Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES au sujet du décès d’un homme de 41 ans survenu le 12 octobre 2016 lorsqu’il a été heurté par un véhicule qui roulait à grande vitesse et qui était suivi par une voiture de police.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 12 octobre 2016, à 12 h 40, le Service de police de Toronto (SPT) a signalé la collision d’un véhicule automobile ayant entraîné le décès du plaignant.

Le SPT a déclaré que l’accident d’automobile mortel était survenu dans le secteur de l’avenue Midland et de l’avenue Eglinton Est. À 11 h 17, l’agent impliqué (AI) avait vérifié la plaque d’immatriculation d’une BMW blanche, et la réponse obtenue à deux reprises avait été que la plaque n’était pas associée au véhicule. L’AI a fait retentir sa sirène pour attirer l’attention du conducteur. Il a annoncé par radio qu’il tentait d’intercepter la BMW. Dans le secteur de l’avenue Midland et de l’avenue Eglinton Est, la BMW a heurté et tué un travailleur routier [maintenant identifié comme le plaignant] et a roulé sur le pied d’un autre agent du SPT qui était affecté au chantier routier. Le conducteur ne s’est pas arrêté sur les lieux, et la BMW a été retrouvée abandonnée. Les enquêteurs du SPT ont plus tard réussi à établir l’identité du conducteur.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 8

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Nombre de spécialistes de la reconstitution des collisions assignés : 1

Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES se sont rendus sur les lieux, où ils ont identifié des éléments de preuve qu’ils ont préservés. Ils ont notamment pris des notes, des photos et des mesures et ils ont fait des croquis.

Plaignant

Homme de 41 ans décédé

Témoins civils

TC no 1  A participé à une entrevue

TC no 2  A participé à une entrevue

TC no 3  A participé à une entrevue

TC no 4  A participé à une entrevue

TC no 5  A participé à une entrevue

TC no 6  A participé à une entrevue

TC no 7  A participé à une entrevue

TC no 8  A participé à une entrevue

TC no 9  A participé à une entrevue

TC no 10  A participé à une entrevue

TC no 11  Aparticipé à une entrevue

TC no 12  A refusé de participer à une entrevue

Agents témoins

AT no 1  A participé à une entrevue

AT no 2  A participé à une entrevue

Agent impliqué

AI A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Éléments de preuve

Schéma des lieux

Schéma des lieux

Système de localisation automatique de véhicules et vidéo de la caméra de la voiture de police de l’AI

Les données enregistrées par le SLAV de la voiture de police de l’AI du SPT ont été fournies à l’UES. Les données ci-dessous ont été consignées tous les 400 mètres ou toutes les quatre minutes, selon la première éventualité.

HeureLieu et vitesse
11 h 14 min 58 sAvenue Eglinton Est, juste à l’est de Kennedy Road, 56 km/h
11 h 15 min 7 svenue Eglinton Est, 400 mètres plus loin en direction est au début de la pente montante menant au passage supérieur de chemin de fer, 47 km/h
11 h 15 min 48 sAvenue Eglinton Est, 400 mètres plus loin en direction est, toujours dans la pente montante menant au passage supérieur de chemin de fer, 8 km/h
11 h 17 min 14 sAvenue Eglinton, début de la descente du passage supérieur de chemin de fer, 39 km/h
11 h 17 min 22 sAvenue Eglinton, 400 mètres plus loin en direction est, suite de la pente descendante du passage supérieur de chemin de fer, 87 km/h
11 h 17 min 29 sAvenue Eglinton, sur une route plane à l’approche de l’avenue Midland, 71 km/h
11 h 17 min 58 sAvenue Eglinton, 400 mètres juste à l’est de l’avenue Midland, 58 km/h
11 h 18 min 6 svenue Eglinton, 400 mètres juste à l’est de l’avenue Huntington, 68 km/h
11 h 18 min 15 sAvenue Eglinton, à l’approche de Gilder Drive, 56 km/h
11 h 18 min 35 sGilder Drive, en direction nord, 39 km/h

La caméra de la voiture de police de l’AI était également activée. Voici le résumé de ce qui a été enregistré :

HeureEnregistrement
11 h 16 min 40 sUne BMW blanche arrive dans la voie en bordure devant la voiture de police de l’AI.
11 h 16 min 44 sLa voiture de police de l’AI se place derrière la BMW; la BMW se place dans la deuxième voie, et la voiture de police la suit.
11 h 16 min 50 sLa BMW retourne dans la voie en bordure et accélère.
11 h 16 min 56 sLa BMW parvient aux cônes sur la chaussée qui marquent la fin de la voie en bordure et essaie de se réinsérer dans la deuxième voie. La voiture de police se trouve derrière la BMW dans la première voie. La BMW distance la voiture de police et n’est plus visible à cause des autres véhicules qui circulent dans la deuxième voie entre la BMW et la voiture de police.
11 h 17 min 0 sa BMW s’immobilise un moment dans la circulation et se dirige vers les cônes et la voie fermée.
11 h 17 min 4 sa voiture de police de l’AI fait retentir un petit coup de sirène et suit la BMW.
11 h 17 min 6 sa BMW avance dans la voie fermée en renversant les cônes.
11 h 17 min 8 sa BMW commence à accélérer.
11 h 17 min 13 sLa BMW accélère brusquement, s’éloigne de la voiture de police et continue d’accélérer à grande vitesse. La voiture de police communique avec la répartitrice et donne son indicatif d’appel. La répartitrice répond et voici ce que lui dit l’AI :
11 h 17 min 18 s« Je viens d’apercevoir une BMW blanche qui a pris la fuite à vive allure, à l’intersection de Midland et Eglinton », « ouais, elle roule vraiment très vite », « vraiment très vite ».
11 h 17 min 29 sL’AI arrive à l’endroit où des travaux routiers sont en cours; la collision entre la BMW et le plaignant semble s’être déjà produite puisqu’on entend des gens crier en arrière-fond. La BMW n’est pas en vue. L’AI parle toujours :
11 h 17 min 28 s[L’AI donne le numéro de plaque d’immatriculation de la BMW.]
11 h 17 min 33 s« Je ne la poursuis pas. »
11 h 17 min 37 sL’AI s’arrête dans la zone de travaux routiers. Le plaignant a déjà été heurté, et la BMW n’est pas en vue.
11 h 17 min 39 sL’AI est toujours immobilisé dans la zone de travaux routiers.
11 h 17 min 47 sL’AI recommence à chercher la BMW; il dit « On dirait qu’elle est partie en direction nord sur Gilder. »
Répartitrice : « Poursuive-vous le véhicule? »
AI : « Négatif. Je ne poursuis pas le véhicule. Je me dirige vers Gilder pour voir où il est. Je n’effectue pas de poursuite. Je ne vois pas le véhicule. »

Preuve d’expert

Rapport de reconstitution de la collision

D’après son évaluation de la collision, le spécialiste de la reconstitution des collisions de l’UES est arrivé aux conclusions ci-dessous.

Vers 11 h 17 le mercredi 12 octobre 2016, l’AI circulait dans un véhicule identifié Crown Victoria 2011 de Ford en direction est sur l’avenue Eglinton, juste à l’ouest de Kennedy Road, à proximité de l’avenue Midland à Toronto (Ontario). Les feux d’urgence étaient activés, et l’AI essayait d’intercepter une BMW 328xi 2013 qui roulait à grande vitesse vers l’est sur l’avenue Eglinton Est dans la voie centrale en direction est. Elle venait du centre du passage supérieur de chemin de fer et se dirigeait vers l’avenue Midland. Les deux véhicules circulaient dans une zone qui était entourée de cônes de signalisation orange en raison de travaux routiers réalisés dans la voie en bordure et la voie centrale de l’avenue Eglinton Est, juste à l’ouest de l’avenue Midland. Au même moment, un travailleur routier, le plaignant, se trouvait dans la voie centrale fermée et tenait un ruban à mesurer.

Tandis que la BMW roulait en direction est du côté nord de la voie centrale, le côté droit du pare-chocs avant, l’aile et le capot du véhicule ont heurté le plaignant. Au moment de l’impact, la BMW roulait à une vitesse établie à 96 km/h, mais sa vitesse précédente ne peut toutefois pas être calculée. Le plaignant et le matériel en sa possession ont été projetés dans les airs, en direction de la voie centrale. Le corps du plaignant a heurté la portière du conducteur et s’est immobilisé contre l’arrière du pneu avant gauche d’un camion F550 de Ford qui était stationné face vers l’est dans la voie en bordure en direction est de l’avenue Eglinton Est, juste à l’ouest de l’avenue Midland. Le conducteur de la BMW a fui les lieux, et le véhicule a été retrouvé environ 1,6 kilomètre plus loin.

La vitesse moyenne de la voiture de police de l’AI était de 92 km/h, selon le calcul du rapport temps-distance, lorsqu’elle circulait en direction est du côté ouest du passage supérieur de chemin de fer. Elle a toutefois ralenti à une vitesse moyenne de 64 km/h à l’est du passage. La voiture de police de l’AI était à plus de 130 mètres à l’ouest du lieu de la collision lorsqu’elle s’est produite, et il n’a pas été directement impliqué dans l’accident. Environ neuf secondes après la collision, l’AI est arrivé sur les lieux dans sa voiture de police, qui chevauchait la voie en bordure et la voie centrale en direction est à une vitesse moyenne établie à 8 km/h. Il s’est ensuite dirigé vers l’est, sur l’avenue Eglinton Est, et il se trouvait à une bonne distance de la BMW, qui n’était pas en vue.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio et de photographies

Les enquêteurs de l’UES ont ratissé le secteur à la recherche d’éléments de preuve sous forme d’enregistrements audio ou vidéo ou de photographies, ont trouvé des séquences de vidéosurveillance filmées à trois endroits différents dans le secteur et ils ont obtenu les séquences filmées par la caméra intégrée au tableau de bord du camion du TC no 10.

Enregistrements des communications

Il semble que l’AI ait alerté l’opérateur des systèmes de communication du Service de police de Toronto après la collision. Le système de répartition assisté par ordinateur (ICAD) a enregistré le début de l’appel à 11 h 17 min 14 s. Voici un résumé :

AI
Appel de [numéro de la voiture de police].
Opérateur des systèmes de communication
Allez-y.
AI
Je viens de voir une BMW blanche qui a pris la fuite à vive allure.
Opérateur des systèmes de communication
Où êtes-vous?
AI
Elle roule vraiment très vite [communication du numéro de plaque d’immatriculation de la BMW]. Je ne poursuis pas le véhicule. [En arrière-fond, on entend des cris.]
AI
Un piéton a été heurté par le véhicule, Midland et Brimley [en arrière-fond, on entend des cris.]. Urgent ASV [absence de signes vitaux]?
Opérateur des systèmes de communication
10-4 Où vous trouvez-vous?
AI
Répartitrice, la voiture vient de disparaître à Gilder et Eglinton, désolé.
AI
On dirait qu’elle est partie en direction nord sur Gilder.
Opérateur des systèmes de communication
Poursuivez-vous le véhicule?
AI
Négatif. Je ne poursuis pas le véhicule. Je me dirige vers Gilder pour voir où il est. Je n’effectue pas de poursuite. Je ne vois pas le véhicule.

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a demandé au Service de police de Toronto les documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • les données du système de localisation automatique de véhicules (SLAV),
  • les communications – résumé de la conversation,
  • l’enregistrement de la caméra de la voiture de police de l’AI,
  • le rapport des détails de l’événement,
  • le rapport d’incident général,
  • le rapport du système de répartition assisté par ordinateur (ICAD),
  • le Rapport d’accident de véhicule automobile (rempli),
  • les notes des AT nos 1 et 2,
  • la politique du Service de police de Toronto concernant les poursuites en vue de l’appréhension d’un suspect, et
  • le communiqué du Service de police de Toronto.

Description de l’incident

Le 12 octobre 2016, le plaignant travaillait dans une zone de travaux routiers le long de l’avenue Eglinton Est, juste à l’ouest de l’avenue Midland. La zone de travaux routiers restreignait graduellement l’espace des voies accessibles, de sorte que l’avenue Eglinton Est ne comportait plus qu’une seule voie ouverte avant l’intersection avec l’avenue Midland.

À ce moment, l’AI, au volant d’une voiture de police identifiée du SPT, se dirigeait vers l’est sur l’avenue Eglinton Est en direction de la zone de travaux routiers. En traversant Kennedy Road, l’AI a remarqué une BMW blanche qui circulait également vers l’est le long de l’avenue Eglinton Est. L’AI a vérifié la plaque d’immatriculation de la BMW et a constaté qu’elle n’était pas associée au véhiculefootnote 1. Le conducteur de la BMW, le présumé TC no 12, a fait des manœuvres pour fuir qui ont inquiété l’agent. Tandis que l’AI et la BMW approchaient du début de la zone de travaux sur l’avenue Eglinton Est, l’AI a activé ses feux d’urgence et a fait retentir un coup de sirène. La BMW a pris la fuite à toute vitesse en traversant la zone de travaux routiers. L’AI l’a suivie avec ses feux activés.

À l’approche de l’avenue Midland, la BMW a continué d’accélérer et son côté droit a heurté le plaignant, qui a été projeté dans les airs. La BMW roulait à 96 km/h au point d’impact; elle a traversé l’intersection et s’est éloignée à toute vitesse sur l’avenue Eglinton Est. L’AI s’est arrêté quelques instants sur les lieux de l’accident, puis a traversé l’intersection pour essayer de retrouver la BMW.

Le décès du plaignant a été déclaré sur les lieux.

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 et 220, Code criminel3 : Négligence criminelle causant la mort

219(1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

  1. soit en faisant quelque chose;
  2. soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir,

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :

  1. s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
  2. dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Article 249, Code criminel3 : Conduite dangereuse causant la mort

(1) Commet une infraction quiconque conduit, selon le cas :

  1. un véhicule à moteur d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu;

[…]

(4) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) et cause ainsi la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans.

Analyse et décision du directeur

Le mercredi 12 octobre 2016, peu après 11 h 17, le plaignant travaillait dans une zone de travaux routiers dans le secteur de l’avenue Midland et de l’avenue Eglinton Est, à Toronto, lorsqu’il a été heurté et tué par une BMW blanche filant à toute allure qui était prétendument conduite par le TC no 12. Quelques secondes plus tôt, l’AI avait vu le TC no 12 conduire son véhicule automobile de manière dangereuse; l’AI a vérifié la plaque d’immatriculation et a découvert qu’elle n’était pas associée au véhicule. Par conséquent, l’AI a activé les gyrophares de sa voiture de police et a essayé d’intercepter le véhicule automobile pour mener une enquête.

Onze témoins qui se trouvaient dans le secteur de l’avenue Eglinton et de l’avenue Midland tout de suite avant, pendant ou immédiatement après la collision tragique qui a coûté la vie au plaignant ont accepté de participer à une entrevue avec les enquêteurs de l’UES. Le présumé conducteur de la BMW blanche a refusé. Les 11 témoins interrogés ont donné des versions différentes des faits, ce qui n’a rien d’étonnant puisque l’incident s’est déroulé en seulement quelques secondes.

Parmi les témoins ayant participé à une entrevue figuraient des membres de l’équipe de travailleurs routiers, des automobilistes ou des passagers immobilisés dans la circulation à divers endroits le long du parcours de la BMW blanche ainsi que des piétons présents à l’intersection de l’avenue Midland et de l’avenue Eglinton.

Heureusement, l’AI a eu la bonne idée d’activer tôt la caméra de sa voiture de police pendant qu’il observait la BMW blanche, parce que cela permet d’avoir le même point de vue que lui au moment de l’incident et de voir rétrospectivement à quels moments et à quels endroits les événements se sont produits. Il est clair que la BMW blanche et la voiture de police circulaient dans la troisième voie jusqu’à ce que la BMW passe dans la deuxième voie, tout de suite avant l’impact mortel. En outre, la caméra de la voiture de police confirme que l’AI n’a pas activé sa sirène, à part le petit coup qu’il a fait retentir au début.

La déclaration du TC no 6 est entièrement corroborée par la caméra de la voiture de police et par l’AI lui-même. Comme on pourrait s’y attendre, en raison du traumatisme causé par l’incident, de la vitesse à laquelle les événements se déroulés et des efforts déployés pour reconstituer les faits, bon nombre des autres témoins ont donné des versions différentes d’une bonne partie des faits importants. Tous les témoins civils, sauf deux, ont indiqué qu’ils avaient vu les gyrophares de la voiture de police activés, mais qu’ils n’avaient pas entendu de sirène avant l’impact. Les témoins qui se trouvaient directement sur le chantier routier où la scie à ciment était en marche ne pouvaient sans doute pas entendre grand-chose.

Divers témoins ont dit que la BMW blanche roulait à une vitesse de 70 à 80 km/h, de 100 à 120 km/h et même de 150 km/h avant l’impact. Ce qui ressort clairement de la vidéo de surveillance obtenue d’un centre commercial situé à proximité, c’est que la BMW blanche roulait à une vitesse fulgurante et que la voiture de police allait beaucoup moins vite et se trouvait loin derrière. À part un témoin civil, aucun des témoins n’a indiqué que la voiture de police poursuivait activement la BMW blanche. Les témoignages varient; il y en a qui n’ont vu aucune voiture de police, d’autres qui ont vu une voiture de police « suivre » la BMW blanche en venant de l’ouest et se diriger vers l’est après un délai d’une durée de quelques secondes à environ dix secondes et, enfin, d’une à deux minutes après l’impact.

La vidéo de la caméra de la voiture de police et les séquences de vidéosurveillance confirment que la BMW blanche s’est approchée du chantier routier dans la voie en bordure et est passée à la deuxième voie juste avant l’impact.

Dans les cas où une portion du témoignage d’un témoin est en grande partie confirmée par des preuves matérielles (c.-à-d. la vidéo de la caméra de la voiture de police ou les séquences de vidéosurveillance), je considère que le reste du témoignage est probablement plus fiable que les déclarations des témoins dont les observations se sont avérées inexactes d’après les preuves matérielles. Par conséquent, je suis enclin, selon la prépondérance de la preuve, à me fier aux observations des huit ou neuf témoins qui ont tous confirmé que la BMW blanche roulait à une vitesse excessive et que la voiture de police était loin derrière ou hors de vue, allait beaucoup moins vite et n’effectuait pas une poursuite active.

Pour formuler mes conclusions, je me suis fondé principalement sur la vidéo de la caméra de la voiture de police de l’AI ainsi que sur les séquences de vidéosurveillance de deux commerces de détail du secteur. La vidéo de la caméra de la voiture de police montre clairement que les incidents qui suivent sont survenus aux heures indiquées ci-dessous :

HeureEnregistrement
11 h 16 min 40 sUne BMW blanche arrive dans la voie en bordure devant la voiture de police de l’AI.
11 h 16 min 44 sLa voiture de police de l’AI se met derrière la BMW; la BMW va dans la deuxième voie, et la voiture de police la suit.
11 h 16 min 50 sLa BMW retourne dans la voie en bordure et accélère.
11 h 16 min 56 sLa BMW atteint les cônes sur la chaussée qui marquent la fin de la voie en bordure et essaie de se réinsérer dans la deuxième voie. La voiture de police se trouve derrière la BMW dans la première voie. La BMW accroît la distance qui la sépare de la voiture de police et n’est plus visible à cause des autres véhicules qui circulent dans la deuxième voie entre la BMW et la voiture de police.
11 h 17 min 0 sa BMW s’immobilise un moment dans la circulation et se dirige vers les cônes et la voie fermée.
11 h 17 min 4 sa voiture de police de l’AI fait retentir un petit coup de sirène et suit la BMW.
11 h 17 min 6 sa BMW avance dans la voie fermée en renversant les cônes.
11 h 17 min 8 sa BMW commence à accélérer.
11 h 17 min 13 sLa BMW accélère brusquement, s’éloigne de la voiture de police et continue d’accélérer à grande vitesse. La voiture de police communique avec la répartitrice et donne son indicatif d’appel. La répartitrice répond et voici ce que lui dit l’AI :
11 h 17 min 18 s« Je viens d’apercevoir une BMW blanche qui a pris la fuite à vive allure à l’intersection de Midland et Eglinton ».
11 h 17 min 24 s« Ouais, elle roule vraiment très vite, »
11 h 17 min 26 s« vraiment très vite ».

(Les paroles des trois passages ci-dessus entre guillemets ont en fait été dites sans interruption; j’ai noté l’heure à mesure que les paroles étaient prononcées. Il ne faut pas lire ces passages comme s’il y avait eu des pauses entre chacun. En fait, l’agent parle de façon continue une fois que la répartitrice lui a répondu.)

HeureEnregistrement
11 h 17 min 29 sL’AI arrive à l’endroit où des travaux routiers sont réalisés; la collision entre la BMW et le plaignant semble s’être déjà produite puisqu’on peut entendre des gens crier en arrière-fond. La BMW n’est pas visible. L’AI parle toujours :
11 h 17 min 28 s[L’AI donne le numéro de plaque d’immatriculation de la BMW.]
11 h 17 min 33 s« Je n’engage pas de poursuite ».
11 h 17 min 37 sL’AI s’arrête dans la zone de travaux routiers. Le plaignant a déjà été heurté et la BMW n’est pas visible.
11 h 17 min 39 sL’AI est toujours immobilisé dans la zone de travaux routiers.
11 h 17 min 47 sL’AI recommence à chercher la BMW; il dit « On dirait qu’elle est partie en direction nord sur Gilder. »
Répartitrice : « Poursuive-vous le véhicule? »
AI : « Négatif, je ne poursuis pas le véhicule, je me dirige vers Gilder pour voir où il est. Je n’effectue pas de poursuite, je ne vois pas le véhicule. »

Nous avons également de la chance qu’on nous ait fourni les séquences filmées par la caméra intégrée au tableau de bord du camion du TC no 10. Ces séquences montrent que, à partir du moment où la BMW traverse l’intersection de Midland et d’Eglinton à toute vitesse après l’impact, il s’écoule 11 secondes avant qu’on voie arriver la voiture de police à l’ouest de l’intersection.

En outre, les séquences de vidéosurveillance filmées à trois endroits différents montrent que la BMW blanche entre dans le champ de la caméra en roulant à très grande vitesse. Cinq ou six secondes plus tard, une voiture de police qui roule beaucoup moins vite entre dans le champ de la caméra.

Compte tenu de tous ces éléments de preuve, je suis convaincu que l’AI a aperçu un véhicule automobile haut de gamme portant une plaque non associée au véhicule qui roulait de façon étrange en alternant entre les deuxième et troisième voies et que l’AI a tenté d’intercepter le véhicule afin de faire des vérifications, à tout le moins pour une infraction au Code de la route, mais peut-être aussi pour d’autres infractions, à en juger par les manœuvres actives faites par le conducteur de la BMW pour essayer d’échapper à la voiture de police. Je conclus qu’il s’est placé derrière la BMW, a activé les gyrophares de sa voiture et a fait retentir un petit coup de sirène à 11 h 17 min 4 s d’après la caméra de la voiture de police. Dans les quatre secondes qui ont suivi, il semble que le conducteur du véhicule s’est dirigé vers la voie fermée afin de s’immobiliser pour parler à l’agent, et je constate qu’aucun élément de preuve n’aurait permis à l’AI de soupçonner que la voiture allait partir à toute vitesse et qu’il devrait communiquer avec le Centre de communications. À 11 h 17 min 13 s, soit neuf secondes plus tard, il devient évident que la BMW ne s’arrêtera pas, puisqu’elle accélère brusquement et s’éloigne à toute vitesse. À ce stade, l’AI communique avec la répartitrice. Même si on peut se dire, avec du recul, que l’AI aurait pu communiquer avec la répartitrice cinq secondes plus tôt, lorsque la BMW a d’abord renversé les cônes de signalisation et a commencé à avancer dans la voie fermée, je ne peux mesurer les actes de l’AI d’après un niveau de perfection qu’il ne serait possible d’atteindre qu’avec du recul en sachant déjà ce qui allait se produire alors qu’on vit une situation où tout se déroule à toute vitesse.

Même si je constate que l’AI parlait toujours à la répartitrice à la radio à 11 h 17 min 29 s, soit quelque 16 secondes plus tard, lorsqu’il est arrivé dans le secteur de la zone de travaux routiers où le plaignant avait déjà été heurté, et que c’est à ce moment qu’il a affirmé pour la première fois qu’il ne poursuivait pas le véhicule automobile, je ne peux en conclure qu’il ait dit qu’il n’effectuait pas une poursuite uniquement parce qu’il avait vu qu’une collision s’était produite. Je considère plutôt que les choses se sont passées ainsi parce que la conversation était toujours en cours et que c’est seulement à cause des déplacements de la BMW blanche et de la vitesse fulgurante à laquelle elle avançait que l’AI n’a pas eu le temps de finir ce qu’il avait à dire à la radio avant le dénouement tragique.

Il est évident que l’AI avait des motifs raisonnables de tenter d’intercepter la BMW blanche et de faire des vérifications en relation avec une infraction au Code de la route. De plus, les déplacements de la BMW, qui essayait activement d’échapper à l’agent, étaient de nature à faire soupçonner encore davantage à l’AI que d’autres actes criminels étaient peut-être commis. Je conclus toutefois que, une fois que le conducteur de la BMW a accéléré brusquement et s’est mis à conduire de façon dangereuse dans la voie de circulation fermée, l’AI n’a pas entrepris de poursuite active. Il s’agit peut-être d’une simple question de sémantique, mais je conclus que, même si l’agent a suivi le véhicule dans la voie en bordure à une vitesse supérieure à la limite permise, sa vitesse était de beaucoup inférieure à celle de la BMW, celle-ci n’était plus en vue et l’agent ne poursuivait pas activement la BMW afin de tenter de l’obliger à arrêter après le coup de sirène initial et l’activation des gyrophares. J’estime que cette interprétation des événements est confirmée par neuf témoins civils, par la caméra de la voiture de police et les séquences de vidéosurveillance ainsi que par la caméra intégrée au tableau de bord du camion du TC no 10.

Même si on pourrait considérer que l’AI a engagé une poursuite en suivant la BMW, je conclus que l’agent n’a pas enfreint la politique du SPT concernant la poursuite visant l’appréhension de suspects puisqu’il a bel et bien communiqué, presque toute de suite (en l’espace de cinq secondes), sinon immédiatement, avec l’ opérateur des systèmes de communication pour l’informer du refus du conducteur de s’arrêter et qu’il a continué de fournir tous les renseignements nécessaires à la répartitrice.

Ce qu’il faut déterminer dans la présente affaire, c’est s’il y a eu des infractions de conduite dangereuse causant la mort et de négligence criminelle causant la mort, qui sont interdites par les articles 249 et 220 du Code criminel3 respectivement. Ces deux infractions seraient fondées sur la conclusion que la conduite constituait un écart marqué par rapport au niveau de prudence qu’une personne raisonnable aurait exercé dans les circonstances.

J’estime qu’il n’y a aucune preuve que la conduite de l’AI ait créé un danger pour les autres usagers de la route. Il n’a, à aucun moment, perturbé la circulation, les conditions ambiantes étaient bonnes et il a utilisé sa sirène et ses feux d’urgence avec prudence, activant les gyrophares et pas la sirène, parce qu’il craignait que cela ait pour effet d’empirer la conduite déjà dangereuse du conducteur de la BMW. De plus, il n’a cessé de maintenir une bonne distance pendant qu’il suivait la BMW, comme le montre la caméra de la voiture de police. L’agent n’a rien fait pour exacerber la conduite dangereuse du conducteur de la BMW. C’est l’imprudence de ce dernier qui a causé le décès tragique du plaignant.

En dernière analyse, je suis convaincu, au vu du dossier, que l’AI agissait légalement lorsqu’il a tenté d’intercepter la BMW afin de faire des vérifications relatives à une infraction évidente au Code de la route et à d’éventuelles infractions au Code criminel3 et qu’il a exercé le degré de prudence prescrit par le droit criminel. En conséquence, il n’y a pas lieu de porter des accusations à l’encontre de cet agent.

Date : 7 septembre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales