Introduction

Les hémérocalles (Hemerocallis sp.) comptent parmi les plantes herbacées vivaces les plus vendues en Amérique du Nord. Membres de la famille des liliacées, les hémérocalles produisent des bouquets de fleurs superbes semblables au lys. Chaque fleur fane au bout d’une journée (figure 1). Les hémérocalles sont originaires des vieux pays, depuis l’Europe centrale jusqu'à la Chine et au Japon. La plupart des sélections offertes aux jardiniers d’Amérique du Nord sont des hybrides cultivés issus d’espèces d’origine. Les hémérocalles sont le plus souvent propagées par division de touffes au printemps ou à l’automne. Les plants sont repiqués au champ ou dans des contenants et y poussent jusqu'à ce qu'ils soient prêts à être vendus. La popularité exceptionnelle de la culture et de la sélection de l’hémérocalle a amené la formation partout en Amérique du Nord d’importantes associations à l’échelle des États américains, des provinces canadiennes ou d’envergure nationale.

Originaire d’Asie, la rouille de l’hémérocalle (Puccinia hemerocallidis) a été vue pour la première fois en Amérique du Nord dans le sud des États-Unis en 2000. La maladie s'est vite répandue et a été signalée en 2001 en différents points des États-Unis et du Canada. La rouille de l’hémérocalle menace la production et la culture des hémérocalles en Amérique du Nord. Pour lutter efficacement contre cette maladie, il est important de savoir l’identifier correctement et de bien en comprendre la biologie

Fleur d'hémérocalle 'Pardon Me'.

Figure 1. Fleur d’hémérocalle « Pardon Me ».

Symptômes

La rouille de l’hémérocalle est causée par un champignon, Puccinia hemerocallidis.Ce champignon n'infecte et ne colonise que les tissus verts vivants des plantes hôtes (figure 2). Il peut infecter les feuilles et les tiges florales des hémérocalles mais pas leurs racines ni leurs collets. Sous des conditions favorables à l’éclosion de la maladie, les symptômes apparaissent 3–7 jours après l’infection. Chez les cultivars très sensibles, les symptômes se manifestent par de petites pustules jaune orangé de forme ovale (figure 3, urédosores immatures). Chez les cultivars sensibles, les zones chlorotiques entre les pustules finissent souvent par se fondre et devenir passablement apparentes (figure 3, symptômes foliaires graves). Chez les cultivars moins sensibles, les pustules ne sont pas aussi nombreuses et sont entourées de tissus foliaires morts de couleur brun ocre. Les pustules renferment des centaines de spores d’été de couleur rouille (urédospores). Ces spores peuvent être facilement transportées par le vent ou par les vêtements, bottes ou outils auxquels elles adhèrent. Ce sont ces spores d’été qui, à la fin de l’été et à l’automne, infectent à répétition les feuilles et les tiges florales des hémérocalles avoisinantes. Le champignon a besoin de tissus verts vivants pour continuer à se propager et produire les spores d’été de couleur rouille. À l’automne, avant que les feuilles ne commencent à flétrir ou à mourir naturellement, de nouvelles infections produiront des pustules allant du brun foncé au noir, pustules qui renferment les spores d’hiver ou spores au repos (figure 3, téleutospores).

Urédosores de couleur rouille (spores d'été) sur une feuille d'hémérocalle.

Figure 2. Les spores de la rouille de l’hémérocalle s'enlèvent facilement par simple toucher du doigt.

La rouille de l'hémérocalle et son cycle biologique.

Figure 3. Cycle biologique de la rouille de l’hémérocalle (Puccinia hemerocallidis). Les deux médaillons en bas à gauche montrent la valériane du genre Patrinia, qui constitue un rôle intermédiaire. Les flèches pointillées vertes indiquent le rôle incertain des espèces du genre Patrinia dans le cycle biologique de la rouille de l’hémérocalle en Ontario. Les flèches pleines rouges indiquent le stade de production répétée de spores d’été qui est observé en Ontario de la mi-été à la mi-automne. La flèche pleine bleue indique la transition du stade de la production de spores d’été à celui de la production de spores d’hiver. La flèche pleine noire indique le stade hivernant des spores d’hiver. Voir le texte pour plus de détails. *Photos prises au microscope, au grossissement de 400-1000x.

Biologie et cycle biologique

La biologie du champignon F. hemerocallidis est complexe. Pour que le cycle biologique complet se réalise, il faut deux espèces différentes de plantes hôtes et cinq types différents de spores de la rouille (figure 3). Au printemps, les spores d’hiver foncées (les téleutospores) germent et produisent une autre série de spores qui ne peuvent infecter que les hôtes intermédiaires, Patrinia spp. Sur les plantes du genre Patrinia, deux autres stades de sporulation se produisent, accompagnés de leurs symptômes distinctifs (Bergeron, 2004). L’été, les spores produites sur Patrinia peuvent infecter les hémérocalles. Ces infections se manifestent par l’apparition de taches jaunes, appelées urédosores, qui produisent les spores d’été (urédospores) responsables des infections à répétition des hémérocalles. Plusieurs cycles de réinfection peuvent se produire chaque semaine si les conditions sont propices à l’éclosion et à la propagation de la rouille. Sous l’effet du refroidissement des températures et de la sénescence des feuilles, les urédosores ralentissent leur production d’urédospores et commencent à produire des spores d’hiver foncées, appelées téleutospores. Pendant cette transition, une même pustule peut renfermer à la fois des téleutospores et des urédospores. Les pustules commencent alors à foncer au fur et à mesure de la production des téleutospores. Les masses de téleutospores (appelées télies) hivernent et germent au printemps, ce qui assure la poursuite du cycle biologique.

Encore une fois, le stade téleutospore du champignon ne semble pas nécessaire pour que la maladie se manifeste à nouveau au cours de la saison de croissance qui suit. Le champignon peut survivre à l’hiver sur des cultivars qui ont un feuillage persistant, sur les plants rentrés à l’intérieur ou sur les plants qui hivernent dans une serre froide (soumise à un minimum de chauffage).

Hôtes intermédiaires

Les plantes herbacées vivaces du genre Patrinia sont les hôtes intermédiaires de la rouille de l’hémérocalle. Ce sont les valérianes, Patrinia spp., qui font partie de la famille des valérianacées (figure 3, Patrinia). Elles ont des inflorescences formées de petites fleurs jaunes et des feuilles rappelant des palmes. Les valérianes sont souvent utilisées dans les jardins légèrement ou partiellement ombragés. Elles sont originaires d’Asie, mais plusieurs espèces, dont P. gibbosa, P. triloba, P. villosa et P. rupstris, sont vendues aux États-Unis aussi bien que dans les régions tempérées du Canada. Les espèces du genre Patrinia n'étant pas des vivaces communes des jardins d’Amérique du Nord, elles risquent peu de causer la propagation de la rouille de l’hémérocalle dans les aménagements paysagers. Toutefois, on connaît encore mal le rôle de ces espèces dans le cycle biologique de la rouille de l’hémérocalle en Amérique du Nord.

On possède peu d’information sur la survie de la rouille de l’hémérocalle dans les régions tempérées nordiques comme celles du Canada. Il se peut que la maladie puisse se passer des hôtes intermédiaires que sont les espèces du genre Patrinia, puisque le champignon peut survivre à l’hiver sur des cultivars à feuillage persistant, sur les plants rentrés à l’intérieur ou sur les plants qui hivernent dans une serre froide (soumise à un minimum de chauffage).

Conditions environnementales favorables à l’éclosion de la maladie

En Ontario, la rouille de l’hémérocalle ne se manifeste normalement pas avant la fin de l’été et le début de l’automne. Des études montrent que la germination des spores d’été se produit surtout sous les 22–24 °C, en présence d’une forte humidité (même si la germination peut se produire sous les 7–34 °C). Le froid (4 °C) et les grandes chaleurs (36 °C) empêchent la germination des spores d’été. La maladie ne se propage donc pas par temps particulièrement chaud, sec ou froid. Les feuilles doivent rester mouillées pendant au moins 5–6 heures pour que se produisent la germination des spores et l’infection des feuilles. Une forte intensité lumineuse nuit par ailleurs à la germination des spores d’été.

Sous des conditions favorables, des centaines et des milliers de spores d’été peuvent être produites sur chaque feuille infectée et peuvent se propager rapidement, d’où la menace que cette maladie représente pour les cultures d’hémérocalles. Cette phase du cycle biologique peut se répéter encore et encore pendant les périodes de temps doux marquées par de la pluie ou la présence de rosée; la maladie peut alors prendre des proportions épidémiques.

Vulnérabilité des cultivars

La rouille de l’hémérocalle ne fait pas nécessairement mourir les plants, mais peut en miner la vigueur et les rendre vulnérables à d’autres ennemis des cultures et compromettre ainsi leur commercialisation. Des différences dans la vulnérabilité des cultivars à la rouille de l’hémérocalle ont été observées au cours d’expériences menées à l’université de Georgie ainsi qu'à l’Université de Guelph. Comme peu de cultivars ont été étudiés jusqu'ici, d’autres travaux sont nécessaires pour déterminer la sensibilité et la résistance des cultivars. Voici un aperçu des cultivars reconnus comme étant :

  • sensibles (c.-à-d. sur lesquels on retrouve de nombreuses pustules renfermant une multitude de spores d’été) : « Buttercup », « Catherine Woodbury », « Cherry Cheeks », « Colonel Scarborough », « Couble », « Imperial Guard », « Irish Ice », « Ming Toy », « Pardon Me », « Karie Ann », « Lemon Yellow », « Little Gypsy Vagabond », « Pandora's Box », « Quannah » et « Russian Rhapsody »';
  • moyennement sensibles (c.-à-d. sur lesquels on retrouve moins de pustules et des pustules souvent entourées de tissus foliaires nécrosés allant du brun à l’ocre et renfermant moins de spores d’été) : « Butterflake », « Condon », « Crystal Tide », « Gerturde », « Happy Returns », « Prelude to Love », « Joan Senior », « Pandora's Box », « Rosy Returns », « Star Struck », « Stella D’Oro », « Summer Wine », « Wilson's Yellow » (et Hemerocallis fulva);
  • peu sensibles (c.-à-d. sur lesquels l’infection a peu de prise sinon aucune) : « Butterscotch Ruffles », « Holy Spirit », « Mac the Knife » et « Yangtze ».

Diagnostic de la rouille de l’hémérocalle

Voici comment éviter que la rouille de l’hémérocalle ne se propage quand on en soupçonne la présence : insérer les parties du feuillage suspectes dans un gros sac de plastique clair et aller chercher des échantillons de feuilles à l’intérieur du sac; bien refermer le sac à la base du plant et retirer le plus possible du feuillage infecté qui se trouve à l’intérieur du sac; apporter les échantillons là où il sera possible de les examiner plus attentivement. Des pustules surélevées de couleur orangée se voient à l’oeil nu sur les faces supérieures et inférieures des feuilles. Chez certains cultivars, les pustules sont parfois plus visibles à la face inférieure des feuilles. Les pustules sont plus faciles à voir avec une loupe à grossissement de 10-20x. Les pustules immatures sont de forme elliptique, sont surélevées, d’aspect cireux et de couleur jaune orangé. Les pustules à maturité renferment une masse de spores pulvérulentes orangées. Les spores de la rouille de l’hémérocalle s'enlèvent facilement au simple toucher du doigt (figure 2). Soumettre un échantillon à la Clinique de diagnostic phytosanitaire pour une identification formelle (voir sous Références).

Lutte contre la maladie

  • Éviter de cultiver des espèces du genre Patrinia spp. dans les pépinières ou les jardins où sont cultivées des hémérocalles. Les spores produites sur Patrinia spp. risquent d’infecter les hémérocalles. Les risques d’infection sont d’autant plus grands que les différents hôtes sont proches les uns des autres.
  • Faire un dépistage fréquent de cette maladie dans les cultures d’hémérocalles pendant les dernières semaines de l’été, surtout après des épisodes de pluie, lorsque les conditions sont propices à la formation de rosée ou durant une période prolongée de jours pluvieux au cours desquels les températures oscillent entre 22 et 24 °C le jour.
  • Dans les régions où sévit la rouille de l’hémérocalle, choisir les cultivars les moins sensibles.
  • Éviter l’irrigation par aspersion. Faire en sorte que les feuilles restent mouillées le moins longtemps possible en dirigeant le jet d’eau vers le sol plutôt que vers le feuillage. Diviser les hémérocalles tous les 3-5 ans et maintenir un espacement suffisant entre les plants de manière à favoriser l’assèchement des feuilles après la pluie ou les arrosages. Dans la mesure du possible, arroser les plants le matin plutôt que le soir, de manière à ce que les plants puissent s'assécher plus rapidement, à la faveur du jour.
  • Si le diagnostic de rouille de l’hémérocalle est confirmé, insérer les plants infectés dans de grands sacs de plastique et, une fois le feuillage dans le sac, enlever le plus au ras du sol possible tout le feuillage et les tiges florales des plants infectés et des plants voisins. Le compostage des tissus atteints n'est pas recommandé pour le moment puisqu'on ne sait pas encore pendant combien de temps survivent les spores d’été sous les conditions propices au compostage ni si les spores peuvent se disséminer dans l’environnement depuis le tas de compost et infecter des plants sains situés à proximité. Placer les tissus atteints dans un sac de plastique et les retirer rapidement des lieux de culture de l’hémérocalle. Utiliser des gants de caoutchouc jetables et laver les vêtements après avoir travaillé autour de plants atteints ou après les avoir manipulés.
  • Utiliser des fongicides pour protéger les plants sains des infections par la rouille. Commencer les applications de fongicides au début de l’été et y mettre fin quand les températures ne dépassent plus 7 °C. Si les plants deviennent infectés mais ne produisent pas encore de masses de spores pulvérulentes, des fongicides systémiques peuvent enrayer les infections et prévenir la formation de pustules.
  • L’automne, rabattre les plants pour les débarrasser de tout le feuillage vert. S'abstenir de pailler les plants, car le paillis risquerait de protéger les pustules de rouille des rigueurs de l’hiver si les plants sont infectés et que l’infection est passée inaperçue.

Références

  • Bergeron, S. Daylily Rust Information Page, 2004.
  • Hsiang, T., Cook, S., et Zhao, Y. Studies on the biology and control of Daylily Rust in Canada, The Daylily Journal, 1994, 59(1) :47-57.
  • Mueller, D.S., et Buck, J.W. Effects of light, temperature and leaf wetness duration on daylily rust, Plant Disease, 2003, 87 :442-445.
  • Ontario Daylily Society
  • Clinique de diagnostic phytosanitaire
    95, ch. Stone Ouest, Guelph (Ontario) N1H 8J7
    Tél. : (519) 767-6256; Téléc. : (519) 767-6240
  • Williams-Woodward, J.L., et Buck, J.W. Daylily rust (Puccinia hemerocallidis) in the United States, 2001.

Remerciements

Les photos des téleutospores et de l’urédosore ont été offertes par George L. Barron. La photo de la feuille sénescente présentant des télies a été offerte par Susan Bergeron et celle de la fleur d’hémérocalle « Pardon Me », par Suzanne Johnston. Les auteurs ont fourni toutes les autres photos.