5.1 Buts et objectifs

Le chapitre 2 rapport établit les principes observés dans le présent examen. Il convient de mentionner certains d’entre eux, car ils sont particulièrement pertinents relativement à nos recommandations.

5.1.1 Favoriser une culture de conformité

Il est d’une importance primordiale que l’ensemble des Ontariens respectent les lois régissant le milieu de travail et qu’en tant que société, nous reconnaissions l’importance de la conformité à la loi. En tant qu’Ontariens, nous devons promouvoir une culture au sein de laquelle la conformité aux conditions minimales d’emploi est largement répandue. Des règles faciles à comprendre et à administrer, qui offrent aux intervenants des milieux de travail des outils de conformité, de même qu’une application cohérente de ces règles, sont des éléments clés pour l’atteinte de ces objectifs. Dans une société dotée d’une culture de conformité, tant les employeurs que les employés auraient une connaissance raisonnable de leurs droits et responsabilités vis-à-vis de la loi, et il serait facile d’accéder à la loi, de la comprendre et de l’administrer. L’objectif serait de fournir aux employés les exigences minimales prévues par la loi et les employés connaîtraient leurs droits et se sentiraient à l’aise de les exercer. Non seulement il serait légalement impossible de négliger de fournir aux employés les droits fondamentaux prévus par la LNE, mais cela serait aussi inacceptable d’un point de vue culturel et social. Le système aurait un effet dissuasif marqué dans la mesure où les personnes qui enfreindraient délibérément la loi devraient rembourser tout argent mal acquis en plus de s’exposer à d’importantes sanctions administratives pécuniaires.

Comme on l’a susmentionné, le passage à une culture de conformité exige que l’on se concentre sur un certain nombre d’objectifs intégrés. Il s’agit notamment des objectifs suivants :

1. Une sensibilisation accrue des employés et des employeurs quant aux droits et responsabilités que leur confère la loi

Pour ce faire, de l’éducation et de la sensibilisation sont spécialement requises. L’accroissement de la sensibilisation à l’égard des droits des employés et des obligations des employeurs est essentiel à l’établissement d’une culture de conformité. Les employés qui connaissent leurs droits s’attendront à ce que leurs employeurs les respectent. Les employeurs qui comprennent les droits de leurs employés et leurs obligations en tant qu’employeur sont plus portés à se conformer à la loi.

2. Une protection accrue pour les employés qui exercent leurs droits

Afin d’établir une culture de conformité, il est crucial de fournir une protection aux employés afin de dissiper les craintes de représailles et d’intervenir de façon efficace en cas de représailles ou de menaces de représailles.

3. Une application stratégique de la loi

Si une culture de conformité est jugée comme étant un objectif rationnel, de nouvelles stratégies d’application seront requises pour y arriver. L’adoption et la mise en œuvre d’initiatives plus stratégiques d’application de la loi sont essentielles à l’établissement d’une culture de conformité. Une évaluation de l’efficacité de la politique selon laquelle toutes les plaintes doivent faire l’objet d’une enquête est également nécessaire.

4. L’accès à la justice

Le regroupement du processus axé sur les plaintes avec d’autres stratégies d’application de la loi ne devrait pas se faire au détriment de l’accès à la justice. Nos recommandations définissent et suggèrent des façons de réduire les obstacles à l’accès à la justice.

5. Une application cohérente de la loi

Une application cohérente de la loi contribuera à ce que les entreprises bénéficient de conditions équitables. L’assurance de conditions équitables « fait en sorte que tous ceux qui se trouvent dans une situation semblable soient régis par les mêmes règles, et que la loi garantisse une protection égale à tous les bénéficiaires visés. » Les conditions équitables « visent donc à protéger non seulement les travailleurs, mais la majorité des employeurs honnêtes qui souhaitent s’acquitter de leurs obligations légales sans risquer d’être court-circuités par ceux qui ne le font pas. Des lois claires, une surveillance efficace, une interprétation uniforme et une application constante de la loi sont cruciales pour assurer le respect de ce principefootnote 63. »

6. Des sanctions et une dissuasion renforcées

L’approche de conformité volontaire devrait être privilégiée dans les cas de non-conformité non intentionnelle ou lorsque l’employeur est disposé à éliminer l’élément de non-conformité. Des amendes et des pénalités suffisamment sévères pour décourager la non-conformité doivent faire partie intégrante d’une culture au sein de laquelle la loi est respectée et la conformité est la norme.

Bien que nos recommandations soient difficiles à classer dans des catégories bien délimitées, nous les avons regroupées en sections mettant l’accent sur certains objectifs précis.

5.2 Causes et étendue de la non-conformité

Un rapport de la Commission du droit de l’Ontario confirme la conclusion selon laquelle la plupart des employeurs se conforment à la législationfootnote 64. Une minorité d’employeurs demeurent toutefois non conformes à certaines normes du travail et les travailleurs vulnérables sont les plus susceptibles d’être touchés par la non-conformitéfootnote 65..

