La drosophile à ailes tachetées (DAT), Drosophila suzukii, est une mouche à fruit envahissante observée pour la première fois en Ontario en 2011. La DAT s'attaque aux framboises, aux bleuets, aux mûres, aux fraises à production continue et autres fruits mous au fil de leur mûrissement, affectant ainsi la durée d'étalage et l'attrait pour les consommateurs. L'adulte de la DAT quitte les champs infestés pour s'installer dans les boisés et les haies à la fin de l'automne. On peut la trouver dans cet habitat sauvage jusqu'à l'arrivée de l'hiver, mais très peu sont détectées au printemps. La DAT retourne vers les cultures de petits fruits lorsque ceux-ci commencent à mûrir. Les producteurs luttent actuellement contre la DAT par des épandages périodiques d'insecticides et des calendriers de récolte rigoureux. Par contre, cette approche est coûteuse et non durable à long terme. Les chercheurs et les producteurs continuent de chercher de nouvelles approches de lutte contre la DAT.

À ce propos, l'un des nouveaux moyens serait le recours à des écrans ou filets pour empêcher la DAT de pénétrer dans le champ. Cette technique a été utilisée pour empêcher les insectes d'envahir les cultures de serre. Les chercheurs, dans l'État de New York, au Québec et au Vermont, ont fait l'essai de filets protecteurs à petite échelle pour lutter contre la DAT dans la culture de petits fruits. Il ressort de ces projets que protéger la culture par un filet de 1 x 0,60 mm - 80 g/m2 (ProtekNet) permet d'interdire la DAT à cet endroit, sans affecter le rendement ou la qualité des fruits à court terme. Un filet plus léger (60 g/m2) n'a pas été aussi efficace que celui de 80 g/m2.

À l'été 2015, nous avons travaillé avec deux producteurs du Sud de l'Ontario afin d'évaluer l'efficacité des filets protecteurs contre la DAT. Le grand objectif était de faire la démonstration pour acquérir de l'expérience dans l'utilisation de ce produit et évaluer ses capacités de répression de la DAT dans les cultures de petits fruits.

À deux endroits, nous avons fourni aux producteurs des filets anti-insectes de 80 g/m2 pour couvrir de petits secteurs de leur culture. Ils ont installé les filets selon leurs propres concepts et ressources. Deux rangées de framboisiers ont été couvertes le 4 juillet à l'emplacement A (figures 1 et 2) et une rangée de bleuets a été couverte le 20 juillet à l'emplacement B (figures 3 et 4). Les populations de DAT ont été vérifiées à l'intérieur et à l'extérieur de la zone sous filets à l'aide de pièges appâtés au vinaigre de cidre de pomme additionné de 10 % d'éthanol. Les dommages aux fruits infligés par la DAT ont été évalués par la collecte hebdomadaire d'échantillons de fruits commercialisables à l'intérieur et à l'extérieur des zones sous filets aux deux endroits. Ces échantillons ont été incubés à température ambiante dans des contenants ventilés à l'épreuve des insectes pendant trois semaines. Les mouches de DAT sortant de ces échantillons ont été recueillies et dénombrées de routine.

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Figure 1 : Essai de filet protecteur sur des mûriers, EMPLACEMENT A - à l'extérieur du filet

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Figure 2 : Essai de filet protecteur sur des mûriers, EMPLACEMENT A - à l'intérieur du filet

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Figure 3 : Essai de filet protecteur sur des plants de bleuet, EMPLACEMENT B - extérieur du filet

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Figure 4 : Essai de filet protecteur sur des plants de bleuet, EMPLACEMENT B - intérieur du filet

À l'emplacement A, aucune DAT n'a été piégée à l'intérieur du filet avant la semaine du 1er août. Par contre, nous avons pris au piège des DAT à l'intérieur du filet sur les framboisiers et à d'autres endroits de l'exploitation pendant quatre semaines avant ce stade. Le 3 août, le filet protégeant les mûriers a été déchiré par une tempête et a été refermé le matin suivant. Pour essayer de piéger toutes les DAT qui avaient pénétré le filet pendant cette période, on a installé 12 pièges supplémentaires à appât Suzuki à l'intérieur du filet afin de faire la collecte des mouches de DAT. Cette tentative n'a pas été efficace et les populations de DAT ont continué d'augmenter à l'intérieur et à l'extérieur du filet (tableau 1) après le 3 août.

À l'emplacement A, 60 fruits ont été recueillis à l'intérieur (mûres) et à l'extérieur (framboises) du filet, chaque semaine, pour l'évaluation des fruits. La DAT n'a pas été décelée à l'intérieur sur les échantillons de mûres recueillis avant le 3 août, mais a été détectée à l'extérieur sur les framboisiers chaque semaine. Les DAT ont commencé à sortir des fruits recueillis à compter du 4 août, à la suite de l'ouverture du filet. Tous les échantillons de mûres recueillies après cette date contenaient des DAT et le nombre de larves relevées par échantillon a continué d'augmenter chaque semaine.

Tableau 1: Emplacement A, DAT prises au piège sur les mères
Semaine finissantNombre total de DAT/4 pièges
Intérieur filet (VCP)
Nombre moyen de DAT/4 pièges
Intérieur du filet (appât Suzuki)
Nombre total de DAT/4 pièges
Extérieur filet (VCP)
Nombre total de DAT/ 4 pièges
Environs de la ferme (VCP)
04-juil-15
0
-
0
0
11-juil-15
0
-
0
1
18-juil-15
0
-
1
1
25-juil-15
0
-
12
10
01-août-15
0
-
29
24
(Filet endommagé par la tempête le 3 août)
 
 
 
 
08-août-15
14
-
55
124
15-août-15
37
12
151
434
22-août-15
6
6
39
180
29-août-15
73
161
432
-
05-sept-15
232
433
464
-
12-sept-15
172
455
128
-

Les plants de bleuet de l'emplacement B ont subi des blessures hivernales et la récolte était clairsemée. Aucune DAT n'a été retrouvée dans les pièges à l'intérieur du filet de l'emplacement B pendant la durée de l'essai. On a retrouvé un nombre croissant de DAT dans les pièges à l'extérieur du filet. La pression des ravageurs, telle que mesurée par le nombre de DAT dans les pièges, était plus élevée aux autres endroits de la ferme comparativement au secteur des plants de bleuets, peut-être en raison de la maigre récolte et des lésions hivernales à cet endroit. Le filet a été retiré à la fin de la récolte de bleuets dans la semaine se terminant le 15 août 2015; 24 DAT se sont prises au piège dans ce secteur peu de temps après l'enlèvement du filet. Comparativement aux populations à l'intérieur et à l'extérieur du filet, il est évident que le filet de protection a permis d'interdire la DAT à cet endroit (tableau 2).

À l'emplacement B, on a cueilli de 25 à 50 fruits à l'intérieur et à l'extérieur du filet chaque semaine. Aucune DAT n'a été décelée dans les fruits cueillis à l'intérieur du filet avant son enlèvement. Les fruits cueillis à l'extérieur du filet n'étaient pas non plus attaqués par la DAT, sauf les échantillons recueillis dans la semaine du 20 juillet.

Tableau 2: Emplacement B, DAT prises au piège dana les plants de bleuets
Semaine finissantNombre total de DAT/4 pièges
Intérieur filet (VCP)
Nombre total de DAT/4 pièges
Extérieur filet (VCP)
Nombre total de DAT/ 4 pièges
Environs de la ferme (VCP)
11-juil-15
0
0
5
18-juil-15
0
1
18
25-juil-15
0
1
20
01-août-15
0
4
190
08-août-15
0
21
654
15-août-15
0
132
3 193
(Filet enlevé le 14 août)
 
 
 
22-août-15
24
47
2 829

L'essai a fait ressortir certains des facteurs dont tenir compte et des aspects justifiant plus de recherches, afin que le filet protecteur devienne une solution rentable de lutte contre la DAT.

Coût

Le coût total de l'installation des filets est important et doit comprendre le coût du tissu du filet lui même, de la main-d'œuvre pour l'installer, de la construction de la structure, de l'entretien et des réparations. Ces coûts seront compensés par les gains obtenus grâce à la production de fruits de meilleure qualité, à un meilleur rendement et à un besoin réduit de pulvérisations.

Construction

Il est essentiel de construire une structure solide et sécuritaire pour l'installation du filet, car il doit être complètement scellé, sans la moindre ouverture. Les zones les plus à risque de brèches sont les bords inférieurs du filet, l'entrée et les coutures dans le tissu. La solution idéale pour l'entrée est d'installer des doubles portes afin que les travailleurs puissent entrer au besoin, tout en conservant également une protection maximale empêchant les DAT de s'engouffrer dans l'ouverture ainsi créée.

Accessibilité

Les dimensions de la zone sous filet et de l'entrée dans celle ci détermineront son accessibilité pour les travailleurs et le matériel. La structure doit être suffisamment grande pour que les travailleurs puissent se déplacer librement à l'intérieur pendant la récolte. La porte doit être facile à ouvrir et fermer hermétiquement.

Microclimat

La température à l'intérieur du filet pendant la journée était d'environ 2,3° C de plus qu'à l'extérieur du filet. Par temps chaud et humide, le travail à l'intérieur du filet, compte tenu d'une circulation d'air limitée, peut être épuisant. Le fait que la ventilation est moindre et que les températures sont plus élevées peut poser un risque de développement de maladies ou de ravageurs, par exemple l'oïdium et les tétranyques; par contre, tel n'a pas été le cas dans notre essai.

Autres ravageurs

Il est important d'utiliser les filets dans des champs relativement dépourvus de ravageurs hivernants, par exemple le scarabée japonais et la mouche du bleuet, parce que ces ravageurs hivernent dans le champ et peuvent émerger à l'intérieur du filet. Il faut aussi un plan de lutte au cas où ces ravageurs deviendraient un problème. De plus, le filet exclut les ravageurs de plus grande taille qui peuvent endommager la culture, par exemple les oiseaux, ce qui offre un avantage appréciable.

Pollinisation

Les filets anti-insectes excluent également les polinisateurs. Par conséquent, il est important d'installer le filet après la floraison, mais avant le mûrissement du fruit. Dans le cas des cultures qui fleurissent et portent fruit en même temps, par exemple les framboisiers remontants ou les fraisiers à production continue, il peut falloir introduire les abeilles à l'intérieur de la structure pour garantir la pollinisation.

Répression des mauvaises herbes

Les mauvaises herbes prospéreront à l'intérieur du filet, qui constitue un environnement chaud et abrité. La tonte pourrait poser problème en raison de l'accès limité et du peu d'espace à l'intérieur du filet. L'utilisation d'un géotextile ou de paillis de copeaux de bois peut permettre de réduire la présence des mauvaises herbes à l'intérieur de la structure.

Autres observations

Les deux producteurs qui ont pris part à cet essai estimaient que la démonstration valait la peine et ils seraient intéressés à couvrir des parcelles de plus grandes dimensions. Malgré la rupture du filet, le producteur A a signalé une amélioration notable de la qualité des fruits et une hausse de 150 % du rendement comparativement aux années précédentes. L'augmentation du rendement était due à la période de récolte plus longue des mûres et à une amélioration de la qualité du fruit, car il a été moins affecté par la DAT. Dans le site B, il n'y avait pas de DAT à l'intérieur du filet pendant toute la durée de la saison de croissance et en outre, les dommages provoqués par les oiseaux étaient également moindres.

Les filets de protection ont été mis à l'essai dans plusieurs autres régions. Voir aussi : « Evaluation of Insect Exclusion and Mass Trapping as Cultural Controls of Spotted Wing Drosophila in Organic Blueberry Production » par L. McDermott et L. Nickerson. Cet article se trouve dans le numéro du printemps 2014 de New York Fruit Quarterly.

En 2015, l'article « An Investigation of Insect Netting Trellis Systems to Manage Spotted Wing Drosophila for Vermont Blueberry Farms » par Hannah Lee Link, a été publié par l'Université du Vermont et peut être repéré par une recherche sur les mots clés du titre.