Rapport du directeur de l'UES - dossier no 16-TCI-061
Livré le : 21 juin 2017
Mandat de l’UES
L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.
En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.
Restrictions concernant la divulgation de renseignements
Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)
En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
- de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
- de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.
En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
- le nom de tout agent impliqué
- le nom de tout agent témoin
- le nom de tout témoin civil
- les renseignements sur le lieu de l’incident
- les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
- d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.
Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)
En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.
Autres instances, processus et enquêtes
Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.
Exercice du mandat
La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.
On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.
Le 3 mars 2016, le plaignant dans cette affaire a été examiné par un médecin à l’hôpital qui a confirmé la présence de blessures graves.
L’enquête
Notification de l’UES
Le 3 mars 2016, le Service de police de Toronto (SPT) a avisé l’UES que le plaignant avait été blessé alors qu’il était sous la garde du SPT.
Les faits rapportés à l’UES étaient les suivants : le 2 mars 2016, à 23 h 12, des agents en uniforme du SPT se sont rendus à une résidence en réponse à un appel concernant une querelle de ménage. La conjointe du plaignant tentait de l’empêcher de conduire, car il était en état d’ébriété.
Lorsque les policiers sont arrivés, il y a eu une altercation et le plaignant a tenté de s’enfuir. Les agents ont décidé d’arrêter le plaignant pour conduite et contrôle d’un véhicule à moteur en état d’ébriété. Une bagarre a éclaté entre le plaignant et les policiers; ces derniers ont plaqué le plaignant au sol et l’ont menotté.
Avant d’être transporté au poste de police, le plaignant a commencé à saigner du nez. Il a alors été conduit à l’Hôpital Toronto East General (TEGH) où il a été constaté qu’il avait une fracture de l’os nasal.
L’équipe
Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 5
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1
Plaignant
A participé une entrevue et ses dossiers médicaux ont été examinés
Témoins civils
TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue
TC no 4 A participé à une entrevue
Agents témoins
AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue
AT no 5 A participé à une entrevue
AT no 6 A participé à une entrevue
Agents impliqués
AI no 1 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué, mais l’UES a reçu et examiné ses notes.
AI no 2 A consenti à se soumettre à une entrevue, et l’UES a reçu et examiné ses notes.
AI no 3 A consenti à se soumettre à une entrevue, et l’UES a reçu et examiné ses notes.
Éléments de preuve
Les lieux
L’incident s’est déroulé sur une partie de l’allée asphaltée de la résidence. Le trottoir public traversant l’allée asphaltée était recouvert de neige tassée par la circulation des véhicules et des piétons. Il y avait ce qui semblait être des tâches de gouttes de sang dans la partie de l’allée située entre le trottoir et la chaussée.
Éléments obtenus auprès du SPT
L’UES a demandé les documents suivants au SPT, qu’elle a obtenus et examinés :
- rapport d’interrogation du CIPC
- enregistrements audio des communications
- données du CIPC sur le plaignant
- données du système de caméra de la voiture de police
- CIPC - casier judiciaire
- notes des agents témoins nos 2, 3, 4 et 5, et
- rapports de fiche de service.
Description de l’incident
Le mercredi 2 mars 2016, une querelle e a éclaté entre le plaignant et sa conjointe parce que le plaignant voulait sortir au volant de la voiture familiale après avoir consommé de l’alcool. Le plaignant ayant refusé de remettre les clés de la voiture à sa conjointe, celle-ci a appelé le 9-1-1. Comme elle a raccroché brusquement au cours de cet appel, le service de répartition a annoncé l’appel comme étant pour « problème de nature inconnue ».
Deux véhicules de police sont arrivés à la résidence à peu près au même moment. L’AI no 1 et l’AI no 2 se trouvaient dans l’un de ces deux véhicules, et l’AI no 3 et l’AT no 6, dans l’autre. À leur arrivée, les policiers ont trouvé le plaignant et sa conjointe qui se disputaient à l’extérieur. La conjointe est alors retournée à l’intérieur tandis que le plaignant est resté dehors, sur le trottoir. L’AI no 1 et l’AI no 2 se sont approchés du plaignant. Il était belliqueux et visiblement en état d’ébriété. L’AI no 1 est entré dans la résidence pour parler à la conjointe. Même si le plaignant ne s’était pas montré violent, elle ne voulait pas qu’il retourne à l’intérieur de crainte pour sa propre sécurité. L’AI no 1 est alors ressorti pour parler au plaignant, qui se montrait encore verbalement agressif à l’égard des policiers. Ceux-ci ont tenté de prendre des dispositions pour convaincre le plaignant de quitter la résidence, mais il a refusé. Il était bruyant et agressif envers les policiers.
D’autres agents de police sont arrivés. Il a été décidé d’arrêter le plaignant pour ivresse dans un lieu public en vertu de la Loi sur les permis d’alcool. L’AI no 1 a informé le plaignant qu’il était en état d’arrestation. Le plaignant a immédiatement opposé de la résistance aux agents. Lorsque l’AI no 1, l’AI no 2, l’AI no 3 et l’AT no 3 ont tenté de lui placer les menottes, il s’est débattu. Le plaignant étant très fort, les policiers l’ont plaqué de force au sol, menotté et fouillé. Durant le placage au sol du plaignant, l’AI no 2 a été blessé au genou. Le plaignant est resté allongé sur le ventre, en continuant de crier et de s’agiter sur le sol.
À un moment donné, les agents ont remarqué qu’il y avait du sang sur le sol, près du visage du plaignant, et que son nez saignait. L’AI no 1 a demandé une ambulance par radio. Lorsque les ambulanciers sont arrivés, le plaignant était toujours en train de donner des coups de pied et de crier des injures aux policiers. Il a été transporté à TEGH. À l’hôpital, le plaignant était verbalement abusif et physiquement agressif envers les policiers et le personnel de l’hôpital. On l’a placé dans un appareil de retenue mécanique à cinq points pour tenter de le maîtriser. À un moment donné, il a commencé à balancer violemment sa civière d’un côté à l’autre et les policiers ont dû le maintenir en place pour l’empêcher de tomber. Un formulaire 1
Dispositions législatives pertinentes
Paragraphe 25 (1), Code criminel — Protection des personnes chargées de l’application et de l’exécution de la loi
25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
- soit à titre de particulier,
- soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public,
- soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public,
- soit en raison de ses fonctions,
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.
Analyse et décision du directeur
Le 2 mars 2016, le plaignant a eu une interaction avec les agents impliqués AI no 1, AI no 2 et AI no 3 devant sa résidence. À la suite de cette interaction, le plaignant a souffert d’une fracture nasale. Le plaignant allègue que les agents ont utilisé une force excessive à son égard.
Malheureusement, aucun civil n’a été le témoin direct de l’interaction entre le plaignant et les agents impliqués et on ne dispose d’aucun enregistrement de vidéosurveillance de cet incident. La seule caméra activée était celle d’un véhicule de police arrivé tardivement sur les lieux, à un moment où l’incident était presque terminé. En outre, le champ de visée de la caméra a été à plusieurs reprises bloqué par des agents qui se tenaient entre le véhicule de police et l’endroit où se déroulait l’incident. Il est impossible d’obtenir une version exacte des faits à partir de toutes les déclarations (du plaignant, de sa conjointe, des agents impliqués et des agents témoins), parce qu’elles se contredisent. Néanmoins, il est clair que durant l’interaction avec la police, le plaignant était en état d’ébriété, extrêmement combatif et physiquement très puissant. Il est également évident qu’étant sorti de son domicile avant que la police ne soit appelée, le plaignant se trouvait en état d’ébriété dans un lieu public et qu’à ce titre, son appréhension était légalement justifiée.
En ce qui concerne le degré de la force utilisée par l’AI no 1, l’AI no 2 et l’AI no 3 dans leurs tentatives de maîtriser physiquement le plaignant, je suis convaincu que le plaignant a résisté activement et avec force à son arrestation par la police et que, de ce fait, les agents ont dû le plaquer au sol pour être en mesure de le maîtriser et de le menotter. Il est également évident que le plaignant a eu le nez cassé lorsqu’il a été plaqué au sol, puisqu’il n’a jamais allégué que les policiers lui avaient donné des coups de poing, des coups de pied ou des gifles, et que tous les policiers ont confirmé que personne ne l’avait frappé. Malheureusement, les différents récits de l’incident – du plaignant, des agents impliqués et des agents témoins – se contredisent tous de façon importante et il est donc difficile d’établir le nombre de fois où le plaignant a effectivement été plaqué au sol ou de quelle manière cela s’est passé.
Même si je conclus que ce sont les agents du SPT qui ont causé la blessure du plaignant lorsqu’ils l’ont mis à terre et que le plaignant a atterri sur le visage, j’estime qu’en vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents impliqués n’ont pas utilisé plus de force que ce qui était raisonnablement nécessaire dans l’exécution de leurs fonctions licites en appréhendant un homme enivré, combatif et extrêmement fort. Je conclus que la violence avec laquelle le visage du plaignant a frappé le sol a peut-être été supérieure à ce que les agents ont pu percevoir, étant donné que l’impact a été décuplé par le fait que les agents sont tombés en même temps que le plaignant. Néanmoins, la jurisprudence est claire : on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention (R. c. Baxter [1975], 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. Ont.) et on ne devrait pas leur appliquer la norme de la perfection (R. c. Nasogaluk [2010] 1 RCS 6). Par conséquent, j’ai des motifs raisonnables d’être convaincu que les actes des agents sont restés dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a donc pas lieu de croire qu’ils ont commis une infraction criminelle. Aucune accusation ne sera donc portée dans cette affaire.
Date : 21 juin 2017
Original signé par
Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales
Notes en bas de page
- note de bas de page[1] Retour au paragraphe Un « formulaire 1 » autorise à placer une personne, temporairement et sans son accord, dans un établissement psychiatrique aux fins d’une évaluation psychiatrique.