toujours pourvus, et le nombre de dossiers confiés à ces agents varie considérablement d’un établissement à l’autre. Les personnes interrogées ont indiqué que les agents de liaison avec les détenus indigènes doivent traiter de nombreux dossiers, reçoivent une formation sommaire, bénéficient d’une rémunération relativement faible, n’ont pas de remplaçant pour leurs jours de vacances ou de maladie et n’ont que peu ou pas de soutien administratif. Les différences entre les politiques des employeurs des agents de liaison avec les détenus indigènes (souvent des organismes communautaires) et du ministère viennent saper la logique sous-jacente au fait de faire appel à des fournisseurs de service externe.
En dehors des établissements, le ministère établit des ententes avec des personnes et des communautés des Premières Nations pour employer des travailleurs correctionnels communautaires chargés d’aider à la surveillance communautaire dans les régions éloignées. Il n’existe pas de politique du ministère définissant le poste, les responsabilités ou les fonctions de ces agents, et les termes de leurs contrats varient grandement. Il existe également d’importants défis de dotation en personnel : sur les 44 postes existant dans la région du Nord, seuls 18 (41 %) sont actuellement pourvus.
Services de santé et gouvernance
Malgré les efforts louables du personnel de santé des services correctionnels, l’Ontario a du mal à satisfaire les besoins de santé complexes de la population carcérale. Il existe d’importantes lacunes dans les services de santé fournis dans les établissements correctionnels provinciaux; dans certains cas, la prestation de soins de santé est même en deçà des normes de la collectivité. Le système est en grande partie réactif et destiné principalement à soigner les problèmes de santé les plus graves et les plus urgents. Fondamentalement, il s’agit d’un système pour lequel les soins de santé ne sont qu’un service parmi d’autres services ou programmes offerts aux détenus, et non un droit essentiel et une obligation du gouvernement.
Une partie du problème en Ontario puise ses origines dans la gouvernance et dans la structure de prestation de services actuelles. Le ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario est responsable de la grande majorité du secteur de la santé dans la province. Cependant, pour la population carcérale adulte, la responsabilité des soins de santé incombe au ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels, dont le mandat principal est, comme son nom l’indique, la sécurité communautaire et les services correctionnels, et non pas la santé.
Le gouvernement de l’Ontario reconnaît qu’un changement doit intervenir dans la façon dont les soins de santé sont fournis dans les établissements correctionnels. Il s’agit là d’un développement bienvenu et encourageant. Il existe un consensus international et universitaire sur le fait que la responsabilité des soins de santé dans les établissements correctionnels doit incomber à l’instance gouvernementale responsable de la santé. De nombreux territoires de compétence, dont quatre provinces canadiennes, ont transféré la responsabilité des soins de santé au sein de leurs établissements correctionnels vers leurs autorités de la santé.
La réforme de services de santé pour cette population et le transfert des responsabilités au ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario impliquent un processus complexe comportant plusieurs étapes. Toutefois, l’enjeu n’est pas de savoir si ce changement devrait se produire, mais comment le mettre en œuvre. L’Ontario doit déclarer son engagement à un haut niveau envers ce transfert, fournir une orientation claire pour la création du nouveau système et élaborer un plan de mise en œuvre par étapes.
Il faudrait évaluer tous les modèles de gouvernance et de prestation de services en fonction de leur capacité à offrir une approche de soins dans les établissements correctionnels qui soit axée sur des principes et sur la santé, et à se doter d’une structure de responsabilisation accrue. Les principes clés suivants doivent servir de critères d’évaluation des modèles proposés:
- définition large de « santé » et de « soins de santé »
- l’équivalence, l’accessibilité et la continuité des soins
- indépendance clinique
- intégration au système de soins de santé provincial
- mécanismes d’imputabilité robustes
- environnement d’emploi stable axé sur la santé pour les fournisseurs de services de santé au sein des établissements correctionnels
Notre étude préliminaire des modèles proposés à ce jour suggère qu’un certain niveau de gouvernance centralisée par le ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario sera nécessaire. Cela dit, il faudra mener une consultation plus large et une recherche plus approfondie avant de prendre une décision. Mais la nécessité d’une réflexion et d’une étude plus poussées ne devrait pas retarder indûment l’avancée de ce projet.