Rapport du directeur de l'UES - dossier no 17-OCD-182
Livré le : 16 mai 2018
Mandat de l’UES
L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.
En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.
Restrictions concernant la divulgation de renseignements
Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)
En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
- de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
- de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.
En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
- le nom de tout agent impliqué
- le nom de tout agent témoin
- le nom de tout témoin civil
- les renseignements sur le lieu de l’incident
- les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
- d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.
Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)
En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.
Autres instances, processus et enquêtes
Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.
Exercice du mandat
La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu à une allégation d’agression sexuelle.
Les « blessures graves » englobent celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, a priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant que la gravité de la blessure puisse être évaluée, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider de l’envergure de son intervention.
Ce rapport décrit l’enquête menée par l’UES sur le décès d’un homme de 50 ans à la suite de son interaction avec la police le 20 juillet 2017.
L’enquête
Notification de l’UES
Le jeudi 20 juillet 2017, vers 2 h, le Service de police de Thunder Bay (SPTB) a informé l’UES du décès du plaignant âgé de 50 ans alors qu’il était sous garde policière.
Le SPTB a déclaré que le mercredi 19 juillet 2017, vers 19 h 51, des agents de police du SPTB avaient répondu à un appel concernant une personne en état d’ébriété, à l’arrière d’une adresse dans la ville de Thunder Bay. Les ambulanciers paramédicaux des Services médicaux d’urgence de Superior North (SMUSN) étaient présents également et ont examiné le plaignant et lui ont donné son congé.
L’agent témoin (AT) no 1 et l’AT no 2 ont conduit le plaignant à sa résidence, mais l’occupant refusait de laisser le plaignant entrer à cause de son état d’intoxication. L’AT no 1 et l’AT no 2 ont alors procédé à une vérification auprès du centre de désintoxication local, mais il n’y avait aucune place disponible. Par conséquent, le plaignant a été arrêté pour ivresse publique et transporté au poste de police du SPTB à 20 h 12 et y a été placé dans une cellule. Peu après minuit, le 20 juillet 2017, lors d’une vérification physique des prisonniers, on a constaté que plaignant ne respirait pas et l’AT no 1 et l’AT no 4 ont fait des tentatives de réanimation cardiorespiratoire (RCR) sur sa personne. On a communiqué avec les SMUSN, et le plaignant a été transporté à l’hôpital, où l’on a constaté son décès à 1 h 34.
L’équipe
Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4
Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 1
Plaignant :
Homme de 40 ans, décédé
Témoins civils (TC)
TC n° 1 A participé à une entrevue
TC n° 2 A participé à une entrevue
TC n° 3 A participé à une entrevue
TC n° 4 A participé à une entrevue
TC n° 5 A participé à une entrevue
TC n° 6 A participé à une entrevue
TC n° 7 A participé à une entrevue
Agents témoins (AT)
AT n° 1 A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées.
AT n° 2 A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées.
AT n° 3 A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées.
AT n° 4 A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées.
Agent impliqué (AI)
AI no 1 N’a pas participé à une entrevue et n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué
Description de l’incident
Le 19 juillet 2017, vers 19 h 51, la police et les Services médicaux d’urgence de Superior North (SMUSN) ont répondu à un appel au 9-1-1 au centre commercial Victoriaville de Thunder Bay pour venir en aide au plaignant. À l’arrivée des AT nos 1 et 2, les ambulanciers paramédicaux étaient déjà présents et parlaient avec le plaignant, qui était manifestement intoxiqué. Une fois que les ambulanciers paramédicaux ont conclu que le plaignant ne présentait pas des signes de détresse médicale, les agents de police l’ont escorté jusqu’à leur voiture de patrouille et ont tenté de trouver un endroit où il pourrait loger. Lorsque leurs efforts n’ont pas abouti, le plaignant a été arrêté pour ivresse dans un endroit public, en contravention de la Loi sur les permis d’alcool, et transporté au poste de police, où il a été placé dans une cellule en attendant qu’il dégrise et puisse être remis en liberté.
À 0 h 21, on a constaté, durant l’une des vérifications courantes des cellules, que le plaignant ne respirait pas et on a immédiatement appelé à l’aide et des agents de police ont commencé à administrer la RCR. Lorsque les ambulanciers paramédicaux sont arrivés, ils ont continué les tentatives de raviver le plaignant, qui a été transporté à l’hôpital.
Nature des blessures/traitement
Les agents de police qui avaient commencé à administrer la RCR et qui avaient ensuite appelé les ambulanciers paramédicaux avaient déterminé qu’il y avait une absence de signes vitaux (ASV) chez le plaignant, qui se trouvait dans le bloc cellulaire d’une installation du SPTB. Les ambulanciers paramédicaux sont arrivés et ont poursuivi les efforts auprès du plaignant jusqu’à son transfert au personnel à l’hôpital. Les tentatives de raviver le plaignant n’ont rien donné et, à 1 h 34, il a été déclaré mort.
Le corps du plaignant a ensuite été transporté, sous scellés, au Bureau du coroner en chef à Toronto, où une autopsie a été effectuée le samedi 22 juillet 2017. Les conclusions préliminaires de l’autopsie effectuée par le pathologiste précisaient que la cause du décès du plaignant serait établie à la suite de [traduction] « tests auxiliaires en attente », plus particulièrement à partir des résultats de tests d’histologie, de toxicologie, de microbiologie et de virologie auxquels seraient soumis les échantillons biologiques transmis au Centre des sciences judiciaires (CSJ).
Le mardi 9 janvier 2018, l’UES a reçu un rapport toxicologique du CSJ, daté du 27 septembre 2017, ainsi qu’un rapport du Service de médecine légale de l’Ontario, rédigé par le pathologiste judiciaire et daté du 18 décembre 2017, provenant du Bureau du coroner régional principal, région du Nord, à Thunder Bay. Le rapport indiquait que, compte tenu des antécédents du plaignant, les résultats de l’autopsie et des tests auxiliaires, le décès du plaignant était attribuable à une cardiopathie hypertensive.
Preuve
Les lieux de l’incident
Le bloc cellulaire dans l’installation du SPTB se compose d’une pièce de surveillance, où il y a des écrans qui permettent de voir toutes les cellules, d’une aire de mise en détention, où il y a deux caméras au plafond, et de plusieurs pièces réservées aux alcootests, aux premiers soins et à la prise des empreintes digitales. On y trouve aussi des toilettes, une aire réservée au gardien et une porte qui donne accès à l’entrée sécurisée. D’autres portes adjacentes à la salle de surveillance mènent à l’aire de détention des femmes et aux cellules réservées aux adolescents. Il y a une porte dans le mur sud de l’aire de mise en détention qui donne accès à un long couloir qui mène à deux grandes salles qui abritent un certain nombre de cellules, ainsi qu’une aire de détention provisoire filmée par un système vidéo et une salle de douche. Ce couloir comporte deux caméras au plafond, dont une est installée à l’extrémité nord, et l’autre, à l’extrémité sud.
Le plaignant avait été logé dans la première grande pièce, au côté est de ce long couloir, dans la cellule 12. Au total, il y a dix cellules dans la pièce. Chaque cellule comporte un banc en béton et une toilette. Il y a une caméra au-dessus de chaque cellule qui pointe vers la cellule par-dessus un petit corridor. En outre, il y a une caméra au mur est le plus éloigné qui est dirigée vers la porte donnant accès au couloir. Il y a 11 caméras au total dans la pièce.
Photographie de la cellule 12
Photographies de la cellule 12 et du couloir
Schéma des lieux
L’enquêteur judiciaire de l’UES s’est servi du logiciel Total Station pour produire un croquis de l’aire des cellules.
Éléments de preuve médico-légaux
Des échantillons biologiques du sang fémoral, du sang cardiaque et de l’urine prélevés après le décès du plaignant ont été soumis au CSJ pour analyse.
Preuve vidéo/audio/photographique
Vidéo du bloc cellulaire du SPTB du 19 juillet 2017
La vidéo du bloc cellulaire était composée des cinq fichiers vidéo suivants :
[157] Cellule 12, [182] Entrée sécurisée, [192] Salle de mise en détention,
[223] Cellules 06-15, et [167] Cellules nord réservées aux hommes
À 20 h 11 m 32 :51 s, [182] Entrée sécurisée : Un agent de police aux cheveux foncés [désigné maintenant comme l’AT no 2] sort du côté passager avant de la voiture de patrouille, et un agent de police chauve [désigné maintenant comme l’AT no 1] en sort du côté du conducteur. À 20 h 12 m 22 :48 s, le plaignant sort de la voiture de patrouille par la portière latérale arrière du côté du conducteur. L’AT no 2 entre dans l’entrée sécurisée par la porte au côté droit de l’écran. Le plaignant n’est pas menotté et il a une attelle au poignet droit. Il porte un T-shirt brun et des jeans bleus et marche sans aide. L’AT no 1 tient le biceps gauche du plaignant avec sa main droite et le guide. Le plaignant franchit la porte au côté droit de l’écran avec les deux agents de police et entre dans la salle de mise en détention.
À 20 h 12 m 52 :82 s, [192] Salle de mise en détention : Le plaignant est amené au centre de l’aire de mise en détention délimité au moyen d’un rectangle jaune sur le plancher. On dit au plaignant de se tenir debout et de faire face au mur où se trouve le comptoir. L’AT no 1 se trouve au côté gauche du plaignant et le tient au haut du bras gauche avec sa main droite. L’AT no 2 se trouve à droite du plaignant et le tient au haut du bras droit avec sa main gauche.
Les deux agents de police fouillent les vêtements extérieurs du plaignant et demandent au plaignant ce qui est arrivé à son poignet; le plaignant ne répond pas. Le plaignant porte la main gauche à la bouche comme s’il est sur le point de vomir, et l’AT no 1 lui demande s’il va être malade; le plaignant fait des bruits comme s’il s’étouffe. L’AT no 1 saisit une poubelle et la place devant le plaignant. Le plaignant est amené à un banc en métal à gauche du rectangle jaune et s’assied, tandis que l’agent de police chauve place la poubelle devant lui. Les deux agents de police s’éloignent, tandis que le plaignant se penche vers l’avant avec la tête au-dessus de la poubelle. Le plaignant fait des bruits comme s’il vomit, mais il est difficile de voir s’il vomit effectivement. Le plaignant demande du jus et se fait dire qu’il pourra boire quelque chose une fois qu’il se trouve dans la cellule.
L’AT no 3 entre dans la salle de mise en détention. Il semble que le plaignant tousse ou vomit quelque chose. L’AT no 3 remplit des formulaires à l’avant du comptoir. Le plaignant continue de faire des bruits comme s’il s’étouffe et se penche au-dessus de la poubelle. L’AT no 2 dit [traduction] « foulure du poignet droit » à l’AT no 3. L’AT no 2 dit « Roland, prenez-vous des médicaments pour quelque chose? », et le plaignant secoue à peine la tête pour dire non. L’AT no 2 demande au plaignant s’il se sent mieux. On dit au plaignant que plus vite il sera fouillé, plus vite il pourra se rendre à sa cellule et recevoir du jus.
L’AT no 3 demande au plaignant s’il a des problèmes de santé dont elle devrait avoir connaissance et l’AT no 2 répond par la négative. Le plaignant retire ses chaussures. L’AT no 3 dit au plaignant qu’elle lui laissera l’attelle sur le bras, mais que s’il joue avec, elle l’ôtera. Le plaignant dit qu’il aimerait du jus, et l’AT no 3 lui dit qu’elle ira en chercher dans une minute.
Les agents de police fouillent les jambes du plaignant pendant qu’il est assis. Les agents de police mettent le plaignant debout, tout en soutenant ses bras avec leurs mains. Ils fouillent l’arrière du pantalon du plaignant. Le plaignant est emmené par la porte, à gauche du comptoir.
À 20 h 16 m 49 :27 s, cellules 06-15 : On accompagne le plaignant dans le couloir.
À 20 h 16 m 58 :40 s, [167] Cellules nord réservées aux hommes : Le plaignant est amené au bloc cellulaire et marche jusqu’à la cellule 12.
À 20 h 17 m 14 :76 , cellule 12 : Le plaignant est placé dans la cellule 12 par les AT nos 1 et 2. Le plaignant s’assied au milieu du lit avec les jambes vers la gauche de celui-ci. L’AT no 1 ferme la porte de la cellule. Une boîte à jus de couleur verte se trouve sur le lit, à gauche du plaignant. Les cellules à gauche et à droite de la cellule 12 sont inoccupées. Le plaignant se couche sur le lit, sur son côté droit, avec les genoux pliés et les jambes sur le lit, et il semble s’assoupir. A 20 h 30 m 09 :76 s, le plaignant change de position alors qu’il est couché sur le côté droit et ses deux pieds quittent le lit brièvement, et puis il revient à sa position avec les pieds sur le lit. Le corps du plaignant semble faire un léger mouvement de va-et-vient, alors qu’il inspire et expire. Son abdomen monte et descend. Le corps du plaignant avance et recule légèrement, selon le rythme de sa respiration.
À 20 h 31 m 59 s, le plaignant se tourne sur le côté gauche et le haut de son bras gauche touche le mur à côté du lit, et il tend les jambes.
À 20 h 33 m 02 :81 s, la respiration du plaignant semble profonde et sa poitrine bouge légèrement alors qu’il respire.
À 20 h 34 m 04 :42 s, l’AT no 3 se tient debout devant la cellule 12 et observe le plaignant.
À 23 h 48 m, l’AT no 3 entre dans le bloc cellulaire et marche au milieu de la rangée des cellules en regardant à gauche et à droite et puis revient sur ses pas et quitte le bloc cellulaire en empruntant la même porte.
À 23 h 49 m 41 :25 s, le plaignant semble prendre des respirations peu profondes et son abdomen monte et baisse moins.
À 0 h 06 m 42 :15 s, le 20 juillet 2017, l’abdomen du plaignant ne bouge pas et ne monte et ne descend pas.
À 0 h 21 m 43 :99 s, l’AT no4 s’arrête à la cellule 12 et regarde à l’intérieur. L’AT no 4 retire son bâton ASP de sa ceinture et l’étend. Tenant son bâton à la main droite, il l’introduit entre les barreaux de la cellule. Il a le dos tourné à la caméra et il est impossible de voir ce qu’il fait.
À 0 h 22 m 55 :01 s, l’AT no 4 escamote le bâton en le frappant sur le sol et il marche vers la porte du bloc cellulaire.
À 0 h 23 m 05 :45 s, l’AT no 4 quitte le bloc cellulaire.
À 0 h 24 m 04 :88 s, l’AT no 4 retourne au bloc cellulaire avec l’AI. L’AT no 4 entre dans la cellule 12 et secoue le plaignant avec la main droite. L’AI entre dans la cellule et l’AT no 4 semble faire quelque chose au visage du plaignant pour le raviver, tandis que l’AI tire sur le bras gauche du plaignant pour la même raison.
À 0 h 24 m 40 :83 s, l’AI quitte la cellule 12 et l’AT no 4 roule le plaignant sur son côté gauche et puis le place complètement sur le dos et commence à faire des compressions thoraciques.
À 0 h 25 m 47 :85 s, une voix dit [traduction] « Nous avons besoin d’une ambulance au bloc cellulaire parce qu’un gars n’y respire pas ». L’AI et un agent de police chauve entrent dans le bloc cellulaire en courant.
À 0 h 27 m 15 :87 s, l’AI entre dans la cellule 12 et en ressort et l’AT no 4 continue d’administrer la RCR. Un message diffusé à répétition dans le système de communication dit : [traduction] « Urgence dans les cellules nord réservées aux hommes. »
À 0 h 27 m 42 :28 s, l’AI quitte la cellule 12 et à 0 h 28 m 00 :49 s, l’AI revient à la cellule 12 suivi de deux agents de police chauves. L’un des agents de police ouvre un sac noir, tandis que l’AT no 1 prend la relève de l’AT no 4 et commence à faire des compressions thoraciques. À 0 h 28 m 48 :10 s, l’AT no 1 continue de faire des compressions thoraciques sur le plaignant.
À 0 h 30 m 44 :33 s, une ambulance arrive dans l’entrée sécurisée et à 0 h 31 m 55 :35 s, les ambulanciers paramédicaux entrent dans la cellule 12, prennent la relève et commencent à s’occuper du plaignant. À 0 h 34 m 22 :39 s, le plaignant est placé sur une civière avec l’aide de l’AT no 1. Le brancard sur lequel se trouve le plaignant est sorti de la cellule 12 et est amené à l’entrée sécurisée, en passant par la salle de mise en détention. C’est ici que se termine la vidéo.
Enregistrements des communications
Les enregistrements des transmissions de la police et des SMUSN ont été obtenus et examinés.
Documents obtenus du service de police
Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les éléments et documents suivants du SPTB :
- rapport d’accusation du plaignant
- rapport d’arrestation
- documents ayant trait à la voiture de patrouille du SPTB en cause
- tableau de service
- chronologie des événements
- rapport d’incident – SMU de Thunder Bay
- courriel du SPTB : COMM-2017-07-20
- liste des incidents antérieurs
- documents médicaux et formulaire de libération du corps
- notes des AT nos 1-4
- incident (interventions en vertu de la Loi sur les permis d’alcool)
- procédure : Transport des prisonniers
- procédure : Traitement des prisonniers
- copie des noms des autres prisonniers
- profil du plaignant
- rapport de témoin du Service d’incendie de Thunder Bay (x5)
- photographies du bloc cellulaire prises par le SPTB
- enregistrements des communications de la police et des SMU
- information initiale et notes manuscrites du SPTB
- vidéos de la cellule, de la salle de mise en détention, de l’entrée sécurisée et du bloc cellulaire
- lettre du SPTB aux SMU de Thunder Bay au sujet des communications
- avis d’infractions provinciales du SPTB
Les éléments et documents suivants ont été obtenus d’autres sources :
- rapport d’autopsie
- rapport toxicologique
- photographie du plaignant sans connaissance prise par le TC no 7, à l’endroit où il a été trouvé plus tard par la police et les ambulanciers paramédicaux
Lois pertinentes
Articles 219 et 220 du Code criminel – Le fait de causer la mort par négligence criminelle
219 (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :
- soit en faisant quelque chose
- soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir
montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.
220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :
- s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans
- dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité
Paragraphe 31(4) de la Loi sur les permis d’alcool – Intoxication dans un lieu public
31 (4) Nul ne doit être en état d’ivresse :
- dans un lieu où le public accède sur invitation ou permission
- dans la partie d’une habitation à plusieurs logements qui sert à l’usage commun
Analyse et décision du directeur
Le 19 juillet 2017, vers 19 h 47, le Service de police de Thunder Bay (SPTB) a reçu un appel au 9-1-1 indiquant qu’un homme dans la cinquantaine était sans connaissance derrière l’immeuble d’Investors Group au 959, chemin Fort William, dans la ville de Thunder Bay, et la police et une ambulance ont été envoyées sur place.
À l’arrivée de la police, les ambulanciers paramédicaux étaient déjà sur les lieux et parlaient au plaignant. La police et les ambulanciers paramédicaux ont observé que le plaignant était manifestement intoxiqué, en notant qu’il avait de la difficulté à articuler, que son haleine sentait l’alcool, que ses yeux étaient rouges et brillants, et qu’il s’endormait continuellement pendant que les ambulanciers paramédicaux parlaient avec lui. N’ayant relevé aucun problème médical et ayant déterminé que les signes vitaux du plaignant n’étaient pas alarmants, les ambulanciers paramédicaux ont donné son congé au plaignant et ont quitté les lieux.
Puis, l’agent témoin (AT) no 2 et l’AT no 1 ont escorté le plaignant jusqu’à leur voiture de patrouille, tout en l’aidant à marcher.
L’enregistrement des transmissions radio de la police révèle qu’à 19 h 47, l’un des deux agents a appelé pour dire qu’il conduisait le plaignant chez lui, à son adresse indiquée, dans la ville de Thunder Bay. C’est le seul aspect où il y a un certain désaccord entre deux des témoins civils (TC) et l’AT no 1.
L’AT no 1 a déclaré qu’il s’était rendu à la résidence et qu’il avait parlé au TC no 3. Bien que l’AT no 1 ait indiqué qu’il avait demandé si le plaignant pouvait rester à la résidence et que le TC no 3 avait répondu qu’il ne pouvait pas l’autoriser tant que le plaignant était en état d’ébriété, le TC no 3 soutient qu’on ne lui a jamais demandé d’héberger le plaignant, mais que l’agent de police avait simplement demandé s’il y avait une autre personne dans la maison et lui avait dit que le plaignant se trouvait dans la voiture de patrouille. Tandis que cette divergence dans la preuve n’est pas excessivement pertinente aux fins de l’enquête, puisque rien ne dépend réellement de ce fait, j’accepte, comme l’a confirmé l’enregistrement des transmissions radio, que la police avait l’intention d’amener le plaignant chez lui et de l’y laisser s’il était autorisé à y rester.
Peu après, à 20 h 04 m 01 s, l’enregistrement des communications radio de la police révèle qu’un agent a appelé et a demandé au répartiteur de vérifier s’il y avait des places de libres pour hommes au centre de désintoxication. Lorsqu’il a appelé, le répartiteur s’est fait dire que tous les lits étaient occupés.
Comme il n’y avait nulle part ailleurs où amener le plaignant, où il serait en sécurité et pourrait dormir et dégriser, il a été décidé d’arrêter le plaignant pour ivresse dans un endroit public et de le transporter au poste de police où il serait placé dans une cellule jusqu’à ce qu’il soit sobre.
Les séquences vidéo provenant du poste de police révèlent que le plaignant est arrivé au poste et a été escorté à la salle de mise en détention, que l’agente chargée de la mise en détention a procédé aux formalités, que le plaignant a vomi dans une poubelle qu’on lui avait fournie et puis qu’il a été placé dans une cellule, où il a reçu une boîte de jus, comme il l’avait demandé.
Le plaignant a été placé dans une cellule à 20 h 17 m 14 s, où il s’est couché sur le lit en béton et semblait s’endormir. La vidéo de la cellule confirme que le plaignant a fait l’objet de vérifications régulières par un agent de police. De plus, la configuration des systèmes de contrôle au poste de police confirme que même lorsqu’un agent de police ne vérifie pas physiquement les cellules, il y a des écrans permettant de surveiller les prisonniers.
La dernière fois que le plaignant a fait l’objet d’une vérification assurée en personne par l’agente de mise en détention, l’AT no 3, était à 23 h 48. La vidéo révèle que le plaignant respirait à ce moment-là, puisqu’on voit son abdomen monter et baisser. L’AT no 3 a alors pris sa pause-repas et elle a été remplacée en tant qu’agente de mise en détention par l’AT no 4, qui a procédé à la vérification de la cellule du plaignant à 0 h 21 m 43 s. On voit l’AT no 4 s’arrêter à l’extérieur de la cellule du plaignant et tenter de le réveiller et, lorsqu’il ne parvient pas à le faire, on le voit quitter le secteur et puis revenir moins d’une minute plus tard avec l’AI. Les deux agents sont alors entrés dans la cellule et ont tenté de réveiller le plaignant, et puis l’AT no 4 a commencé à faire des tentatives de RCR, tandis qu’on entend l’AI parler au répartiteur du Service d’ambulance 67 secondes plus tard. On entend alors un message diffusé dans le système de communication interne signalant une urgence dans le bloc cellulaire réservé aux hommes.
Après avoir entendu le message, les AT nos 2 et 1 se sont rendus à la cellule 12 et ont aidé l’AT no 4 à faire les tentatives de réanimation du plaignant jusqu’à l’arrivée des ambulanciers paramédicaux, qui ont alors pris la relève. Le plaignant a ensuite été placé sur une civière et transporté à l’hôpital, où il a été déclaré mort à 1 h 34. À aucun moment le plaignant n’a‑t‑il repris connaissance après que l’AT no 4 avait découvert initialement qu’il était inconscient dans sa cellule.
Le pathologiste judiciaire qui a effectué l’autopsie du plaignant a conclu que la cause du décès était une « cardiopathie hypertensive » (la cause première des décès associés à l’hypertension artérielle, qui incluent la mort due à une insuffisance cardiaque, à une cardiopathie ischémique et à une hypertrophie ventriculaire gauche (épaississement excessif du muscle cardiaque) selon les renseignements aux sites www.webmd.com; www.science direct.com; www.healthline.com, etc.).
Au cours de l’enquête, les enquêteurs se sont entretenus avec sept témoins civils et quatre policiers témoins, l’agent impliqué (AI) ayant refusé de fournir une déclaration, comme c’était son droit légal. De plus, les enquêteurs ont obtenu et examiné les séquences de télévision en circuit fermé provenant du poste de police, les enregistrements des transmissions de la police et du Service de répartition des ambulances ainsi que le rapport d’autopsie et les résultats des analyses effectuées sur des échantillons prélevés du plaignant durant l’autopsie.
À l’exception d’une divergence mineure, mentionnée précédemment, les faits ne sont pas contestés.
Aucun témoin n’a jamais vu un agent de police maltraiter le plaignant, et aucune allégation de ce genre n’a jamais été formulée. Au contraire, l’ensemble de la preuve semble indiquer que la police était très patiente et prévenante à l’égard du plaignant, dont voici des exemples : il n’a pas été menotté en raison de la blessure préexistante à son poignet; les agents de police se sont rendus à une résidence suggérée par le plaignant où il pouvait passer la nuit et ont communiqué avec le centre de désintoxication pour trouver un endroit où le plaignant pourrait passer la nuit et où l’on aurait pu s’occuper de lui, avant qu’ils décident, en dernier recours, de le mettre en état d’arrestation pour ivresse dans un lieu public et de le laisser se dégriser dans une cellule d’où il serait libéré une fois sobre; et lorsque le plaignant avait demandé du jus, on lui en avait volontiers donné. Par ailleurs, malgré son état d’intoxication et ses vomissements peu après son arrivée dans la salle de mise en détention, on ne voit jamais un agent de police être grossier ou brusque avec lui; leur comportement, comme on peut le voir et l’entendre dans l’enregistrement des transmissions, est manifestement très obligeant envers le plaignant et la situation dans laquelle il se trouvait.
Il est également clair, d’après la preuve, que la police agissait légalement dans l’exercice de ses fonctions lorsqu’elle a arrêté le plaignant et l’a transporté au poste de police après avoir porté contre lui une accusation d’ivresse dans un endroit public. Les ambulanciers paramédicaux et la police ont fait des observations qui correspondaient à l’état d’intoxication du plaignant. Le fait que quelqu’un avait appelé au 9-1-1 pour signaler que le plaignant était sans connaissance et qu’il s’assoupissait constamment pendant que les ambulanciers paramédicaux lui parlaient confirme davantage qu’il n’était pas dans un état où il pouvait bien prendre soin de lui-même. Par conséquent, l’arrestation, le transport et la détention subséquente au poste de police du plaignant étaient légitimes et justifiés dans les circonstances.
En l’absence d’une allégation selon laquelle le décès du plaignant découlait d’une façon ou d’une autre des actions de la police, et puisque l’autopsie est muette sur ce point et ne renferme aucune conclusion qui appuierait cette déduction, la seule question à trancher est celle de savoir si la police a fait preuve de négligence criminelle dans son traitement du plaignant ou si elle a omis de s’occuper des besoins du plaignant et était ainsi criminellement responsable de son décès.
La seule accusation criminelle pouvant être examinée à la lumière de ces faits serait celle de négligence criminelle causant la mort, contrairement à l’article 220 du Code criminel. Il n’est pas contesté que le décès du plaignant n’était pas directement attribuable aux actions de l’AI ou de l’un ou l’autre des agents sous ses ordres la nuit du décès, la seule question étant de savoir si l’AI, qui était l’agent responsable du poste de police à ce moment-là, ou l’un ou l’autre des agents de police relevant de lui a manqué à ses fonctions lorsqu’ils ont placé le plaignant dans une cellule pour la nuit.
Puis précisément, la question à poser est si l’AI, à titre d’agent responsable et donc en tant que personne chargée de s’occuper des personnes qui se trouvaient au poste de police pendant son quart de travail, a omis de faire quoi que ce soit qu’il aurait dû faire et, en omettant de le faire, a fait preuve d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité du plaignant (art. 219 du Code criminel : définition de négligence criminelle).
De nombreuses décisions des tribunaux d’instance supérieure définissent les exigences à satisfaire pour prouver une infraction de négligence criminelle; si la plupart ont trait à des infractions impliquant la conduite d’un véhicule, les tribunaux ont clairement établi que les mêmes principes s’appliquent aussi à d’autres comportements.
Pour trouver des motifs raisonnables de croire que l’AI a commis l’infraction de négligence criminelle causant la mort, il faut d’abord avoir des motifs raisonnables de croire qu’il avait, envers le plaignant, le devoir d’accomplir quelque chose qu’il a omis de faire et que cette omission, selon la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’arrêt R. c. J.F. (2008), 3 R.C.S. 215, a constitué « un écart marqué et important par rapport à la conduite » d’une personne raisonnablement prudente dans des circonstances où l’AI « soit a eu conscience d’un risque grave et évident pour la vie » du plaignant, « soit ne lui a accordé aucune attention ». Les tribunaux ont aussi clairement indiqué que le risque de décès du plaignant devait être prévisible pour l’AI (R. c. Shilon (2006), 240 C.C.C. (3d) 401 C. A. de l’Ont.).
De toute évidence, bien que le plaignant ait été incapable de prendre soin de lui-même en raison de son état d’intoxication et qu’il ne pouvait obtenir de l’aide tout seul puisqu’il était incarcéré au poste de police, l’AI avait le devoir de s’assurer que le plaignant était en sécurité et qu’on s’occupait bien de lui, dans la mesure du possible.
Bien que le défaut de se conformer à la politique de la police n’équivaille pas nécessairement à une conduite criminelle, il ressort clairement de la preuve fournie par la vidéo filmée dans la cellule que la politique a été respectée dans ce cas-ci. Je souligne expressément que les agents se sont conformés à la politique relative au traitement et à la détention des prisonniers, qui exige que la police transporte le plaignant jusqu’à un centre de désintoxication, si un lit y est disponible, avant de le loger dans une cellule au poste de police, qu’on vérifie les prisonniers toutes les 30 minutes, qu’un agent de police n’entre pas dans la cellule d’un prisonnier avant de demander à un second agent de l’accompagner, et que les agents doivent suivre un entraînement en techniques de sauvetage des vies, puisqu’ils ont respecté toutes ces exigences et se sont occupés du plaignant la nuit en question (même si la dernière vérification du plaignant s’est faite après une période de 33 minutes et non pas de 30 minutes, ma déduction étant que c’était dû au fait que l’AT no 3 prenait son dîner et que l’AT no 4 devait venir de l’extérieur pour prendre la relève).
Je note, en outre, en ce qui concerne la prévisibilité du décès du plaignant ou même du risque que sa vie ou sa santé était peut-être en danger, que les agents de police qui surveillaient le plaignant avaient été informés du fait que les ambulanciers paramédicaux l’avaient examiné et lui avaient donné son congé, qu’aucune préoccupation n’avait été soulevée quant à l’état médical du plaignant et qu’à la lumière de l’ensemble de la preuve, le seul problème dont la police était au courant était que le plaignant était ivre.
Compte tenu de tous ces faits, je ne peux conclure qu’il y avait un élément de preuve qui aurait dû alerter la police que le plaignant présentait un risque élevé de complications médicales. Assurément, après avoir fait l’objet d’une évaluation complète par les ambulanciers paramédicaux, qui avaient suivi une formation médicale, contrairement à la police, et après avoir été informée qu’il n’y avait aucune préoccupation médicale, la police pouvait se fier à cette information pour déterminer comment elle allait s’occuper du plaignant.
Dans toutes ces circonstances, je ne peux trouver des motifs raisonnables de croire que les actions de l’AI ou de l’un ou l’autre des agents de police chargés de s’occuper du plaignant pendant qu’il était sous la garde de la police correspondent aux éléments requis pour porter une accusation en vertu de l’art. 220 du Code criminel, puisqu’ils n’ont pas omis de remplir leur devoir d’agir ni ont eu un comportement qui constituait un écart marqué et important par rapport à la conduite d’une personne raisonnablement prudente dans les circonstances dans lesquelles ils se trouvaient ni ont-ils fait preuve d’une négligence déréglée ou téméraire pour la vie ou la sécurité du plaignant, et son décès subséquent était entièrement imprévu dans les circonstances.
Compte tenu de l’ensemble de la preuve, il semble que la mort tragique du plaignant ait été le résultat de son mode de vie et peut-être d’autres facteurs génétiques ou médicaux inconnus de la police et des ambulanciers paramédicaux, et il n’y a pas de lien de causalité entre les actions ou l’inaction de l’AI ou d’un autre policier et le décès du plaignant. Dans cette affaire, je ne vois aucune raison de déposer des accusations au criminel, et aucune accusation ne sera donc portée.
Date : 16 mai 2018
Original signé par
Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales