Rapport du directeur de l'UES - dossier no 10-OOD-009
Livré le : 22 février 2010
Note explicative
Le gouvernement de l’Ontario publie les précédents rapports du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales (UES) présentés au procureur général avant mai 2017 qui portent sur les cas où il y a eu un décès impliquant une arme à feu, une empoignade et/ou l’utilisation d’une arme à impulsions, ou encore un autre type d’intervention notable de la part de la police n’ayant pas entraîné d’accusations criminelles.
Le juge Michael H. Tulloch a formulé des recommandations concernant la publication des précédents rapports du directeur de l’UES dans le Rapport de l’examen indépendant des organismes de surveillance de la police, lequel a été publié le 6 avril 2017.
Dans ce rapport, le juge Tulloch explique qu’étant donné que les précédents rapports n’avaient pas été rédigés au départ en vue d’être divulgués au public, il est possible qu’ils soient modifiés de façon importante pour protéger les renseignements de nature délicate qui s’y trouvent. Le juge a tenu compte du fait que divers témoins lors d’enquêtes de l’UES bénéficiaient de l’assurance de confidentialité et a donc recommandé que certains renseignements soient caviardés de manière à protéger la vie privée, la sûreté et la sécurité de ces témoins.
Conformément à la recommandation du juge Tulloch, la présente note explicative est fournie afin d’aider le lecteur à mieux comprendre les raisons pour lesquelles certains renseignements sont caviardés dans ces rapports. On a également inséré des notes tout au long des rapports pour décrire la nature des renseignements caviardés et les raisons justifiant leur caviardage.
Considérations relatives à l’application de la loi et à la protection des renseignements personnels
Conformément aux recommandations du juge Tulloch et selon les termes de l’article 14 de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (LAIPVP) (renseignements relatifs à l’exécution de la loi), des parties de ces rapports ont été retirées de manière à protéger la confidentialité de ce qui suit :
- l’information divulguant des techniques ou procédures confidentielles utilisées par l’UES
- l’information dont la publication pourrait raisonnablement faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire
- les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre d’une enquête
Conformément aux recommandations du juge Tulloch et selon les termes de l’article 21 de la LAIPVP (renseignements relatifs à la protection de la vie privée), les renseignements personnels, notamment les renseignements personnels de nature délicate, doivent également être caviardés, sauf ceux qui sont nécessaires pour éclairer les motifs de la décision du directeur. Ces renseignements peuvent comprendre, sans toutefois s’y limiter, ce qui suit :
- le nom de tout agent impliqué
- le nom de tout agent témoin
- le nom de tout témoin civil
- les renseignements sur le lieu de l’incident
- d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête, notamment lorsqu’il s’agit d’enfants
- les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
Renseignements personnels sur la santé
Les renseignements relatifs à la santé d’une personne qui ne sont pas liés à la décision du directeur (compte dûment tenu de la Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé) ont été caviardés.
Autres instances, processus et enquêtes
Il se peut que certains renseignements aient été omis de ces rapports parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.
Rapport du directeur
Notification de l’UES
Le 18 janvier 2010, à 9 h 15, l’agent donnant l’avis du Service de police d’Ottawa (SPO) a avisé l’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») que l’on examinait les circonstances entourant des décès suspects survenus à un lieu, à Ottawa.
L’agent donnant l’avis a rapporté que le SPO avait été dépêché à un lieu tôt le matin du 7 janvier 2010 concernant un incident de nature conjugale. Cinq agents du SPO s’étaient rendus sur les lieux, mais n’avaient pas été en mesure de communiquer avec les occupants d’un lieu. Les agents avaient alors quitté les lieux. Puis, le 16 janvier 2010, le SPO a été dépêché de nouveau à un lieu, où les corps de Mme Ashley Boudreau et de M. Andrew Ferguson ont été retrouvés.
Au moment où l’UES a été avisée de l’incident, le coroner s’était déjà rendu sur les lieux et avait déterminé que les deux personnes étaient décédées depuis un bon moment.
L’enquête
Deux enquêteurs et deux enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES ont été dépêchés immédiatement sur les lieux de l’incident, à un lieu, à Ottawa, et ont entrepris une enquête.
Les lieux à l’extérieur d’un lieu ont été photographiés. L’UES n’a pas assisté à l’autopsie de Mme Boudreau ni à celle de M. Ferguson, qui ont été réalisées au moment où elle a été avisée.
Un témoin civil, soit le témoin civil no 1, a participé à une entrevue le 18 janvier 2010.
Le 19 janvier 2010, les agents suivants ont été identifiés comme étant des agents témoins; ils ont participé à une entrevue, aux dates suivantes :
- agent témoin no 1 (le 20 janvier 2010)
- agent témoin no 2 (le 20 janvier 2010)
Au départ, le 19 janvier 2010, l’agent témoin no 3 et l’agent témoin no 4 avaient été identifiés comme étant des agents impliqués. Après l’examen et l’analyse des entrevues réalisées et des documents remis à l’UES, ils ont été identifiés à nouveau, cette fois comme des agents témoins; ils ont participé à une entrevue le 2 février 2010.
Le 19 janvier 2010, par suite de l’enquête préliminaire, l’agent impliqué a été identifié comme étant l’agent impliqué. Le 2 février 2010, par l’intermédiaire de son avocat, soit l’avocat, l’agent impliqué a fait savoir qu’il refusait de fournir à l’UES une déclaration de même qu’une copie des notes de service écrites dans son carnet.
Sur demande, le SPO a remis ce qui suit à l’UES :
- une copie du rapport du système de répartition assisté par ordinateur pour l’incident du ----édité 2010
- une copie du sommaire de l’appel d’intervention pour l’incident du ----édité 2010
- une copie du registre des communications radio des agents le 7 janvier 2010, de 4 h à 7 h
- une copie de l’historique du système de localisation GPS des auto patrouilles ----édité, ----édité, ----édité, ----édité correspondant à l’incident du ----édité 2010
- une copie du rapport du système de répartition assisté par ordinateur pour l’incident du ----édité 2010
- une copie papier du rapport sur l’appel d’intervention pour l’incident du ----édité 2010
- une copie papier du rapport général des activités pour l’incident du ----édité 2010
- une copie de tous les rapports d’incident concernant Mme Ashley Boudreau
- une copie de tous les rapports d’incident concernant M. Andrew Ferguson
- un exemplaire de la politique no 5.25 du SPO concernant les agressions ou les conflits entre partenaires
- un exemplaire de la politique no LE-024 sur les cas de violence conjugale de la Commission de services policiers d’Ottawa, et
- une copie des renseignements et des documents se rattachant aux fichiers téléchargés à partir du téléphone cellulaire de M. Ferguson (----édité)
Au cours de l’enquête, l’UES a obtenu de la part du SPO des renseignements et des documents concernant le téléphone cellulaire de M. Ferguson. Les fichiers du téléphone ont été téléchargés; celui-ci contenait 67 images. L’image no 67 s’accompagnant d’une date indiquant que la photo avait été prise le 7 janvier 2010, à 12 h 50 min 47 s. Sur l’image, on pouvait voir Mme Boudreau, étendue sur le ventre. Cette position paraissait correspondre à celle dans laquelle elle avait été retrouvée le 16 janvier 2010. Mme Boudreau semblait décédée sur la photo.
Déclarations des témoins et éléments de preuve fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête (considérations relatives à l’application de la loi et à la protection de la vie privée)
Décision du directeur en vertu du paragraphe 113(7) de la Loi sur les services policiers
L’enquête de l’Unité est terminée, le dossier est clos et aucune autre mesure n’est envisagée. À mon avis, il n’existe pas de motifs raisonnables de croire que l’agent impliqué, nommément l’agent impliqué, a commis une infraction criminelle en ce qui a trait à ses agissements ou à son omission lorsqu’il a été dépêché en vue d’intervenir dans le cas d’une « dispute en cours » traduction à un lieu tôt le matin du 7 janvier 2010. L’agent impliqué et quatre autres agents ont répondu à l’appel, ont examiné la situation et ont quitté les lieux sans entrer dans l’appartement ni parler avec ses deux occupants, soit Mme Boudreau et M. Ferguson. Le 16 janvier 2010, le SPO a été dépêché de nouveau au même appartement et y a découvert deux corps. Les éléments de preuve médicolégaux et photographiques donnent à penser que M. Ferguson a tué Mme Boudreau à un certain moment après que les agents furent allés sur les lieux le matin du 7 janvier et qu’il s’est enlevé la vie ultérieurement. Le but de l’enquête de l’UES n’est pas de déterminer si l’un des agents a causé directement la mort de l’une ou l’autre de ces personnes, mais plutôt d’établir si l’omission de l’agent impliqué, le 7 janvier, alors qu’il répondait à une plainte pour bruit excessif, de forcer la porte et d’entrer dans l’appartement représentait un écart marqué par rapport à la conduite attendue d’une personne raisonnablement prudente dans les circonstances et de déterminer si cette omission a causé le décès de Mme Boudreau. Le cas échéant, il pourrait y avoir des motifs raisonnables de déposer une accusation de négligence criminelle ayant causé la mort : R. c. J.F., 2008 3 R.C.S. 215. Pour les motifs suivants, je suis d’avis que l’omission de l’agent impliqué ne représentait pas un tel écart, en supposant que cette omission ait entraîné la mort de Mme Boudreau.
Peu après 4 h 39 le 7 janvier, une personne a appelé le SPO afin de se plaindre qu’il y avait une dispute dans un logement avoisinant. Lorsqu’on a communiqué l’information relative à l’appel par l’intermédiaire du système de répartition, on a mentionné qu’une dispute avait lieu depuis 3 ou 4 heures à l’endroit en question, qu’il s’agissait entre autres d’une querelle verbale, que la personne ayant appelé avait indiqué avoir vu par la fenêtre les deux personnes qui se disputaient et qu’elles se lançaient des objets et se frappaient, qu’elle avait précisé avoir entendu quelque chose au sujet d’un bâton de baseball, qu’elle avait fait mention du dernier étage, du côté sud (à gauche, en haut de l’escalier), et qu’elle avait ajouté avoir vu une femme penchée au-dessus d’un homme. Cinq agents ont été dépêchés sur les lieux, dont l’agent impliqué. L’agent impliqué et un agent témoin ont parlé avec la personne qui avait appelé le SPO, qui leur a dit avoir vu Mme Boudreau et M. Ferguson se quereller. Elle a affirmé que la femme avait frappé l’homme avec un objet. Elle a ajouté avoir entendu une voix de femme dire « Je t’aime. Je t’aime » traduction. Ensuite, la personne est retournée à son appartement du premier étage et a entendu un agent affirmer, d’en bas : « je les entends clairement maintenant et ils ont recommencé ».
D’autres agents se sont rendus à un lieu; ils ont constaté qu’il s’agissait d’une résidence subdivisée dont la porte de devant était munie de quatre sonnettes. L’un des agents a appuyé sur toutes les sonnettes et a frappé à la porte, mais n’a reçu aucune réponse. Le même agent s’est rendu à l’arrière de la résidence, a grimpé dans l’escalier de secours et a jeté un coup d’œil à la fenêtre à l’aide de sa lampe de poche. Il a vu M. Ferguson et s’est identifié en tant qu’agent de police. M. Ferguson a évité le regard de l’agent et avait l’air d’une personne qui venait tout juste de se lever. L’agent témoin lui a demandé d’ouvrir la porte de devant; M. Ferguson s’est retourné et s’est éloigné de la fenêtre. L’agent est retourné à la porte avant et a frappé, mais personne n’a ouvert.
Un autre agent témoin est resté environ 15 à 20 minutes sur le seuil de la porte de devant, n’a entendu aucun bruit et s’est éloigné. Un autre agent/une autre agente s’est rendu du côté sud d’un lieu et a tenté de jeter un coup d’œil par une fenêtre du rez-de-chaussée à l’aide de sa lampe de poche. Il/Elle n’a rien vu. Les agents ont quitté les lieux à environ 5 h 11 et aucun agent témoin n’a rédigé des notes sur l’incident dans son carnet. L’agent impliqué n’a pas fourni ses notes aux enquêteurs, exerçant ainsi son droit en vertu du Règl. de l’Ont. 673/98 pris au titre de la Loi sur les services policiers.
À la lumière des renseignements transmis par l’intermédiaire du système de répartition et des autres renseignements fournis par la personne qui a appelé le SPO, il est raisonnable de penser que cet incident était un conflit entre partenaires et non uniquement une « dispute en cours » traduction, tel qu’on l’avait désigné au départ. Si l’incident est caractérisé comme un conflit entre partenaires, les agents dépêchés sur les lieux ont le devoir, en vertu de la politique no 5.24 du SPO, d’entrer par la force dans la résidence dans certaines circonstances. La partie de la politique permettant d’entrer de la sorte est ainsi libellée :
Les agents sont autorisés par la loi à entrer par la force dans une résidence lorsqu’ils ont des motifs raisonnables de croire que l’intérêt du public l’exige, eu égard aux circonstances, y compris lorsqu’il est nécessaire d’empêcher qu’une infraction se poursuive ou se répète, ou qu’une autre infraction soit commise. Les circonstances dont il est question sont celles où :
- il y a des appels à l’aide
- la présence d’armes est remarquée
- il y a des signes évidents qu’une lutte a eu lieu, et
- un témoin oculaire rapporte qu’un crime a été commis et que la victime est encore dans la résidence. traduction
Il est évident que des notes prises sur le moment par les agents concernés se seraient révélées utiles à l’UES pour dégager davantage de détails concernant l’incident du 7 janvier; quoi qu’il en soit, je suis d’avis que l’omission de l’agent impliqué de forcer la porte et d’entrer dans l’appartement ne représente pas un écart marqué par rapport à la conduite attendue d’une personne raisonnablement prudente dans les circonstances et qu’il ne s’agit donc pas de négligence criminelle, même en supposant que cette omission ait entraîné la mort de Mme Boudreau. L’agent impliqué avait été informé qu’une femme était penchée au-dessus d’un homme et que cette femme avait frappé l’homme avec un objet. On peut raisonnablement déduire que l’agent impliqué avait appris que le protagoniste ne semblait pas en détresse – M. Ferguson avait été aperçu par un agent témoin et, s’il avait été visiblement blessé, on peut raisonnablement supposer que cette information aurait été communiquée aux autres agents, y compris l’agent impliqué. De plus, au moment où les agents ont décidé de quitter les lieux, la dispute avait cessé et, selon les agents, tout était calme dans l’appartement d’où était provenu le bruit. Dans le contexte des critères qu’énoncent les dispositions de la politique du SPO concernant l’entrée forcée, les agents ayant joué un rôle dans l’incident disposaient de peu de renseignements qui auraient pu donner à penser qu’une infraction se poursuivait ou allait se répéter.
Avec du recul, on pourrait dire que les agents ayant joué un rôle dans l’incident auraient peut être pu sauver la vie de Mme Boudreau s’ils avaient pris des mesures plus proactives et étaient entrés de force dans la résidence, mais même cette idée peut être débattue. Nous ne pouvons savoir quel aurait été le résultat si les agents avaient parlé à Mme Boudreau ou à M. Ferguson lorsqu’ils ont été dépêchés à leur appartement le 7 janvier. Nous ne pouvons pas non plus savoir si les agents auraient été en mesure de trouver des motifs raisonnables d’arrêter Mme Boudreau ou M. Ferguson s’ils s’étaient entretenus avec eux ou avaient jeté un coup d’œil à l’appartement après avoir forcé la porte. À mon avis, il serait exagéré, dans ces circonstances, de conclure qu’il est justifié de porter une accusation de négligence criminelle ayant causé la mort parce que l’agent a omis d’entrer de force dans la résidence.
J’ai également étudié la possibilité d’une accusation relative au devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence, aux termes de l’article 215 du Code criminel; je suis d’avis que ces dispositions ne s’appliquent pas à la présente affaire puisque la défunte n’était pas à la charge de l’agent impliqué et que ce dernier n’avait donc, envers elle, aucun devoir prévu par la loi. En résumé, l’on ne peut attribuer de responsabilité criminelle à l’agent impliqué en ce qui a trait à ses agissements ou à son omission dans le cadre l’incident du 7 janvier.
Date : Le 22 février 2010
Ian Scott
Directeur
Unité des enquêtes spéciales