Rapport du directeur de l'UES - dossier no 07-OFD-049
Livré le : 26 janvier 2008
Note explicative
Le gouvernement de l’Ontario publie les précédents rapports du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales (UES) [présentés au procureur général avant mai 2017] qui portent sur les cas où il y a eu un décès impliquant une arme à feu, une empoignade et/ou l’utilisation d’une arme à impulsions, ou encore un autre type d’intervention notable de la part de la police n’ayant pas entraîné d’accusations criminelles.
Le juge Michael H. Tulloch a formulé des recommandations concernant la publication des précédents rapports du directeur de l’UES dans le Rapport de l’examen indépendant des organismes de surveillance de la police, lequel a été publié le 6 avril 2017.
Dans ce rapport, le juge Tulloch explique qu’étant donné que les précédents rapports n’avaient pas été rédigés au départ en vue d’être divulgués au public, il est possible qu’ils soient modifiés de façon importante pour protéger les renseignements de nature délicate qui s’y trouvent. Le juge a tenu compte du fait que divers témoins lors d’enquêtes de l’UES bénéficiaient de l’assurance de confidentialité et a donc recommandé que certains renseignements soient caviardés de manière à protéger la vie privée, la sûreté et la sécurité de ces témoins.
Conformément à la recommandation du juge Tulloch, la présente note explicative est fournie afin d’aider le lecteur à mieux comprendre les raisons pour lesquelles certains renseignements sont caviardés dans ces rapports. On a également inséré des notes tout au long des rapports pour décrire la nature des renseignements caviardés et les raisons justifiant leur caviardage.
Considérations relatives à l’application de la loi et à la protection des renseignements personnels
Conformément aux recommandations du juge Tulloch et selon les termes de l’article 14 de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (LAIPVP) [renseignements relatifs à l’exécution de la loi], des parties de ces rapports ont été retirées de manière à protéger la confidentialité de ce qui suit :
- l’information divulguant des techniques ou procédures confidentielles utilisées par l’UES
- l’information dont la publication pourrait raisonnablement faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire
- les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre d’une enquête
Conformément aux recommandations du juge Tulloch et selon les termes de l’article 21 de la LAIPVP (renseignements relatifs à la protection de la vie privée), les renseignements personnels, notamment les renseignements personnels de nature délicate, doivent également être caviardés, sauf ceux qui sont nécessaires pour éclairer les motifs de la décision du directeur. Ces renseignements peuvent comprendre, sans toutefois s’y limiter, ce qui suit :
- le nom de tout agent impliqué
- le nom de tout agent témoin
- le nom de tout témoin civil
- les renseignements sur le lieu de l’incident
- d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête, notamment lorsqu’il s’agit d’enfants
- les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
Renseignements personnels sur la santé
Les renseignements relatifs à la santé d’une personne qui ne sont pas liés à la décision du directeur (compte dûment tenu de la Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé) ont été caviardés.
Autres instances, processus et enquêtes
Il se peut que certains renseignements aient été omis de ces rapports parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.
Rapport du directeur
Notification de l’UES
Le mercredi 7 mars 2007, à 9 h 20, l’agent donnant l’avis du service de police de Sarnia (SPS) a avisé l’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») qu’au cours de l’heure précédente, un membre du SPS avait fait feu sur Michael Douglas, 35 ans, le blessant mortellement. Selon l’agent donnant l’avis, le 7 mars à environ 4 h 18, M. Douglas, un malade en cure obligatoire à l’aile psychiatrique de l’hôpital local, s’est absenté de l’établissement sans autorisation. Peu de temps après, M. Douglas s’est barricadé dans le sous‑sol d’un lieu. Pendant les trois ou quatre heures qui ont suivi, toutes les tentatives du SPS de résoudre pacifiquement l’impasse avec M. Douglas se sont soldées par un échec, et, ultimement, M. Douglas s’est échappé par une fenêtre du sous‑sol.
Fuyant à pied, M. Douglas s’est rendu en courant à un lieu tout près, où il a pris le volant d’une fourgonnette qui avait été laissée en marche dans la voie d’accès pour autos d’un lieu. Deux agents du SPS, l’agent impliqué et l’agent témoin no 6, ont tenté d’arrêter M. Douglas avant qu’il puisse s’enfuir avec le véhicule. Une violente altercation entre M. Douglas et les deux agents s’en est suivie. Les agents ont été incapables d’empêcher M. Douglas de mettre la fourgonnette en marche arrière. La fourgonnette, avec l’agent impliqué accroché à la portière du côté conducteur et à la partie avant du véhicule, a ensuite foncé vers un lieu recouvert de neige et a fait un demi‑tour sur elle‑même dans le sens horaire avant de s’immobiliser momentanément. Par la suite, M. Douglas a mis le véhicule en marche avant et a accéléré dans la rue en direction est vers l’agent impliqué. L’agent impliqué, qui avait perdu prise sur la fourgonnette et était tombé dans la rue pendant le pivotement du véhicule, a fait feu avec son arme de service deux fois, atteignant M. Douglas à la poitrine, sur le côté gauche. La fourgonnette, avec M. Douglas mortellement blessé derrière le volant, a parcouru 500 mètres supplémentaires avant de se heurter à un amas de neige. M. Douglas a été transporté à l’hôpital, où on a finalement constaté son décès.
L’enquête
L’UES a immédiatement dépêché cinq enquêteurs et trois techniciens en identification médicolégale de l’Unité à Sarnia. Le premier membre du personnel de l’UES est arrivé dans la ville dans un délai de deux heures.
Les techniciens en identification médicolégale de l’UES se sont d’abord concentrés sur deux endroits cruciaux : (1) l’endroit à partir duquel l’agent avait fait feu, tout juste à l’extérieur d’un lieu et (2) le lieu se trouvant à l’opposé, où la fourgonnette s’était immobilisée pour de bon. Les techniciens ont pris des photos des deux scènes, en plus de les filmer. Les techniciens ont aussi recueilli des éléments de preuve balistiques, notamment deux cartouches de calibre .40, de même que des éléments de preuve physiques et biologiques aux deux endroits.
Les techniciens en identification médicolégale ont ensuite pénétré dans un lieu, où ils ont photographié et filmé le sous‑sol, en plus de saisir des éléments de preuve jugés utiles pour l’enquête. Les techniciens en identification médicolégale ont aussi assisté à l’autopsie de M. Douglas.
Les enquêteurs de l’UES ont communiqué avec le SPS, ce qui leur a permis d’identifier les agents de police qui auraient pu être témoins des événements. Les enquêteurs de l’UES ont également retrouvé bon nombre de témoins civils et ont entrepris le ratissage exhaustif d’un lieu, le tout couvrant environ 70 résidences.
La fourgonnette conduite par M. Douglas a été saisie et envoyée au Centre des sciences judiciaires afin qu’elle soit examinée par les sections des analyses biologiques, des analyses chimiques et des armes à feu. Par ailleurs, les uniformes portés par l’agent impliqué et l’agent témoin no 6 ont été examinés au microscope pour relever tout élément de preuve comme des morceaux de verre et des fibres textiles.
À la suite de l’examen préliminaire de l’incident par l’UES, l’agent impliqué a été identifié comme étant un agent impliqué. L’agent impliqué n’a pas consenti à fournir une déclaration à l’UES, comme il y est autorisé, mais il a remis ses notes de service à l’Unité.
En outre, les membres suivants du SPS ont été identifiés comme étant des agents témoins. Tous les agents, à l’exception de l’agent témoin no 7, ont participé à des entrevues le 8 mars 2007 (le 9 mars dans le cas de l’agent témoin no 7) et ont remis leurs notes de service :
- agent témoin no 1
- agent témoin no 2
- agent témoin no 3
- agent témoin no 4
- agent témoin no 5
- agent témoin no 6
- agent témoin no 7
Le 15 mai 2007, le personnel de l’UES a invité de nouveau l’agent témoin no 6, l’agent témoin no 3 et l’agent témoin no 7 à participer à des entrevues.
À la demande de l’UES, le SPS a remis à cette dernière le matériel et les documents jugés essentiels pour poursuivre l’enquête.
Durant l’enquête de l’UES, les témoins civils suivants ont participé à des entrevues :
- témoin civil no 1 (le 9 mars 2007)
- témoin civil no 2 (le 8 mars 2007)
- témoin civil no 3 (le 8 mars 2007)
- témoin civil no 4 (le 8 mars 2007)
- témoin civil no 5 (le 8 mars 2007)
- témoin civil no 6 (le 8 mars 2007)
- témoin civil no 7 (le 8 mars 2007)
- témoin civil no 8 (le 9 mars 2007)
- témoin civil no 9 (le 8 mars 2007)
- témoin civil no 10 (le 9 mars 2007)
- témoin civil no 11 (le 7 mars 2007)
- témoin civil no 12 (le 9 mars 2007)
- témoin civil no 13 (le 7 mars 2007)
- témoin civil no 14 (le 9 mars 2007)
- témoin civil no 15 (le 9 mars 2007)
- témoin civil no 16 (le 7 mars 2007)
- témoin civil no 17 (le 8 mars 2007)
- témoin civil no 18 (le 8 mars 2007)
- témoin civil no 19 (le 14 mars 2007)
- témoin civil no 20 (le 8 mars 2007)
- témoin civil no 21 (le 9 mars 2007)
Quarante-sept personnes supplémentaires ont été interviewées pendant la démarche de ratissage. Les personnes ainsi interviewées ont déclaré n’avoir rien vu ou entendu qui peut être lié à l’incident et aux coups de feu.
Déclarations des témoins et éléments de preuve fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête (considérations relatives à l’application de la loi et à la protection de la vie privée)
Décision du directeur en vertu du paragraphe 113(7) de la Loi sur les services policiers
Après avoir examiné minutieusement cette enquête approfondie, je suis d’avis qu’il n’existe pas de motifs raisonnables de croire que l’agent impliqué a commis une infraction criminelle en ce qui a trait aux coups de feu tirés et au décès par balle de Michael Douglas, le 7 mars 2007, à Sarnia.
La série tragique d’événements qui s’est soldée par le décès de M. Douglas est le résultat de la détérioration précipitée de la santé mentale de cette personne au cours des dernières semaines de sa vie. Pour quelque raison que ce soit, M. Douglas a commencé à perdre le contact avec la réalité durant cette période, apparaissant désorienté et ne semblant pas être conscient de ce qui l’entourait par moments. Le 5 mars 2007 déclarations de témoin confidentielles, il a été admis à l’aile psychiatrique de l’hôpital en tant que malade en cure obligatoire déclaration de témoin confidentielle. Pendant son séjour à l’hôpital, il semble que M. Douglas ait fait part d’intentions violentes au personnel. Au petit matin, le 7 mars 2007, M. Douglas a réussi à s’échapper de l’hôpital en déclenchant l’alarme‑incendie, ce qui a déverrouillé automatiquement les portes de l’aile psychiatrique. Il est entré par effraction dans la résidence du témoin civil no 11 à un lieu, où il apparaissait désorienté et demandait de l’aide. Le témoin civil no 11 a appelé la police.
Plusieurs agents du SPS ont répondu à l’appel et ont tenté d’appréhender M. Douglas pacifiquement. Lorsque les agents ont constaté que M. Douglas ne collaborait pas, l’un d’eux s’est approché pour lui agripper le bras. Cela a déclenché une réaction violente de la part de M. Douglas et une lutte physique prolongée s’en est suivie entre lui et les agents. L’un des agents a aspergé le visage de M. Douglas à l’aide d’un pulvérisateur de gaz poivré, mais cela n’a eu aucun effet. Un autre agent a donné des coups de pied ou de genou à M. Douglas, mais, là également, cela n’a pas permis de maîtriser l’individu. Durant l’échauffourée, M. Douglas a blessé au moins un agent, peut‑être plusieurs d’entre eux. Il a finalement réussi à se libérer et s’est enfui, empruntant un escalier pour se rendre au sous‑sol de la résidence. Les agents l’ont suivi, mais ils sont revenus sur leurs pas rapidement lorsqu’ils se sont aperçus que M. Douglas s’était armé d’un bâton de golf et qu’il l’agitait dans leur direction.
Il y a eu par la suite une impasse de trois ou de quatre heures, durant laquelle des membres de l’équipe d’intervention en cas d’urgence (EIU), y compris l’agent impliqué, ont fait leur entrée dans la maison. Le chef de l’EIU sur les lieux, l’agent témoin no 3, s’est aventuré au bas de l’escalier, tôt au cours de l’impasse, pensant peut‑être utiliser son pistolet Taser pour mettre M. Douglas en état d’arrestation. Cependant, l’agent a dû abandonner cette idée lorsque M. Douglas lui a donné un coup de bâton de golf à la jambe, l’obligeant à retourner au rez-de-chaussée. On a alors entrepris de négocier et les policiers ont utilisé plusieurs stratégies dans le but de convaincre M. Douglas de se rendre de façon pacifique. à un certain moment, on a fait venir le père de M. Douglas pour qu’il parle à son fils, de même qu’un travailleur en santé mentale. Ces efforts se sont révélés vains, puisque M. Douglas est demeuré sourd aux demandes, tout en conservant le bâton de golf et en adoptant une posture menaçante.
Vers 8 h, à la grande surprise des agents, M. Douglas s’est faufilé par une fenêtre du sous‑sol et est sorti de la résidence. On avait laissé entendre aux agents que cette fenêtre avait été condamnée à l’aide de clous. Aucun périmètre de sécurité n’avait été établi autour de la résidence.
On a constaté rapidement que M. Douglas s’était échappé et des agents de l’EIU se sont mis à sa poursuite. M. Douglas a couru en direction sud vers un lieu avec l’agent impliqué et d’autres agents à ses trousses. C’est durant cette poursuite à pied que l’agent témoin no 3 a déchargé son pistolet Taser en direction de M. Douglas; il a toutefois raté sa cible. M. Douglas a repéré une fourgonnette, qui avait été laissée en marche, stationnée dans la voie d’accès pour autos d’un lieu et a couru vers elle. Il a réussi à entrer dans la fourgonnette par la portière du côté conducteur, malgré les tentatives de l’un des résidants de cette adresse pour l’en empêcher. à ce moment, l’agent impliqué est arrivé à proximité de la portière côté conducteur.
L’agent impliqué s’est agrippé à M. Douglas et a tenté de le sortir de force du véhicule par la portière ouverte du côté conducteur. L’agent témoin no 6, arrivé peu de temps après, s’est joint à la lutte. M. Douglas a résisté vigoureusement et est finalement parvenu à mettre la fourgonnette en marche arrière et à sortir de la voie d’accès pour autos. L’agent témoin no 6 a indiqué qu’il a tenté de s’écarter de la trajectoire de la portière ouverte au moment où la fourgonnette reculait, mais que la portière a frappé sa jambe droite, le projetant et le faisant partir en vrille. Alors que la fourgonnette continuait de reculer, l’agent a remaqué que les pieds de l’agent impliqué traînaient à proximité de la portière du côté conducteur. Selon l’agent témoin no 6, la fourgonnette a dérapé dans le sens horaire en atteignant la route et il ne pouvait plus voir l’agent impliqué. à ce moment, il a craint pour la vie de son collègue, pensant que la fourgonnette lui avait peut‑être roulé sur le corps. Après que la fourgonnette eut cessé de déraper, l’agent témoin no 6 a entendu le moteur vrombir et les pneus crisser. L’agent témoin no 6 a déclaré qu’à cet instant, il a décidé de recourir à toute la force nécessaire pour immobiliser la fourgonnette. Il a couru pour atteindre la portière du côté passager et l’a ouverte avec l’intention de faire feu sur M. Douglas. à ce moment, la fourgonnette est partie vers l’avant, l’entraînant avec elle. Un instant plus tard, l’agent témoin no 6 a entendu deux coups de feu rapprochés et a lâché sa prise sur la fourgonnette.
L’agent impliqué, qui se trouvait de l’autre côté de la fourgonnette, a tiré les coups de feu entendus. Selon les notes de l’agent impliqué, lorsque la fourgonnette a commencé à reculer dans la voie d’accès pour autos, il s’est retrouvé pris entre la portière du véhicule et ce dernier. Il s’accrochait à M. Douglas et la moitié de son corps traînait à l’extérieur, le long du véhicule. Quand la fourgonnette s’est mise à prendre de la vitesse, l’agent impliqué a senti ses jambes traîner sous le véhicule. L’agent impliqué a indiqué qu’il croyait qu’il pourrait être écrasé et tué, qu’il a craint pour sa vie à ce moment et qu’il s’est accroché à M. Douglas de toutes ses forces. Toutefois, il a été incapable de rester accroché lorsque la fourgonnette s’est engagée sur la route et qu’elle a commencé à pivoter. L’agent impliqué a fait savoir qu’il est alors tombé sur la route et qu’il a failli être frappé par une partie de la fourgonnette tandis que cette dernière continuait à pivoter. Il s’est senti désorienté, mais dit s’être empressé de se relever, craignant que la fourgonnette tournoyante puisse l’écraser. L’agent impliqué a indiqué qu’alors qu’il se relevait, il a vu la fourgonnette tourner dans sa direction et se diriger vers lui de biais. L’agent explique, dans ses notes, que c’est à ce moment qu’il a cru que sa vie était en grand danger et qu’il a pris la décision de tirer en direction du conducteur. L’agent impliqué a dégainé son arme et a fait feu à deux reprises en direction du conducteur, en reculant pour s’éloigner de la fourgonnette. La fourgonnette s’est détournée de lui et a poursuivi sa course vers l’est sur un lieu.
Aux termes du paragraphe 25(3) du Code criminel, un agent est justifié d’employer la force létale pour une fin légitime s’il estime, pour des motifs raisonnables, que cette force est nécessaire afin de se protéger lui‑même ou de protéger toute autre personne contre la mort ou contre des lésions corporelles graves. Il aurait été préférable d’entendre directement ce qu’avait à dire l’agent impliqué concernant son état d’esprit au moment où il a tiré des coups de feu. Même si ses notes constituent une preuve directe de son état d’esprit au moment des faits, elles n’ont pas le même poids que des paroles, puisqu’elles ne font pas l’objet du processus d’entrevue. Cela dit, les notes montrent clairement que l’agent estimait qu’il était nécessaire de faire feu sur M. Douglas afin de contrer la menace pour sa propre vie. De plus, le scénario décrit dans les notes de l’agent est, de façon générale, corroboré par les éléments de preuve matériels laissés sur les lieux.
La question est plutôt de savoir si le jugement porté sur la situation, tel qu’il a été décrit, est crédible. Après avoir examiné l’ensemble des circonstances, je suis convaincu qu’il n’y a pas de bonne raison de remettre en doute la sincérité de l’agent impliqué. Son témoignage concernant les événements entourant les coups de feu tirés concorde avec le témoignage des témoins sur les points importants. Par exemple, l’agent témoin no 3, qui était à proximité de l’endroit où l’agent a fait feu, a indiqué qu’il a vu la fourgonnette tournoyer sur la route avec l’agent impliqué accroché au conducteur. L’agent témoin no 3 a dit qu’il a craint que l’agent impliqué puisse être écrasé par la fourgonnette à ce moment. Il a regardé ailleurs momentanément, puis a regardé de nouveau vers la fourgonnette après avoir entendu deux coups de feu et a alors vu que la fourgonnette se dirigeait vers l’est sur un lieu. L’agent témoin no 6, qui était encore plus près de l’action au moment des coups de feu, a également indiqué que la fourgonnette a tournoyé alors qu’elle reculait sur un lieu et qu’il a aussi craint que l’agent impliqué puisse avoir été écrasé. Fait important, l’agent témoin no 6 a indiqué avoir entendu deux coups de feu rapprochés au moment où la fourgonnette accélérait vers l’avant une fois son dérapage sur la route terminé. Déclaration de témoin confidentielle
L’état d’esprit des autres agents sur les lieux est également probant dans le contexte de cette question. Encore une fois, l’agent témoin no 3 et l’agent témoin no 6 ont tous deux indiqué qu’ils ont craint pour la vie de l’agent impliqué et qu’ils avaient décidé qu’ils allaient faire feu sur M. Douglas, estimant cela nécessaire, approximativement au même moment où l’agent impliqué a tiré. Même si l’on doit dire que ce témoignage aurait été plus convaincant si ces agents s’étaient trouvés environ au même endroit que l’agent impliqué au moment des faits, il n’en demeure pas moins qu’ils étaient à proximité et étroitement liés aux événements qui se déroulaient. Dans ces circonstances, ce qu’ils croyaient à ce moment démontre dans une certaine mesure que l’agent impliqué portait le même jugement sur la situation.
Enfin, le témoignage de l’agent impliqué est également corroboré en grande partie par les preuves médicolégales. En effet, ces dernières, telles qu’elles sont présentées en détail dans le corps du présent rapport, confirment que deux coups de feu ont été tirés par l’agent impliqué à travers la vitre fermée de la portière du côté conducteur pendant que l’agent impliqué était à proximité de la fourgonnette, c’est‑à‑dire, tandis que la fourgonnette avançait, qu’il se trouvait devant ou à côté de M. Douglas lors du premier coup de feu et, lors du deuxième coup de feu, qu’il se trouvait à côté de M. Douglas. En examinant l’emplacement des blessures provoquées par les coups de feu sur le corps de M. Douglas, j’ai tenu compte du fait qu’il s’agit d’une situation dynamique et qu’il y a un délai entre le moment où une personne (y compris les agents formés de l’équipe d’intervention d’urgence) perçoit une menace et celui où elle y réagit, et que dans un tel cas, les autres parties prenant part aux événements ne demeurent pas statiques.
Cependant, le fait de croire honnêtement qu’il est nécessaire d’utiliser la force n’est pas suffisant pour établir une justification en vertu du paragraphe 25(3). Il faut également que la conviction soit fondée sur des motifs raisonnables. L’enquête est objective; nommément, elle vise à déterminer si une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que l’agent impliqué aurait pu estimer qu’il est nécessaire de faire feu sur M. Douglas pour protéger sa propre vie. à mon avis, une personne raisonnable pourrait avoir partagé cette conviction.
Selon la jurisprudence, pour les besoins de l’appréciation du caractère raisonnable, il faut comprendre les circonstances telles qu’elles ont été perçues par la personne dont l’usage de la force est examiné. Par conséquent, puisque je considère crédible le récit des événements fait par l’agent impliqué, c’est avant tout ce récit qui doit jeter les bases factuelles de l’analyse de la responsabilité. L’agent impliqué s’est accroché à M. Douglas pendant que la moitié de son corps était traînée le long d’un véhicule en mouvement. M. Douglas aurait dû savoir que l’agent impliqué était dans une position dangereusement précaire, mais tout indique qu’il était résolu à s’échapper, et ce, peu importe les conséquences pour l’agent. Lorsque l’agent impliqué a perdu prise et qu’il est tombé sur la route au moment où la fourgonnette dérapait, passant près de le frapper par le fait même, il a estimé qu’il risquait de se faire écraser. Il s’est précipitamment relevé et a vu la fourgonnette tourner dans sa direction et se mettre à avancer. Puisque l’agent se trouvait très près de la fourgonnette, que celle‑ci avançait vers lui et qu’elle était conduite par un individu tentant de s’échapper, à ce moment, l’agent avait de bonnes raisons de croire qu’il serait frappé par la fourgonnette. Il s’agit là des faits immédiats au cœur de l’appréciation du caractère raisonnable; cependant, le contexte général est également important : voir R c. Lavallee, 1990 1 R.C.S. 852. Au moment où il a fait feu, l’agent impliqué savait que M. Douglas s’était échappé d’une aile psychiatrique où il avait été admis contre son gré, qu’il s’était introduit dans la résidence d’un tiers et qu’il avait violemment résisté à son arrestation devant les agents présents sur les lieux, qu’il s’était révélé insensible au gaz poivré, qu’il avait attaqué les agents avec un bâton de golf et, enfin, qu’il avait récemment fait part d’idées d’homicide au personnel hospitalier.
Dans ces circonstances, je suis convaincu qu’une personne raisonnable à la place de l’agent, faisant face à un M. Douglas manifestement violent, ayant été projetée de la fourgonnette et presque frappée par elle, se trouvant à proximité immédiate du véhicule qui avançait et n’ayant qu’une fraction de seconde pour décider de la chose à faire aurait estimé qu’il était nécessaire de faire feu sur M. Douglas. On pourrait soutenir que l’agent ne se trouvait pas directement dans la trajectoire de la fourgonnette lorsqu’elle s’est mise à accélérer vers l’avant sur un lieu. En effet, il se pourrait, tel qu’on pourrait le déduire à partir des éléments de preuve découlant de la reconstitution, que l’agent impliqué ait été positionné de biais par rapport au conducteur au moment où il a fait feu une deuxième fois (et peut‑être même la première fois) et qu’il n’était donc pas devant le conducteur ni, probablement, de la fourgonnette. Quoi qu’il en soit, ce serait aller trop loin que d’accorder du poids à une analyse trop fine de cet incident en procédant de la sorte. La situation était, et c’est le moins qu’on puisse dire, extrêmement stressante et dynamique. L’agent a lui‑même admis avoir été désorienté à ce moment, comme on pourrait raisonnablement s’y attendre. Peu importe que l’agent ait été dans la trajectoire directe du véhicule ou de biais par rapport à celle‑ci au moment où les coups de feu ont été tirés – et je prends le temps ici de bien insister sur le fait que les preuves médicolégales concordent avec les deux interprétations en ce qui concerne le premier coup de feu –, ce qui importe est le fait que l’agent ait estimé que la fourgonnette avançait vers lui lorsqu’il a décidé d’utiliser son arme. Lorsque je tiens compte du caractère stressant et de la volatilité de la situation dans laquelle s’est retrouvé l’agent, du délai inhérent entre la décision de réagir et la réaction même ainsi que du principe de common law selon lequel on ne s’attend pas à ce que des agents apprécient avec exactitude la mesure de la force à opposer à une menace, je conclus que la perception de l’agent était raisonnable et que son usage de la force s’inscrivait dans la latitude prescrite par le droit pénal.
Référence à des déclarations de témoin confidentielles
À mon avis, ces questions sont pertinentes, mais elles ne s’inscrivent pas dans le mandat d’enquête de l’Unité.
Le dossier est clos.
Original signé par
James L. Cornish
Directeur
Unité des enquêtes spéciales
Date : Le 26 janvier 2008