Type de document : Directive sur les poursuites
Date d’entrée en vigueur : 14 novembre 2017

Une accusation ne peut être portée que s’il existe une perspective raisonnable de condamnation et si cette accusation est dans l’intérêt public. L’exercice approprié du pouvoir discrétionnaire en matière des poursuites joue un rôle fondamental dans la mise en application convenable du critère de filtrage des accusations. La collectivité compte sur les poursuivantes pour intenter des poursuites qu’il est possible de prouver et, parallèlement, protéger les personnes concernées des graves répercussions pouvant découler d’une accusation criminelle lorsqu’il n’y a pas de perspective raisonnable de condamnation.

Décider de continuer ou de cesser une poursuite peut constituer l’une des décisions les plus difficiles que doit prendre la poursuivante. Ce dernier doit faire preuve d’objectivité, d’indépendance et d’équité dans chaque cas afin qu’une décision de principe soit prise. Il faut mettre en équilibre les intérêts concurrents, dont ceux du public, de la partie accusée et de la victime.

Les poursuivantes doivent respecter l’obligation de filtrage des accusations au fur et à mesure qu’ils reçoivent de nouveaux renseignements durant la préparation et la conduite des audiences de mise en liberté sous caution, des conférences préparatoires au procès, des enquêtes préliminaires, des procès et des appels. Les nouveaux renseignements reçus durant les appels ou une fois ceux-ci épuisés doivent être acheminés au directeur du Bureau des avocats de la Couronne - Droit criminel.

Les décisions prises par les poursuivantes quant au fait de continuer ou de cesser une poursuite dans l’exercice diligent de leur pouvoir discrétionnaire seront appuyées par le procureur général.

Perspective raisonnable d’une condamnation

Pour décider s’il y a lieu de continuer une poursuite, la poursuivante devrait déterminer s’il existe une perspective raisonnable de condamnation. Ce critère s’applique obligatoirement dans tous les cas et à chaque étape. Si la poursuivante détermine qu’il n’y a plus de perspective raisonnable de condamnation, quelle que soit l’étape de l’instance, il faut interrompre la poursuite.

La perspective raisonnable de condamnation est un critère plus rigoureux que celui de preuve prima facie, lequel nécessite simplement l’existence d’une preuve face à laquelle un jury, ayant reçu les directives appropriées, pourrait rendre un verdict de culpabilité. Cependant, le critère n’exige pas une « probabilité de condamnation », à savoir d’en venir à la conclusion qu’une condamnation est plus probable qu’improbable. Le concept de perspective raisonnable de condamnation désigne un juste milieu entre ces deux critères. La perspective raisonnable de condamnation exige de la poursuivante qu’elle motive son jugement et exerce son pouvoir discrétionnaire en fonction d’indicateurs objectifs qui figurent dans le cas même.

Pour mettre en application le critère de perspective raisonnable de condamnation, il faut procéder à une évaluation limitée de la crédibilité d’après les facteurs objectifs, à l’évaluation de l’admissibilité de la preuve, de même qu’à la prise en compte des moyens de défense possibles.

Dans cette mise en application du critère, la poursuivante devrait tenir compte des facteurs suivants :

  • la disponibilité des éléments de preuve
  • l’admissibilité des éléments de preuve impliquant la partie accusée
  • une évaluation de la crédibilité et de la compétence des témoins, sans assumer le rôle de juge des faits
  • la disponibilité des éléments de preuve à l’appui des moyens de défense qu’il doit connaître ou qui sont portés à son attention.

Intérêt public

S’il existe une perspective raisonnable de condamnation, la poursuivante doit alors déterminer s’il est dans l’intérêt public de continuer la poursuite. Le critère d’intérêt public ne sera pris en compte qu’une fois établie la perspective raisonnable de condamnation. Nul motif d’intérêt public, si impérieux puisse-t-il être, ne peut justifier la poursuite d’un particulier en l’absence d’une perspective raisonnable de condamnation.

Lorsque vient le temps de décider d’engager la poursuite ou d’y renoncer, il faut tenir compte de plusieurs facteurs ayant trait à l’intérêt public. Il n’existe pas de facteur déterminant dans l’évaluation de l’intérêt public, mais il y a lieu de tenir compte des facteurs suivants :

  1. la gravité ou la gravité relative de l’incident
  2. les circonstances et le point de vue de la victime, dont les préoccupations liées à la sécurité
  3. l’âge, la santé physique, la santé mentale ou la vulnérabilité particulière de la partie accusée, de la victime ou du témoin
  4. la prévalence du type d’infraction et l’incidence réelle ou potentielle de l’infraction sur la communauté ou la victime
  5. les antécédents criminels de la partie accusée
  6. le caractère indûment sévère ou accablant des conséquences de la condamnation résultant de la poursuite pour la partie accusée
  7. la disposition de la partie accusée à collaborer à l’enquête policière et aux poursuites intentées contre autrui, ou la collaboration déjà fournie par celle-ci
  8. le degré de culpabilité de la partie accusée, particulièrement en lien avec les autres présumées parties à l’infraction
  9. le résultat probable dans l’hypothèse d’un verdict de culpabilité, en ce qui concerne les options de détermination de la peine
  10. la durée et les frais d’un procès, compte tenu de la gravité de l’infraction
  11. la disponibilité de mesures autres que les poursuites, comme la déjudiciarisation et les recours civils.

Cette liste de facteurs n’est pas exhaustive et certains cas donneront lieu aux facteurs uniques. Tous les facteurs ne s’appliqueront pas à chaque cas et, dans un cas particulier, un facteur peut prendre une importance supérieure à celle qu’il aurait dans un autre cas.

La poursuivante qui détermine s’il est d’intérêt public d’engager la poursuite ou d’y renoncer doit demeurer objective et être au fait des retombées défavorables des stéréotypes. Il faut exclure en particulier les stéréotypes insidieux en lien avec la race ou l’origine ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle et expression de l’identité sexuelle, l’association à un parti politique ou les convictions de la partie accusée ou de toute autre personne impliquée dans le cas.

La poursuivante ne devrait tenir compte ni des sentiments personnels de tout fonctionnaire impliqué dans la poursuite relativement à la victime présumée ou à la partie accusée, ni des avantages ou inconvénients politiques qui peuvent découler de la décision d’engager une poursuite ou d’y renoncer, ni de l’incidence éventuelle sur la situation personnelle ou professionnelle de quiconque en lien avec la décision d’intenter une poursuite.

Aucune catégorie de cas n’échappe nécessairement à l’intérêt public d’intenter une poursuite.

Abandonner la poursuite

S’il n’y a ni perspective raisonnable de condamnation ni intérêt public à engager la poursuite, la poursuivante doit retirer l’accusation. De courts motifs doivent être énoncés dans le dossier pour lequel la poursuivante retire l’accusation, sauf si de tels commentaires risquent d’occasionner une atteinte au privilège ou un risque de préjudice.

La suspension de l’instance est inappropriée lorsqu’une accusation ne satisfait pas aux critères de filtrage des accusations et qu’elle n’y satisfera vraisemblablement pas d’ici un an. La suspension est strictement appropriée dans les cas où l’instance est temporairement interrompue et qu’elle devrait reprendre d’ici un an.

Avant de renoncer à la poursuite, la poursuivante doit voir à ce que les mesures raisonnables soient prises pour informer la victime et le policier chargé de l’enquête que les accusations seront retirées. Il faut se reporter aux directives intitulées Victimes, Infractions d’ordre sexuel contre les adultes et La violence entre partenaires intimes.