Dans leur document de recherche préparé pour l’Examen portant sur l’évolution des milieux de travail, Vosko, Noack et Tucker font valoir que l’existence de plaintes ne reflète pas toujours le nombre ou la source des infractions. À notre avis, il peut être utile de se pencher sur les motifs de plainte ainsi que sur les résultats.

Les plaintes liées aux services d’hébergement et à la restauration présentent davantage de probabilités d’infractions, avec 78 % des plaintes traitées débouchant sur un constat d’infraction (voir l'annexe B, tableau 1.3). Il y a plus de probabilités de découvrir des infractions dans le cas de plaintes déposées contre de petites entreprises. La différence entre les grandes et les petites entreprises est particulièrement marquée, lorsque’on compare les plaintes concernant des entreprises comptant de un à cinq employés,dont le taux d’infraction est de 80 %, aux plaintes liées à des entreprises de plus de 200 employés, dont le taux d’infraction est de seulement 49 % (voir l'annexe B, tableau 1.4). La grande majorité de ces infractions portent sur des plaintes monétaires. Parmi les plaintes évaluées, 69 % portaient sur des infractions monétaires et seulement 1,6 % portaient sur des infractions non monétaires. Le pourcentage de plaintes évaluées donnant lieu à une infraction a légèrement diminué en 2014-2015. Il est toutefois trop tôt pour dire si ces observations font partie d’une tendancefootnote 66.

En d’autres termes, trop de personnes dans de trop nombreux milieux de travail ne profitent pas de leurs droits fondamentaux.

Divers facteurs contribuent à l’inobservation de la loi, y compris le fait que tant les employés que les employeurs ne connaissent pas leurs droits et obligations.

Plusieurs employeurs de petite envergure et leurs employés n’ont aucune idée de ce qu’ils sont tenus de faire aux termes de la LNE. Il importe d’informer les employeurs de leurs responsabilités et il est tout aussi important d’informer les employés de leurs droits. En raison de la complexité de la loi, il peut être difficile de comprendre les droits et obligations qui en découlent, ce qui fait augmenter le nombre d’infractions. Certains employeurs se soucient peu de leurs obligations et responsabilités et considèrent qu’il ne vaut pas la peine de s’y conformer. Certains employeurs enfreignent la loi comme stratégie d’affaires délibérée, ou parce qu’ils croient que leurs concurrents ne s’y conforment pas eux non plus. Certains employeurs considèrent que leurs employés ne porteront pas plainte et qu’il y a très peu de chances que le gouvernement procède à une inspection; et ils sont donc convaincus qu’il vaut la peine de prendre ce risque, étant donné que s’ils se font prendre, ils pourront éviter de subir les conséquences juridiques de leurs actions sans trop de difficulté et à un coût très modeste. La documentation précise clairement que la crainte de représailles entraîne une diminution du nombre de plaintes formulées par les employés. Malheureusement, un très grand nombre d’employés craignent de subir des représailles s’ils se plaignent du fait que leurs droits prévus aux termes de la LNEfootnote 67 ont été violés, et cette inaction favorise le non-respect de la loi. Pour cette raison, l’absence de plaintes dans certains secteurs de l’économie ou dans certains milieux de travail peut révéler autant la conformité que la non-conformité.

5.3 Application stratégique de la loi – Une combinaison d’approches nouvelles et existantes

Une application stratégique de la loi nécessite un ensemble de politiques et de pratiques qui ont pour objet de modifier la conduite des employeurs afin que des manquements à la loi ne se produisent pas. Une telle application est conçue de manière à gérer la non-conformité sur le plan systémique et non pas en se fondant uniquement sur les plaintes. Nous devons réorienter nos efforts en raison des changements dans les milieux de travail. Comme l’a fait valoir David Weil :

Au vu de l’évolution des milieux de travail, il apparaît nécessaire d’envisager une nouvelle approche stratégique en matière d’application de la loi. Les politiques d’application stratégique de la loi visent à changer le comportement de l’employeur de façon à ce que les pratiques donnant lieu à un sous-paiement ne puissent pas se produire. Il faut donc se pencher sur les facteurs sous-jacents menant à la perte de salaires et à d’autres infractions aux normes du travail. L’application stratégique de la loi nécessite également un changement de comportement chez les employeurs à l’échelle du marché, plutôt qu’au cas par casfootnote 68.

Dans son document de recherche préparé pour le présent examen, le professeur Kevin Banks décrit une stratégie d’application intégrée, comptant différents éléments importants de la trousse du ministère du Travail, notamment, l’éducation, la vérification proactive et l’utilisation efficace des mesures dissuasives et correctives :

Pour être efficace, la stratégie de conformité et d’application devra renforcer l’engagement normatif et chercher à déterminer, détecter, prévenir et possiblement régler les causes fondamentales menant à des infractions aux normes du travail. Une trousse à outils combinant les volets de diffusion, de sensibilisation, de persuasion à la conformité volontaire, de détection proactive de la non-conformité ainsi que d’application de mesures dissuasives et de sanctions est requise. