Note explicative

Le gouvernement de l’Ontario publie les précédents rapports du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales (UES) présentés au procureur général avant mai 2017 qui portent sur les cas où il y a eu un décès impliquant une arme à feu, une empoignade et/ou l’utilisation d’une arme à impulsions, ou encore un autre type d’intervention notable de la part de la police n’ayant pas entraîné d’accusations criminelles.

Le juge Michael H. Tulloch a formulé des recommandations concernant la publication des précédents rapports du directeur de l’UES dans le Rapport de l’examen indépendant des organismes de surveillance de la police, lequel a été publié le 6 avril 2017.

Dans ce rapport, le juge Tulloch explique qu’étant donné que les précédents rapports n’avaient pas été rédigés au départ en vue d’être divulgués au public, il est possible qu’ils soient modifiés de façon importante pour protéger les renseignements de nature délicate qui s’y trouvent. Le juge a tenu compte du fait que divers témoins lors d’enquêtes de l’UES bénéficiaient de l’assurance de confidentialité et a donc recommandé que certains renseignements soient caviardés de manière à protéger la vie privée, la sûreté et la sécurité de ces témoins.

Conformément à la recommandation du juge Tulloch, la présente note explicative est fournie afin d’aider le lecteur à mieux comprendre les raisons pour lesquelles certains renseignements sont caviardés dans ces rapports. On a également inséré des notes tout au long des rapports pour décrire la nature des renseignements caviardés et les raisons justifiant leur caviardage.

Considérations relatives à l’application de la loi et à la protection des renseignements personnels

Conformément aux recommandations du juge Tulloch et selon les termes de l’article 14 de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (LAIPVP) (renseignements relatifs à l’exécution de la loi), des parties de ces rapports ont été retirées de manière à protéger la confidentialité de ce qui suit :

  • l’information divulguant des techniques ou procédures confidentielles utilisées par l’UES
  • l’information dont la publication pourrait raisonnablement faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre d’une enquête

Conformément aux recommandations du juge Tulloch et selon les termes de l’article 21 de la LAIPVP (renseignements relatifs à la protection de la vie privée), les renseignements personnels, notamment les renseignements personnels de nature délicate, doivent également être caviardés, sauf ceux qui sont nécessaires pour éclairer les motifs de la décision du directeur. Ces renseignements peuvent comprendre, sans toutefois s’y limiter, ce qui suit :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête, notamment lorsqu’il s’agit d’enfants
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête

Renseignements personnels sur la santé

Les renseignements relatifs à la santé d’une personne qui ne sont pas liés à la décision du directeur (compte dûment tenu de la Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé) ont été caviardés.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis de ces rapports parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Rapport du directeur

Avis à l’UES

Date et heure de l’avis : 2014-08-03, à 4 h 3

Avis remis par : Police

Le dimanche 3 août 2014, à 4 h 3, l’agent donnant l’avis du Service de police de Thunder Bay (SPTB) a avisé l’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») du décès sous garde du défunt. L’agent donnant l’avis a signalé que le samedi 2 août 2014, vers 16 h 14, le défunt a été arrêté pour manquement à l’engagement, soit pour avoir été en état d’ébriété dans un lieu public. À 16 h 38, le défunt a été transporté au poste de police et emmené en cellule. Le 3 août 2014, un peu avant 3 h, l’agente impliquée a remarqué que le défunt était en détresse médicale et a appelé les services médicaux d’urgence (SMU). Les SMU ont tenté de réanimer le défunt dans le bloc cellulaire, mais il est décédé. Le corps du défunt a été transporté au Centre régional des sciences de la santé de Thunder Bay.

Récapitulatif

Le 2 août 2014, l’agent(e) témoin no 3 et l’agent témoin no 4 ont répondu à un appel concernant un homme inconscient dans le secteur d’un lieu. Les agents sont arrivés et ont trouvé un homme on sait maintenant qu’il s’agit [du défunt] effondré. Le défunt était en état d’ébriété avancée et il bavait sur lui-même. Les deux agents ont dû aider le défunt à se lever. Le défunt a été arrêté pour état d’ébriété en public, car il n’était pas en mesure de prendre soin de lui-même. L’agent(e) témoin no 3 a procédé à une vérification auprès du Centre d’information de la police canadienne et a découvert que le défunt était visé par une ordonnance de probation assortie d’une condition de s’abstenir de consommer des boissons alcoolisées. Les SMU sont arrivés sur les lieux et ont évalué le défunt. Les ambulanciers paramédicaux ont jugé que son état de santé était bon et il a été transporté au poste de policefootnote 1. Le défunt a défilé et a été placé dans une cellule. Le 3 août 2014, vers 3 h, l’agente impliquée a découvert le défunt sur le plancher de sa cellule, inconscient. Les SMU sont arrivés et ont constaté le décès du défuntfootnote 2. Le corps [du défunt a été transporté au Centre régional des sciences de la santé de Thunder Bay. Le 4 août 2014, le corps du défunt a été transféré au Centre des sciences judiciaires et le 5 août 2014, l’autopsie a été pratiquée.

Les lieux

Le couloir où se trouvent les cellules des hommes est doté d’une caméra suspendue. Les cellules 6 à 10 sont des cellules individuelles comptant un lit en béton, une toilette et un lavabo. Elles sont situées d’un côté du couloir. Chaque cellule est surveillée à l’aide d’une caméra installée au-dessus de la porte sur le mur opposé. Les cellules 11 à 15 sont des cellules individuelles comptant un lit en béton, une toilette et un lavabo. Elles sont situées de l’autre côté du couloir. Chaque cellule est surveillée à l’aide d’une caméra installée au-dessus de la porte sur le mur opposé. La cellule 13 est la cellule du centre. La porte se glisse vers la droite. La porte et le devant de la cellule sont munis de barreaux, offrant une bonne visibilité dans la cellule. Il y a du plexiglas à l’extrémité supérieure des barreaux. Le plancher est constitué de carreaux bordeaux. Les murs sont peints en noir. Le lit se trouve à 19 po du sol. La cellule comprend une toilette et un lavabo. Le bureau du garde est situé à l’entrée. La porte donne sur le couloir menant à l’aire de mise en détention. Il y a une fenêtre donnant sur l’aire de mise en détention. Deux écrans de télévision sont fixés au mur du bureau du garde. Les écrans montrent chacune des cellules et une salle de mise en détention. Le bureau du chef de veille est également doté d’écrans montrant chacune des cellules et l’aire de mise en détention.

(Le diagramme de scène est disponible en anglais seulement.)

Schéma des lieux

Renseignements généraux

Le défunt avait accumulé sept violations de la Loi sur les permis d’alcool au cours des deux dernières annéesfootnote 3. Le défunt avait des antécédents de diabète de type 2, d’hypertension, d’abus d’éthanol et d’abus de tout ce qui contient de l’alcoolfootnote 4.

L’enquête

Type d’intervention : Intervention immédiate

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 2014-08-03, à 5 h 12

Date et heure de l’arrivée de l’UES sur les lieux : 2014-08-03, à 13 h 20

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Le dimanche 3 août 2014, à 5 h, trois enquêteurs de l’UES et deux enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires ont été affectés à cette enquête. En raison de retards liés à la disponibilité de vols et du fait que les lieux (bloc cellulaire) ont été modifiés en raison de la présence des SMU, il a été convenu que l’agent de la police technique du SPTB prendrait des photographies et recueillerait les preuvesfootnote 5. À 13 h 20, les enquêteurs sont arrivés au Quartier général (QG) du SPTB et ont constaté que les lieux avaient été sécurisés et protégés. Les lieux ont été analysés et des mesures ont été prises en vue de préparer un dessin à l’échelle.

Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES se sont rendus au Centre régional des sciences de la santé de Thunder Bay et ont fermé le sac mortuaire du défunt. Le 4 août 2014, le corps du défunt a été transporté au Centre des sciences judiciaires. Le 5 août 2014, une autopsie a été pratiquée.

Le 3 août 2014, [l’agente impliquée]footnote 6 a été désignée comme agente impliquée. Elle a refusé de participer à une entrevue. Elle a également refusé d’autoriser la communication de ses notes de service.

Le 3 août 2014, les agents suivants ont été désignés comme agents témoins et ont participé à une entrevue à la date indiquée :

  • agent(e) témoin no 1 (le 3 août 2014)
  • agente témoin no 2 (le 3 août 2014)
  • agent(e) témoin no 3 (le 3 août 2014)
  • agent témoin no 4 (le 3 août 2014)
  • agent témoin no 5 (le 3 août 2014)

Le 3 août 2014, l’UES a désigné l’agent témoin no 6footnote 7, [l’agent témoin no 7]footnote 8, [l’agent témoin no 8, l’agent témoin no 9, l’agent témoin no 10, l’agent témoin no 11, l’agent témoin no 12 et l’agent témoin no 13 comme agents témoins. Ils ont fourni leurs notes de service. Après avoir examiné les notes de service, l’Unité a déterminé qu’il n’était pas nécessaire de mener des entrevues avec ces personnes.

Les témoins civils suivants ont participé à une entrevue à la date indiquéefootnote 9 :

  • témoin civil no 1 (le 3 août 2014)
  • témoin civil no 2 (le 3 août 2014)

Sur demande, l’UES a obtenu le matériel et les documents suivants du SPTB et les a examinés :

  • le rapport de mise en accusation des accusés adultes
  • la chronologie des événements ----édité et ----édité
  • le sommaire du dossier de l’affaire
  • le registre de continuité de la scène de crime
  • le sommaire de l’incident
  • le rapport d’inspection de 2008 sur le soin et le traitement des détenus
  • les notes de service des agents témoins
  • le rapport d’incident – personne
  • l’avis d’infraction – défunt
  • le registre de gestion des détenus – exportationfootnote 10
  • la politique concernant le modèle de déploiement et les responsabilités des sous-officiers et des agents
  • la politique concernant le soin et le traitement des détenus
  • le registre de gestion des détenus – défunt – caviardéfootnote 11
  • le registre de gestion des détenus – défunt – non caviardé
  • le rapport supplémentaire des activités produit par l’agent témoin no 6
  • le rapport supplémentaire des activités produit par l’agent témoin no 7

Le coordonnateur des services aux personnes concernées de l’UES a participé dès le début, a aidé la famille du défunt relativement plusieurs questions et en a assuré la gestion, en plus d’aiguiller la famille vers diverses ressources utiles.

Déclarations des témoins et éléments de preuve fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête (considérations relatives à l’application de la loi et à la protection de la vie privée)

Décision du directeur en vertu du paragraphe 113(7) de la Loi sur les services policiers

Le défunt est décédé pendant qu’il était sous la garde du SPTB peu après minuit le 3 août 2014. Il occupait la cellule no 13 du poste de police, après y avoir été emmené à la suite de son arrestation pour état d’ébriété en public la veille, en après-midi. La preuve établit un manque déplorable de diligence de la part des agents qui ont entretenu des rapports avec le défunt au cours de sa période de garde. Il était du devoir des agents de prendre soin du défunt. Je suis convaincu que les agents ont manqué à leur devoir et que le fait qu’ils n’ont pas mieux pris soin du défunt a mis sa vie en danger. Cependant, je suis également convaincu que leur manque de soins n’était pas grave au point de se traduire par une responsabilité criminelle.

Le défunt a été arrêté par l’agent témoin no 4 et l’agent(e) témoin no 3. Ils répondaient à un appel concernant un homme inconscient se trouvant à l’extérieur d’une église. Ils ont repéré l’homme – le défunt – et se sont rapidement rendu compte que celui-ci était en état d’ébriété avancée. Il avait de la difficulté à se tenir debout et à marcher, et répondait de façons diverses aux questions des agents. Les agents ont réussi à le faire marcher jusqu’à leur auto-patrouille. Les ambulanciers paramédicaux sont arrivés peu après. Le défunt s’est plaint de difficultés respiratoires. Toutefois, ses préoccupations ont été écartées par les ambulanciers paramédicaux et par les agents. Il semble qu’ils étaient d’avis que le défunt faisait semblant d’être malade pour éviter de se retrouver en prison. Dans leurs rapports d’incident, rédigés quelques jours après l’événement, les deux ambulanciers paramédicaux qui ont traité le défunt indiquent qu’il semblait être en bonne santé et ne présentait aucune difficulté respiratoire. Les ambulanciers paramédicaux ont quitté les lieux et les agents ont placé le défunt dans leur auto-patrouille, puis se sont dirigés vers le poste de police.

Les agents sont arrivés au poste peu avant 17 heures et ont placé le défunt dans la cellule no 13. Il y demeurerait jusqu’à son décès, environ sept heures plus tard. En fait, trois heures de plus se sont écoulées avant que son corps sans vie soit découvert dans la cellule.

En ce qui concerne les agents, leur comportement n’est pas irréprochable. L’enquête a révélé une attitude en grande partie cavalière en ce qui touche la façon dont les agents ont traité le défunt pendant qu’il était sous leur garde. En commençant par la conduite des agents qui ont procédé à l’arrestation, rien n’indique dans leurs notes de service et déclarations ni dans les rapports produits par les ambulanciers paramédicaux qu’ils se sont donné la peine d’informer ces derniers du fait qu’ils avaient remarqué que le défunt avait des difficultés respiratoires. Il est fort possible que les ambulanciers paramédicaux auraient pris l’état de santé du défunt plus au sérieux si ses plaintes n’avaient pas été que de simples paroles. Une fois au poste, presque inexplicablement, ces mêmes agents ont omis de signaler aux agents chargés de surveiller le défunt pendant sa détention que celui-ci s’était plaint de difficultés respiratoires, et ce, en dépit du fait que les deux agents ont remarqué que le défunt avait de la difficulté à respirer pendant qu’on l’emmenait en cellule. Lorsque le défunt a demandé de nouveau à être conduit à l’hôpital parce qu’il avait du mal à respirer, l’agent(e) témoin no 3 a refusé. Comme il/elle l’a expliqué lors de son entrevue avec l’UES, les ambulanciers paramédicaux avaient jugé que l’état de santé du défunt était bon. Selon la vidéo de la mise en détention, l’agent(e) témoin no 3 « supposait » que les problèmes respiratoires du défunt étaient liés à sa consommation d’alcool.

L’agent témoin no 5 était le garde lorsque le défunt a été conduit au poste de police. Il n’a pas manqué d’indiquer dans son entrevue avec l’UES que ce n’était pas à lui de prendre note de l’information relative aux blessures, à la consommation d’alcool ou de drogues ou aux tendances suicidaires d’un détenu. À proprement parler, il a peut-être raison, mais le fait que l’agent ne s’est pas renseigné de façon raisonnable auprès des agents qui ont procédé à l’arrestation sur l’état de santé du défunt est étonnant. Si l’agent témoin no 5 l’avait simplement demandé, on ne peut que supposer qu’il aurait appris qu’on avait vu et entendu que le défunt avait du mal à respirer.

L’agente témoin no 2 était la chef de veille au poste de police à l’arrivée du défunt. Elle a minimisé l’importance de son rôle et de sa responsabilité à l’égard du bien-être des détenus au poste, indiquant à un moment qu’elle n’avait pas la responsabilité de vérifier le bien-être des détenus à leur arrivée au poste de police. L’agente témoin no 2 n’a pas saisi que le bien-être des détenus est une responsabilité collective, à l’égard de laquelle le chef de veille joue un rôle de premier plan. Les écrans vidéo installés dans le bureau où elle se trouvait étaient destinés expressément à cette fin. L’agente témoin no 2 a affirmé qu’elle surveillait le défunt sur les écrans. Toutefois, étant donné l’étendue de ses fonctions, on ne peut que se demander à quel point sa surveillance était vigilante.

L’agent témoin no 5 et l’agente témoin no 2 ont été relevés de leurs fonctions par l’agente impliquée (« l’agente impliquée » désignée) et l’agent(e) témoin no 1 vers 18 h et 19 h, respectivement. L’agent témoin no 5 a indiqué qu’il n’avait fourni aucun renseignement à l’agente impliquée sur l’état d’ébriété du défunt. Contrairement à l’agente témoin no 2, l’agent(e) témoin no 1 a affirmé qu’il/elle avait la responsabilité de vérifier physiquement l’état des détenus sous garde. L’agent(e) témoin no 1 explique qu’il/elle n’était pas en mesure de s’acquitter de cette responsabilité en raison d’un problème de santé physique renseignements de nature délicate. Par conséquent, les responsabilités de l’agent(e) témoin no 1 avaient été réduites pour l’empêcher de se rendre au bloc cellulaire. Selon l’agent(e) témoin no 1, l’agente impliquée l’a avisé d’un problème dans la cellule du défunt un peu avant 3 h. C’est environ à ce moment-là que l’agente impliquée, se rendant compte que le défunt était en détresse médicale, est entrée dans sa cellule et a confirmé qu’il était sans vie.

En effet, la politique du SPTB exige que la personne chargée de la garde vérifie physiquement l’état des détenus toutes les demi-heures ou au moins toutes les heures en cas de circonstances pressantes nécessitant son attention ailleurs. L’agente impliquée a manqué à cette responsabilité. En fait, la vidéo du bloc cellulaire montre pour la dernière fois l’agente impliquée entrant dans le bloc cellulaire pour donner au défunt une boîte de jus et une barre céréalière à 21 h 42. En réalité, personne ne semble entrer dans le bloc cellulaire après cette heure, ce qui signifie que le défunt a été laissé sans surveillance et sans vérification en personne pendant plus de cinq heures. À première vue, la preuve ne donne pas à penser qu’il s’agissait d’une soirée particulièrement chargée au poste de police ou que l’agente impliquée était occupée à gérer des questions plus importantes pendant cette période. Il s’agit d’un cas limite. L’infraction à prendre en considération, à mon avis, est l’omission de fournir les choses nécessaires à l’existence, en contravention de l’article 215 du Code criminel3. L’alinéa 215(1)c) prévoit ce qui suit :

Toute personne est légalement tenue de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois, par suite de détention de se soustraire à cette charge, de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.

L’alinéa 215(2)b) prévoit ce qui suit :

Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe, de remplir cette obligation, si l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne.

Il ne fait aucun doute que l’arrestation du défunt pour état d’ébriété en public était légitime. Il était très ivre et n’était pas en état de prendre soin de lui-même. Les agents ont eu raison de l’arrêter pour sa propre sécurité. Ironiquement, je suis convaincu qu’il y a eu une omission collective de la part des agents impliqués dans l’arrestation et la détention du défunt de prendre soin de lui de manière adéquate. Il était de leur devoir de le faire, mais à de multiples reprises, de faux pas ont été commis, ce qui a eu l’effet cumulatif de mettre la vie du défunt en danger.

À mon avis, la preuve est claire : le défunt aurait dû être transporté à l’hôpital pour recevoir un traitement médical. Les agents qui ont procédé à l’arrestation avaient personnellement observé le défunt ayant des problèmes respiratoires. Sur les lieux et au poste de police, il s’est plaint aux agents de ses difficultés et a demandé à être transporté à l’hôpital. Il me semble que les agents auraient dû prêcher par excès de prudence et conduire l’homme à l’hôpital. Malheureusement, ils ont omis de le faire et n’ont fait qu’aggraver la situation lorsqu’ils ont négligé de dire aux autres agents chargés des soins du défunt que ce dernier avait de la difficulté à respirer. S’ils l’avaient fait, il est probable que quelqu’un aurait pris les dispositions nécessaires pour que le défunt reçoive des soins médicaux ou, tout au moins, pour veiller à ce que son état soit surveillé de près lorsqu’il était sous garde.

Les personnes chargées de la détention du défunt au poste n’ont fait guère mieux. L’agent témoin no 5 a adopté une approche passive à l’égard de l’étendue de ses responsabilités quant aux soins à fournir aux détenus. Dans ces circonstances, je suis convaincu qu’un agent raisonnable aurait posé quelques questions sur l’état du défunt. Encore une fois, s’il l’avait fait, des dispositions auraient pu être prises pour surveiller l’état du défunt de plus près et pour lui fournir des soins médicaux plus tôt. L’évaluation par l’agente témoin no 2 de l’étendue de ses responsabilités laisse aussi beaucoup à désirer. Même si elle n’était pas la personne chargée de surveiller directement les détenus au moment en question, l’agente témoin no 2 n’a pas saisi la véritable nature de ses responsabilités en tant qu’agente ayant la responsabilité globale et ultime des soins fournis aux détenus. En ce qui concerne l’agente impliquée, l’enquête ne permet tout simplement pas d’expliquer pourquoi elle n’a vérifié personnellement l’état du défunt comme elle était tenue de le faire conformément à la politique en vigueur. Son omission de le faire semblerait tout particulièrement flagrante étant donné que l’agent(e) témoin no 1, le chef de veille pendant son quart, n’était pas en mesure de participer aux inspections en personne en raison de ses problèmes de santé.

Au bout du compte, de quelque manière qu’on l’analyse, la preuve donne fortement à penser que l’agente impliquée, avec l’aide des agents ayant procédé à l’arrestation, du garde qu’elle a relevé et des chefs de veille, a manqué à son devoir de prendre soin du défunt. L’autopsie a révélé que la cause de décès du défunt était l’acidocétose compliquant le diabète sucré, l’alcoolisme chronique et la septicémie. La preuve ne permet pas d’établir clairement si la vie du défunt aurait pu être sauvée si les agents l’avaient conduit à l’hôpital.

Néanmoins, compte tenu des éléments de preuve disponibles, je suis convaincu que l’absence de soins médicaux, selon les termes de la disposition relative à cette infraction, a mis la vie du défunt en danger.

La véritable question en litige dans l’analyse de la responsabilité criminelle consiste à déterminer si le niveau de soins assuré par les agents était insuffisant au point de se traduire par une responsabilité criminelle. Comme les décisions telles que Naglik 1993RCS 122, Creighton 1993RCS 3 et F.(J.), 2008RCS 215 le précisent, la simple négligence ne suffira pas à établir la responsabilité dans les affaires de négligence pénale. Pour établir l’omission de fournir les choses nécessaires à l’existence, il faut conclure que le comportement incriminé constitue un écart marqué par rapport à la norme de soins attendue d’une personne raisonnablement prudente dans les circonstances. Même si, en l’espèce, il s’agit d’un cas limite, je ne peux pas conclure raisonnablement que la conduite en question répond à ce critère. La preuve cruciale qui atténue nettement la conduite des agents était le fait que les ambulanciers paramédicaux avaient examiné le défunt sur les lieux et conclu qu’il allait bien et n’avait pas besoin d’aller à l’hôpital. Même s’il est vrai que leur évaluation aurait pu être différente si les agents les avaient informés des difficultés respiratoires du défunt, le fait demeure qu’ils étaient en mesure de s’assurer eux-mêmes de son état de santé. Incidemment, je prends le temps de souligner qu’il existe de véritables questions relatives aux soins que les ambulanciers paramédicaux ont prodigués au défunt, dont les rapports d’incident rédigés par les ambulanciers paramédicaux quelques jours après l’incident, dans lesquels ils semblaient davantage défendre leurs actes que rendre compte des faits tels qu’ils se sont produits. Quoi qu’il en soit, les agents étaient en droit de se fier dans une certaine mesure à ce qu’ils croyaient être un bon bilan de santé établi par les ambulanciers paramédicaux. Ces éléments de preuve tempèrent aussi le fait que ces agents, une fois arrivés au poste, aient omis d’informer leurs collègues des troubles respiratoires du défunt ou omis de prendre plus au sérieux sa respiration laborieuse et ses demandes d’être conduit à l’hôpital. Je tiens cependant à souligner que cela ne signifie pas que les agents n’auraient pas dû fournir au défunt ce qui, à mon avis, aurait constitué des soins raisonnables; cela semble seulement indiquer que leur omission n’était pas sans contexte ou explication.

Il en va de même pour les autres agents, dont l’agente impliquée. Il est clair qu’ils en savaient assez sur l’état d’ébriété du défunt pour se rendre compte qu’il fallait le surveiller de près. Cela dit, il n’en demeure pas moins qu’ils n’ont pas pris au sérieux ni n’ont été avisés des plaintes du défunt relatives à ses difficultés respiratoires. De plus, ce qu’ils savaient et voyaient, tout au moins pendant une partie importante de la période de détention du défunt, ne donnait pas à penser que celui-ci était en détresse médicale ou avait besoin de soins médicaux immédiats. Par exemple, les enregistrements vidéo pris dans la salle de mise en détention et dans le bloc cellulaire montrent que le défunt a répondu aux questions à son arrivée au poste de police, qu’il semblait respirer normalement pendant une partie du temps et qu’il avait bougé à divers moments jusqu’à son dernier mouvement, juste après minuit. En effet, sa conduite pendant cette période, notamment s’asseoir et dormir sur le sol, est typique de détenus ivres, selon ce qu’a affirmé l’agent(e) témoin no 1. Autre élément de preuve important : les enregistrements automatisés du système de gestion des prisonniers du SPTB, selon lesquels l’agente impliquée a vérifié l’état du défunt 26 fois entre 18 h 58 et 2 h 49, dont 12 fois au cours de la période de 21 h 42 à 2 h 49. Même si cette dernière série de supposées vérifications n’était manifestement pas le résultat d’inspections en personne (étant donné la vidéo du bloc cellulaire), je ne peux pas écarter la possibilité que ces vérifications aient été effectuées au moyen des écrans de surveillance auxquels l’agente impliquée avait accès dans le bureau du garde.

En dernière analyse, je suis convaincu que l’agente impliquée a fait preuve de négligence dans son obligation de prendre soin du défunt. Elle n’est pas la seule personne à avoir manqué à ses devoirs envers le défunt. Une série tragique de faux pas commis par tous les agents qui sont intervenus dans la garde du défunt ont conduit à son décès ce jour-là. À certains égards, c’est parce que la responsabilité dans cette affaire est répartie entre plusieurs agents qu’il n’y a pas assez de preuves pour conclure qu’un agent en particulier est suffisamment blâmable pour justifier une sanction criminelle. Quoi qu’il en soit, même si je suis convaincu, compte tenu des éléments de preuve, que le niveau de soins prodigués au défunt par la police était médiocre, je ne suis pas convaincu, tout compte fait, que le niveau de soins assurés par un agent en particulier s’écartait nettement du niveau raisonnablement requis dans les circonstances. Pour les raisons qui précèdent, les motifs dans cette affaire sont insuffisants pour porter des accusations criminelles.

Date : Le 8 mai 2015

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Annexe A

Tous les agents ont répondu à toutes les questions relatives aux notes de service et aucun problème n’a été relevé relativement aux réponses données.