Si nous lisons les étiquettes à l'arrière des bouteilles de vin, nous avons entendu dire que les vins de qualité élevée ne proviennent que des vins au faible rendement, mais est-ce vraiment le cas? Assez d'expériences, à la fois pratiques et basées sur la recherche, ont montré que les effets du rendement dépendent du lieu surtout, et par conséquent de la vigueur de la vigne ou de son équilibre. La raison première de son équilibre est la charge en fruits de la vigne (indice de Ravaz), qui est le rapport du rendement par vigne à la grosseur de celle-ci (poids des sarments élagués). Un indice de Ravaz entre 5 et 12 est normalement accepté comme étant équilibré, alors que d'un indice inférieur représente une trop grande vigueur, et une valeur supérieure à 12 peut être synonyme de vigne surexploitée. L'expérience a démontré que des cépages comme le Pinot noir tend à être très sensible à la surexploitation et par conséquent des indices plus près de 5 sont acceptés comme idéaux, alors que les cépages blancs aromatiques comme le Riesling peuvent normalement être cultivés à des indices Ravaz plus près de 10 à 12.

De par le monde, des douzaines d'études sur l'éclaircissage de la culture ont été effectuées sur de nombreux cépages. En général, les effets préjudiciables d'un rendement élevé sont : 1) plus prononcés sous des climats plus frais, parce que la maturité est retardée; 2) dépendants du millésime; 3) dépendants aussi du lieu et du cépage. Quand je travaillais en Colombie-Britannique, nous avons mené des études de contrôle des récoltes dans le Riesling, le Gewurztraminer et le Pinot noir. Abaisser les niveaux de cultures dans le Pinot noir avait des effets positifs tout le temps, mais l'éclaircissage des grappes de Riesling et de Gewurztraminer donnait des résultats ambigus. En Ontario notre groupe de recherche a effectué des travaux sur l'éclaircissage des grappes dans le Chardonnay musqué, le Merlot, le Cabernet franc et le Cabernet Sauvignon. La réduction de la charge en fruits dans des cépages de Bordeaux rouges du Niagara avait amélioré la couleur, les phénols et la qualité du vin lors d'une saison fraîche, mais avait été moins efficace lors de saisons chaudes. Dans le Chardonnay musqué, abaisser la récolte avait amélioré les terpènes (composés responsables de la saveur musquée) et rehaussé la qualité du vin lors de saisons fraîches, mais avait eu peu d'incidence les années plus chaudes.

Chapman et coll. (2004) ont étudié en Californie le rôle du rendement sur les propriétés organoleptiques du Cabernet Sauvignon avec de l'élagage et de l'éclaircissage des grappes pour modifier le rendement. Les vignes de Cabernet Sauvignon ont été soumises à six traitements d'élagage d'hiver pendant deux ans et huit traitements d'éclaircissage des grappes par année, avec un éclaircissage imposé à la véraison. Ces traitements ont produit des rendements variant de 4,3 à 22,2 t/ha. Les vins élaborés à partir des vignes élaguées à un nombre plus faible de bourgeons (donc à « faible rendement ») avaient une saveur et un arôme de « végétal » plus prononcés, une note de poivron doux, l'amertume et l'astringence des vins à « hauts rendements ». Inversement, les vins provenant de vignes élaguées à un nombre élevé de bourgeons montraient des arômes plus marqués de petits fruits noirs ou rouges, de confiture et de fruits frais, et la saveur fruitée que les vins de plus faible rendement. En général, les notes « végétales » perdaient de l'intensité et les qualités « fruitées » en gagnaient à mesure que le nombre de noeuds et le rendement augmentaient.

Une étude récente menée par Nick Dokoozlian de Gallo Wines en Californie a examiné l'effet des traitements de la charge en fruits (sous exploitation, équilibre, surexploitation) dans le Cabernet Sauvignon sur la relation entre les degrés Brix à la récolte et les concentrations en méthoxypyrazines, les composés responsables de son caractère « végétal ». Dans les vignes dont la culture était sous exploitée et surexploitée, le fruit atteignait presque 29 oBrix avant de présenter une chute sous le seuil critique du caractère des méthoxypyrazines quand il pouvait être récolté, mais dans les vignes équilibrées, le seuil était atteint à 24 oBrix. On en a conclu que le nombre de degrés Brix du fruit et la saveur étaient beaucoup mieux synchronisés dans les vignes qui sont équilibrées.

Récemment, notre groupe a étudié les impacts des rendements qui variaient naturellement sur la composition des vins et leurs qualités organoleptiques dans le Riesling et le Cabernet franc. Aucun éclaircissage des grappes n'a été effectué. Les parcelles étaient situées dans cinq des 10 appellations sous-régionales VQA. Les pratiques culturales, y compris l'émondage et la gestion du couvert, étaient les mêmes que pour chaque parcelle du vignoble. Les rendements des vignes étaient divisés en trois catégories égales, de « faibles », « moyens » et « élevés » à la récolte (avec trois essais répétés au même endroit). Comme chaque lieu était différent en terme de vigueur, les fourchettes de rendement étaient aussi différentes; p. ex. les rendements élevés et faibles dans le cas du Riesling (moyennes de la catégorie) allaient de 6,7 à 3,7 kg/vigne pour le lieu dont le rendement était le plus élevé, à 5,0 et 3,0 kg/vigne pour l'endroit avec le rendement le plus faible. Le rendement était grandement influé par le nombre de grappes / vigne, et aussi associé à de gros raisins et des indices de Ravaz plus élevés. Tous les vins qui en étaient issus ont été analysés pour le pH et l'acidité totale (AT), et les vins de Cabernet franc ont aussi subi des analyses pour la tonalité et l'intensité de la robe, les teneurs en anthocyanines et en phénols totaux. Tous les vins faisant partie des essais répétés ont été évalués avec succès par un jury de dégustation afin de confirmer les différences entre les vins produits dans des catégories différentes de rendement et les différents endroits. Tous les vins ont été soumis à une analyse descriptive.

Règle générale, dans certains endroits nous avons trouvé que les rendements pouvaient s'élever jusqu'à 7 ou 8 tonnes/acre avant que la surexploitation ait un impact sur la qualité du vin. Des vins à faibles rendements de Cabernet franc avaient une couleur plus riche, plus d'anthocyanines et de phénols totaux mais la variation naturelle du rendement n'influait pas sur l'AT ou le pH de chacun des cépages. Quand on augmentait le rendement dans le Cabernet franc, la concentration de sec-butyl méthoxypyrazine était réduite et l'isobutylméthoxypyrazine (IBMP) augmentait. L'IBMP augmentait avec les niveaux plus élevés de récolte dans trois vignobles (Beamsville Bench, Lincoln Lakeshore North, Lincoln Lakeshore South). Cinq arômes et huit attributs de saveur du Riesling et trois arômes et six attributs de saveur du Cabernet franc différaient entre les différentes catégories de rendement dans l'analyse descriptive. Les Riesling à hauts rendements de certains endroits ont été associés à une intensité plus faible du caractère fruité et des attributs floraux ou minéraux plus élevés. Les Cabernet avec rendement plus élevé, une taille plus sévère de la vigne et un plus grand nombre de grappes / vigne, ont souvent produit des vins avec plus de notes de poivron et moins de fruit.

Les appellations sous-régionales avaient aussi eu un effet sur le profil sensoriel des vins. Les Riesling des vignobles Lincoln Lakeshore (North) et Niagara Lakeshore étaient associés à des caractères plus minéraux, le Four Mile Creek avait plus d'arôme pomme/poire, et les vignobles St. Davids Bench, Beamsville Bench et Lincoln Lakeshore (South) montraient les notes les plus élevées de fruits et d'agrumes. Les appellations sous-régionales de Cabernet franc des vignobles de Beamsville Bench et de Four Mile Creek montraient l'arôme le plus élevé de poivron, le vignoble de Lincoln Lakeshore (North) a été associé à un goût de terroir, et l'appellation sous-régionale Lincoln à un caractère de fruits cuits plus élevé.

Que doit-on en retenir? Les effets de la charge en fruits diffèrent d'un endroit à l'autre, en partie à cause de la diversité des rendements d'un endroit à l'autre, de même que de l'importance de la variabilité à chaque endroit. Les parcelles avec une variabilité dans les faibles rendements tendront moins à afficher des effets sur le rendement. Ces données étaient basées sur une saison, celle de 2010, qui a été assez chaude. Nous prévoyons répéter les essais sur les vins de 2011 au printemps qui vient.

Nos remerciements à Lee Baker, qui a procédé à toutes les analyses sensorielles, à Mary Jasinski pour les analyses géomatiques, ainsi qu'à Gary Pickering et à Susanne Kogel pour les analyses d'IBMP.