Introduction

La mise en réserve consiste à laisser une partie du foin ou des cultures de pâture sur pied pour les faire brouter en automne ou en hiver une fois que la croissance des fourrages s'est arrêtée à cause du froid. Les pâturages de réserve sont aussi appelés pâturages différés, fall-saved pasture en anglais. La mise en réserve des fourrages vise avant tout à réduire les coûts des aliments du bétail. Cette économie provient essentiellement de la baisse des coûts rendue possible lorsque le fourrage est brouté plutôt que récolté comme foin ou ensilage, l'épandage de fumier est réduit et certains frais généraux liés aux bâtiments et aux enclos sont moindres. Dans le présent rapport, nous examinons le rendement et la qualité des pâturages de réserve selon deux systèmes de gestion et deux taux différents d'engrais à l'azote.

Deux systèmes de gestion de la mise en réserve des fourrages, appelés ici « précoce » et « tardif », ont été évalués. Pendant chacune des trois années, les pâturages expérimentaux (dont 6 précoces et 6 tardifs, chacun de 0,75 acres) ont été fauchés pour ensilage au milieu de juin. Par la suite, des moutons ont été mis en pâturage de masse dans les zones de pâture précoces au milieu de juillet pour environ 7 jours. Les zones tardives ont été mises en pâturage de masse en août pour la même durée. Dans les deux systèmes de gestion, la hauteur des herbages résiduels était d'environ 5 cm après le pâturage de nettoyage. Après le pâturage de masse en été, 3 des zones précoces et 3 des zones tardives ont reçu un apport de 50 kg/ha d'azote actif (34-0-0), et les autres n'ont pas reçu d'azote. Les pâturages ont été laissés en réserve jusqu'à ce que le broutage commence fin septembre.

Pendant la période de mise au pâturage d'automne (de la fin septembre au début décembre), des échantillons ont été prélevés à la main avant et après le broutage dans chaque enclos; ils ont servi à déterminer le rendement du pâturage, la qualité et la composition des fourrages.

Résultats

Rendement des fourrages

Les rendements absolus des fourrages s'échelonnaient de 2 400 à 5 000 kg/ha. Le système de gestion précoce affichait toujours un rendement considérablement plus élevé en matière sèche comparé au régime tardif (figure 1).

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Incidence du système de gestion de la mise en réserve des pâturages sur le rendement des fourrages mis en réserve en automne.
Figure 1. Incidence du système de gestion de la mise en réserve des pâturages sur le rendement des fourrages mis en réserve en automne.

Sur la moyenne des trois années de l'essai, le régime de pâturage précoce a fourni environ 73 % plus de fourrages en automne que le système de gestion tardif.

L'épandage de 50 kg/ha d'engrais azoté au début de la période de mise en réserve a considérablement augmenté les rendements des fourrages à l'automne en 1996 et en 1997 seulement (figure 2).

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Incidence de l'épandage d'engrais azoté sur les rendements des pâturages mis en réserve.
Figure 2. Incidence de l'épandage d'engrais azoté sur les rendements des pâturages mis en réserve.

L'augmentation absolue du rendement des fourrages résultant de l'épandage d'azote se chiffrait en moyenne autour de 750 kg/ha. Il est plutôt difficile de déterminer si cette augmentation du rendement est économiquement avantageuse selon les conditions de mise en pâturage. Cependant, en supposant une valeur de 100$/tonne de matière sèche et un coût de l'engrais azoté de 0,91 $/kg d'azote actif (310 $/mt de 34-0-0), un producteur aurait gagné l'équivalent de 75,00 $ de fourrages pour un coût d'environ 45,00 $ d'engrais et d'environ 5,00 $ pour l'épandage. L'urée (46-0-0) est une source d'azote moins coûteuse mais les risques de pertes par volatilisation sont beaucoup plus grands, surtout lors des épandages au milieu de l'été.

Qualité des fourrages

Des mesures de la qualité ont été effectuées tout au long de la période de mise au pâturage d'automne (de la fin septembre au début décembre). On a rapporté des résultats moyens pour toute la période de pâturage d'automne. De façon générale, la qualité des fourrages était supérieure en 1997 que les deux années précédentes. Les teneurs en protéines brutes étaient aussi considérablement plus élevées pour les pâturages tardifs comparés au système de gestion précoce (figure 3). 

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Incidence du système de gestion de la mise en réserve sur les protéines brutes des fourrages à l'automne.
Figure 3. Incidence du système de gestion de la mise en réserve sur les protéines brutes des fourrages à l'automne.

Les valeurs absolues des concentrations en protéines brutes étaient suffisantes pour assurer le maintien de moutons ou de bovins avec le système précoce (de 9 à 14 %) et avec le régime tardif aussi, pour la plupart des animaux d'élevage en croissance et en lactation (14,5 à 18 %). L'épandage de 50 kg/ha d'engrais azoté sur les pâturages au début de leur mise en réserve a augmenté la teneur en protéines brutes du pâturage en 1995 mais n'a eu aucune incidence en 1996 ni en 1997 (données non illustrées).

La teneur en unités digestibles totales (U.N.T.) des fourrages mis en réserve était toujours considérablement supérieure avec le système de gestion tardif comparé au régime de pâturage précoce (figure 4).

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Incidence du système de gestion de la mise en réserve des fourrages sur la teneur en énergie (% d'U.N.T.) en automne.
Figure 4. Incidence du système de gestion de la mise en réserve des fourrages sur la teneur en énergie (% d'U.N.T.) en automne.

Les valeurs des U.N.T. étaient de beaucoup supérieures dans les deux systèmes de gestion en 1997 que les deux années précédentes mais on ignore pourquoi. Les résultats très élevés des concentrations d'U.N.T. pour 1997 devraient être considérés comme l'exception, et ceux des années 1995 et 1996 comme plus réalistes d'année en année. Les valeurs absolues vont de 58 à 68 % pour le système précoce et de 62 à 72 % pour le régime tardif.

L'épandage d'engrais azoté aux pâturages au début de la mise en réserve a eu un léger impact positif sur les valeurs des U.N.T. en 1995, mais on n'a signalé aucune différence les deux années suivantes (données non illustrées).

Composition des espèces

À l'origine on a semé un mélange complexe de trois graminées et de deux légumineuses, avec quelques herbes fines (pâturin/fétuque rouge) ajoutées pour assurer un bon fond. L'épandage de 50 kg/ha d'azote dès le début de la période de mise en réserve a grandement diminué la teneur en légumineuses du pâturage comparé au traitement sans azote (figure 5).

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Incidence de l'azote sur la teneur en légumineuses du pâturage de réserve.
Figure 5. Incidence de l'azote sur la teneur en légumineuses du pâturage de réserve.

Même avec le traitement sans azote, la teneur en légumineuses n'était que d'environ 12 % du rendement total en 1997. La portion de légumineuses était principalement composée de trèfle blanc avec des quantités moindres de lotier. La teneur en légumineuses était inférieure à ce qui est normalement souhaitable dans les pâturages, mais satisfaisante pour la mise au pâturage de fin d'automne. On croit que la plupart des légumineuses ne sont pas bien adaptées à la mise au pâturage de fin d'automne, quoique l'on ne dispose pas d'une bonne base de données à ce jour sur le sujet. Plus de précisions sur la valeur des légumineuses dans les situations de mise en réserve ont été recueillies à l'automne de 1998.

Le système de gestion de la mise en réserve des fourrages utilisé n'a eu que peu d'impact sur la composition des espèces sauf pour favoriser de plus grandes populations de pissenlits dans le traitement tardif de mise en réserve (données non illustrées).

Résumé et interprétation

Les deux traitements de gestion de la mise en réserve des fourrages qui ont fait l'objet de l'essai ont produit deux types de pâturage assez différents à l'automne. Le système précoce a donné un large volume de fourrage de qualité moyenne à faible et le traitement tardif un pâturage de haute qualité au rendement moyen. Si le processus de mise en réserve était initié à une date intermédiaire (fin juillet et début d'août), il pourrait produire un rendement et une qualité intermédiaires entre les systèmes de gestion précoce et tardif étudiés.

Les producteurs peuvent gérer le processus de mise en réserve des fourrages pour obtenir le type de pâturages qui correspond aux besoins nutritifs de leur bétail. Si des vaches de boucherie taries de l'été sont mises au pâturage à l'automne, le système de gestion précoce semble le plus approprié, mais dans le cas de veaux sevrés, de bovins de long engraissement, d'agneaux ou de brebis d'élevage, le système de gestion tardif conviendrait mieux. Dans de nombreux cas, les deux types de pâturages d'automne peuvent être nécessaires dans la même ferme pour faire brouter deux classes d'animaux d'élevage à l'automne (p. ex. agneaux sevrés et brebis taries). Il importe d'avoir une idée du type de fourrages (rendement et qualité) qui est nécessaire pendant l'automne et de gérer le processus de mise en réserve pour obtenir un pâturage qui correspond assez bien aux besoins.

L'azote n'a pas influé de façon importante sur la qualité, elle a toutefois augmenté le rendement et elle semble économique selon les données sur les rendements des fourrages. La décision d'épandre ou non de l'engrais azoté doit aussi reposer sur les conditions d'humidité des sols et les teneurs en légumineuses du pâturage. Il faut penser à effectuer l'analyse de sol pour évaluer les teneurs en phosphore et en potassium du pâturage et épandre ces éléments nutritifs au besoin. D'autres recherches sont en cours pour mieux définir l'effet sur les graminées des épandages d'azote du milieu à la fin de l'été et évaluer l'incidence des apports d'azote quand les fourrages sont entreposées sur pied jusqu'en novembre.