Listes de présomptions et politiques liées au cancer

Les listes de présomptions (annexes 3 et 4) et bon nombre des politiques qui concernent précisément le cancer doivent être mises à jour. Plus particulièrement, la liste de présomptions est très limitée par rapport à celles d’autres territoires de compétence et aux listes d’associations bien connues signalées par des organismes comme le CIRC et l’OIT. Accroître l’utilisation des listes de présomptions peut réduire le recours à l’examen exclusivement au cas par cas, accélérer la prise de décision et améliorer la transparence en clarifiant ce que la CSPAAT considère comme étant des relations causales. Bien que le libellé de certaines des politiques de la CSPAAT soit très clair, il y a des lacunes et certaines politiques et présomptions qui concernent directement les employeurs, plutôt que l’exposition aux cancérogènes, pourraient être appliquées plus largement. De plus, tout semble indiquer que des procédures de décision essentielles ne soient pas incluses dans le manuel des politiques ou les documents accessibles au public. La façon dont les agents d’indemnisation traitent l’exposition à plusieurs cancérogènes en est un exemple : des membres du personnel affectés à la prise de décision nous ont indiqué en tenir compte dans leur décision, mais certains intervenants consultés croient que ce n’est pas le cas.

De nombreux systèmes d’indemnisation des travailleurs, y compris celui de la CSPAAT, utilisent des périodes de latence estimées comme critère scientifique pour établir le lien de causalité entre le travail et la maladie. En Ontario, il n’existe aucune politique générale sur la façon de tenir compte de la latence dans la procédure de décision. Pour certaines formes de cancer, les exigences minimales de latence qui établissent l’intervalle minimal entre la première exposition et le diagnostic de la maladie sont énoncées dans les politiquesfootnote 43 applicables. Les travailleurs n’ont généralement pas droit à une indemnisation si l’intervalle entre la date de leur première exposition à ou aux cancérogènes et la date du diagnostic est inférieure à l’intervalle minimal établi dans la politique. Bien que l’établissement de ces intervalles soit utile pour faciliter la prise de décision dans la plupart des cas, on ne devrait pas l’utiliser comme un obstacle absolu, parce que certains cas peuvent se trouver à l’extérieur de cette plage. Il importe d’en tenir compte lorsqu’il n’y a aucun autre facteur de risque du cancer en cause ou que les circonstances dans lesquelles se trouve le demandeur sont inhabituelles, comme c’est le cas lorsque les expositions étaient particulièrement élevées ou que le patient est exceptionnellement jeune.

Lorsqu’ils établissent le lien de causalité avec le travail, les décideurs sont tenus de soupeser la preuve et doivent être convaincus que l’exposition au travail a constitué un facteur contributif important dans le développement du cancer du travailleur. Toutefois, l’évaluation du lien de causalité avec le travail est souvent compliquée par le fait que les travailleurs sont rarement exposés à un seul danger sur un lieu de travail. La plupart des systèmes d’indemnisation des travailleurs, y compris celui de la CSPAAT, s’appuient sur les conclusions d’études épidémiologiques pour éclairer leur prise de décision. Cette méthode comporte cependant des limites, car la majorité des études épidémiologiques chez les travailleurs qui existent et permettent de tirer des preuves sont généralement axées sur les effets d’un seul danger sur le lieu de travail, traité isolément. En Ontario, les politiques sont habituellement muettes quant à la façon de prendre en compte de multiples expositions dans l’établissement du lien de causalité entre le travail et la maladie, et les décideurs doivent évaluer ces liens de causalité au cas par cas. Cette façon de procéder peut mener à des hypothèses erronées sur les interactions causales entre de multiples expositions et le manque de cohérence dans les décisions.

Lorsqu’ils déterminent l’admissibilité à une indemnisation, les décideurs sont tenus de prendre en compte non seulement les expositions professionnelles du travailleur, mais également les facteurs non professionnels. Bien qu’il existe des recherches indiquant qu’une série de facteurs non professionnels peuvent influencer les risques de maladie, le facteur le plus courant et le plus controversé est le tabagisme. Il existe une perception largement répandue selon laquelle, la plupart du temps, les antécédents de tabagisme d’un travailleur servent à rejeter les demandes d’indemnisation pour une maladie professionnelle. Si cela est exact, cette pratique serait contraire à ce qu’indique la science sur l’interaction entre le tabagisme et l’exposition aux cancérogènes. Les conclusions de l’évaluation de la cancérogénicité de la fumée du tabac qu’a effectuée le CIRC en 2004 sont particulièrement pertinentes et devraient être prises en compte dans la procédure de décision. Cette évaluation, qui a été publiée il y a plus de 15 ans, a conclu que le tabagisme était un facteur potentiel du lien entre l’exposition à divers cancérogènes professionnels et le cancer du poumon, mais qu’il existait des preuves de synergie entre le tabagisme et certaines des principales causes du cancer du poumon (p. ex., l’amiante, le radon, l’arsenic, le nickel) (66).

Dans la plupart des provinces et des territoires, y compris l’Ontario, les lois et les politiques concernant l’indemnisation des travailleurs sont généralement muettes quant à la relation synergique entre le tabagisme et certaines expositions. Deux des six politiques relatives au cancer du poumonfootnote 44 mentionnent spécifiquement le tabagisme, mais uniquement dans le contexte d’exigences minimales de cessationfootnote 45. Dans ces deux politiques, l’intervalle de cessation doit être de 15 ans ou moins pour un fumeur ou de 20 ans ou moins pour un non-fumeur ou un ancien fumeur confirmé. L’hypothèse selon laquelle il n’y aurait pas de synergie entre le tabagisme et l’exposition et qu’un cancer chez une personne ayant fumé récemment n’est en fait attribuable qu’au tabagisme est implicite dans l’utilisation des intervalles de cessation. Deux autres politiques mentionnent le tabagisme. La première, la Politique 23-02-02 : Cancer du larynx et exposition à l’amiante précise ce qui suit : « lorsqu’on examine le bien-fondé de chaque cas, on doit tenir compte des antécédents de tabagisme et des habitudes de consommation d’alcool du travailleur avant de poser le diagnostic de cancer du larynx ». La deuxième, la Politique 23-02-03 :Cancer du poumon chez les travailleurs de l’industrie minière de l’uranium précise ce qui suit : « le statut de non-fumeur d’un travailleur peut fournir la preuve d’une relation avec le travail dans l’examen de la probité de la preuve visant à établir le bien-fondé et l’équité du cas ». Aucune autre directive n’est donnée.

Notre connaissance des causes du cancer professionnel est en constante évolution et les listes de présomptions, de même que les politiques doivent évoluer au même rythme pour conserver leur crédibilité. Cette mise à jour exige une capacité scientifique interne (voir ci-dessous) et des examens scientifiques indépendants. La CSPAAT faisait auparavant appel au Comité des maladies professionnelles pour effectuer des examens. À l’heure actuelle, les questions scientifiques importantes sont traitées de manière ponctuelle, parfois en effectuant des examens internes (p. ex., les travailleurs du caoutchouc), parfois en embauchant des consultants externes (p. ex., la poudre McIntyre) et, à l’occasion, en faisant appel à des comités indépendants (p. ex., les herbicides). La mise sur pied d’un comité scientifique permanent permettrait un examen continu des renseignements scientifiques ainsi que des enjeux nouveaux et émergents.

Recommandation : La CSPAAT devrait mettre à jour et élargir considérablement la liste de présomptions concernant le cancer dans les annexes 3 et 4 pour tenir compte de l’état actuel des connaissances scientifiques. Les présomptions devraient être fondées sur l’exposition à des agents ou à des procédés cancérogènes, et non sur des employeurs en particulier, afin qu’elles soient plus largement applicables. Pour mettre à jour et élargir ses listes de présomptions, la CSPAAT pourrait envisager d’utiliser des critères, tels que ceux utilisés dans le cadre de l’examen scientifique indépendant de la liste des maladies présumées de l’Australie (2). Comme pour cet examen, nous recommandons d’utiliser les trois critères suivants :

  • Des données prouvant un fort lien de causalité entre la maladie et l’exposition professionnelle, défini sur la base de l’inclusion au sein du groupe 1 du CIRC (p. ex., cancérogènes pour l’homme), un examen systématique des données probantes ou des études multiples de bonne qualité indiquant une relation de causalité entre la maladie et l’exposition professionnelle.
  • Des critères diagnostiques clairs pour une maladie incluse dans une liste annexée pour éviter de mettre en doute si le demandeur est véritablement atteint de la maladie faisant l’objet de la demande d’indemnisation.
  • La maladie comprend une proportion considérable des cas de cette maladie au sein de la population exposée.

Recommandation : La CSPAAT devrait mettre à jour et élargir toutes les politiques liées aux décisions concernant les demandes d’indemnisation pour un cancer pour tenir compte de l’état actuel des connaissances scientifiques. Nous avons ciblé deux aspects pour lesquels de nouvelles politiques sont nécessaires :

  • Une politique qui explique la façon de traiter l’exposition à de multiples cancérogènes. Étant donné l’état actuel des connaissances sur l’incidence des expositions multiples, les effets de l’exposition aux cancérogènes touchant le même organe cible devraient être considérés comme additifs, sauf preuve du contraire.
  • Une politique qui stipule clairement la façon dont l’exposition non professionnelle, en particulier le tabagisme, est évaluée par rapport à l’exposition professionnelle. Comme pour de multiples expositions professionnelles, la relation devrait être considérée comme additive, sauf en cas de preuve d’un effet synergique.

Recommandation : La CSPAAT devrait créer un comité d’examen scientifique indépendant pour examiner et recommander des modifications aux annexes et aux politiques, examiner et approuver les rapports scientifiques ainsi qu’aider à la sélection d’experts-conseils et de chercheurs externes. Le comité devrait être composé de scientifiques indépendants qui possèdent une vaste expertise, notamment en épidémiologie, en toxicologie, en médecine professionnelle et en hygiène au travail. Le processus pour le choix des membres devrait permettre aux intervenants de formuler des commentaires, y compris la possibilité pour les représentants et les employeurs de désigner des scientifiques. Les scientifiques ayant une expertise en maladie et en cancer professionnels sont une ressource rare au Canada et les enjeux scientifiques sont semblables dans l’ensemble du Canada. L’Ontario pourrait envisager de partager le soutien d’un tel comité avec d’autres territoires de compétence. Non seulement ce partage permettrait d’accroître l’efficience et de tirer profit d’autres ressources, mais il augmenterait aussi l’autonomie du comité.

Capacité scientifique accrue

Notre connaissance des causes du cancer professionnel est en constante évolution et les listes de présomptions, de même que les politiques doivent évoluer au même rythme pour conserver leur crédibilité. Bien que la CSPAAT et le MTFDC regroupent des professionnels hautement qualifiés, le niveau actuel de la capacité scientifique interne des deux organismes est nettement insuffisant. Par exemple, par opposition à l’équipe formée de plus de dix chercheurs dont elle disposait il y a dix ans, la CSPAAT ne compte actuellement que deux employés se consacrant à la recherche et le MTFDC, qui pouvait dans les années 1980 enquêter sur des grappes et mener des études indépendantes, dépend aujourd’hui presque entièrement des ressources externes. Bien que la CSPAAT, par l’entremise du MTFDC, finance des centres de recherche scientifique, notamment le Centre de recherche sur le cancer professionnel, elle ne profite pas toujours pleinement de leur expertise ou de leurs résultats de recherche.

Les besoins en matière de capacité pourraient être partiellement comblés par le renforcement des partenariats de recherche existants et l’établissement de nouveaux partenariats, mais il faudrait également ajouter du personnel interne, tant à la CSPAAT qu’au MTFDC. Il n’existe actuellement aucune capacité de faire enquête sur des grappes ou de repérer de potentielles industries à risque élevé. La capacité est également insuffisante pour convertir les résultats des études scientifiques sous une forme pouvant servir à orienter les politiques et à soutenir les activités du comité d’examen scientifique.

Recommandation : La CSPAAT doit accroître sa capacité scientifique interne au moins à ses niveaux précédents. Cette augmentation devrait comprendre les scientifiques ayant des études aux cycles supérieurs en épidémiologie, en toxicologie et en science de l’exposition (comme l’hygiène au travail).

Recommandation : Des partenariats plus solides avec les centres de recherche externes, y compris ceux déjà financés par des fonds de la CSPAAT, sont nécessaires pour la recherche sur les questions et lacunes émergentes d’importance pour l’Ontario. Ces partenariats devraient encourager l’élaboration de systèmes de surveillance pour soutenir la prise de décisions fondées sur des éléments probants et aider à cibler les problèmes émergents, y compris les excès de cancer non reconnus auparavant.

Recommandation : La capacité provinciale doit être développée pour mener des enquêtes sur les grappes de cancer et d’autres problèmes émergents. Cette capacité devrait idéalement être développée au sein du MTFDC, de façon indépendante de la CSPAAT, et pourrait se concentrer sur la prévention des maladies futures en plus de l’indemnisation. Le ministère aura ainsi besoin d’accroître sa capacité de recherche. Le MTFDC pourrait chercher à établir des partenariats avec d’autres directions du gouvernement ou possiblement des partenaires du système. Par exemple, Santé publique Ontario mène actuellement une enquête sur des grappes présumées d’origine environnementale et a l’expertise nécessaire pour fournir de l’aide. Autrefois, ce sont les médecins du ministère qui menaient ces enquêtes.

Accès aux données sur l’exposition pour améliorer l’indemnisation (et la prévention)

Un composant nécessaire de la prise de décisions fondées sur la science sur le lien entre le travail et un cancer professionnel est la documentation ou l’estimation de l’exposition aux cancérogènes professionnels. Il s’agit d’un important enjeu pour tous les lieux de travail, bien que les industries complexes à risque élevé puissent nécessiter des efforts spéciaux. L’Ontario compte de nombreuses industries participant de longue date à l’économie provinciale, mais qui possèdent aussi de lourds antécédents d’exposition aux cancérogènes. Les lieux de travail de grande taille complexes comme GE Peterborough engendrent des problèmes particuliers concernant la reconstruction de l’exposition historique. Des efforts spéciaux pourraient être nécessaires pour établir les niveaux d’exposition de ces lieux de travail, ce qui peut exiger d’importants investissements en ressources humaines et financières, mais une prise de décision adéquate pour régler un grand nombre de demandes d’indemnisation coûte cher, quelles que soient les méthodes. De plus, les agents d’indemnisation doivent bénéficier d’un accès meilleur et plus rapide aux données sur l’exposition. À l’heure actuelle, les agents d’indemnisation doivent présenter des demandes d’accès à l’information pour des documents ayant trait aux expositions sur le lieu de travail que détient le ministère, ce qui occasionne des retards dans un processus déjà lent.

Recommandation : Le processus décisionnel devrait être amélioré en donnant un meilleur accès aux données électroniques sur l’exposition. Bien que la surveillance médicale soit utile, elle pourrait utiliser une meilleure interface. De plus, elle ne s’applique pas à toutes les circonstances ou périodes nécessaires. La CSPAAT devrait tenter de collaborer avec la Canadian Workplace Exposure Database (CWED), qui contient les données de surveillance médicale ainsi que des données sur l’exposition recueillies par d’autres provinces afin de couvrir un éventail plus large d’exposition. 

Recommandation : Le MTFDC devrait atténuer les obstacles à l’accès aux données et créer de meilleurs mécanismes pour fournir à la CSPAAT des données liées à l’exposition. L’échange des données entre le MTFDC et la CSPAAT pourrait également contribuer à la prévention. Le ministère devrait en tenir compte dans le contexte du cadre réglementaire actuel sur la protection de la vie privée de l’Ontario. Faciliter cette tâche peut exiger que le ministère informatise les registres et, potentiellement, apporte des modifications réglementaires. Le ministère pourrait consulter d’autres territoires de compétence qui ont mis en place des mécanismes permettant le partage des données de gestionfootnote 46

Recommandation : Le MTFDC devrait recueillir des copies des résultats de surveillance de l’exposition auprès des employeurs au moment des inspections et informatiser ces résultats pour faciliter l’accès aux données de surveillance de l’exposition. Comme il est mentionné ci-dessus, le ministère devrait tenir compte de cette recommandation dans le contexte du cadre réglementaire actuel sur la protection de la vie privée de l’Ontario, et des modifications à la loi peuvent être requises.

Recommandation : La CSPAAT devrait explorer les possibilités de collaboration avec des organismes externes de recherche pour numériser les antécédents d’exposition ou les relevés d’emploi des secteurs à risque élevé, comme il a été effectué avec le fichier principal des mines. De tels efforts pourraient également être déployés en utilisant des ressources internes.

Amélioration de la reconnaissance par la formation des médecin

Même dans le cas des cancérogènes bien connus, il y a un écart très important entre le fardeau estimé du cancer professionnel et le nombre de demandes d’indemnisation présentées. Au Canada, les étudiants en médecine reçoivent actuellement très peu de formation de base en santé au travail, notamment sur la nécessité de recueillir des données sur les antécédents professionnels. Mis à part quelques cliniques spécialisées et certains bureaux de médecins indépendants, la province compte très peu de spécialistes de la médecine au travail, de sorte que la grande majorité des patients doivent se fier aux fournisseurs de soins primaires en ce qui concerne le soutien pour les demandes d’indemnisation des travailleurs.

Les omnipraticiens ont reconnu la valeur que pourrait apporter une formation supplémentaire en médecine du travail à leur pratique et (67) les fournisseurs de soins primaires ont ciblé la formation en santé professionnelle comme moyen d’améliorer le taux de détection et le signalement des cas de maladies professionnelles (68). Par exemple, une étude récente a démontré que les médecins qui ont été formés ou qui ont suivi une formation en maladies professionnelles sont « plus susceptibles d’aiguiller un patient lorsqu’ils soupçonnent une maladie professionnelle » (69).

Recommandation : La formation des médecins est un domaine complexe qui doit être étudié davantage. Malgré qu’un examen détaillé de cette question se situe au-delà de la portée du présent rapport, il est important d’améliorer la formation des médecins en Ontario afin d’accroître la reconnaissance du cancer professionnel.


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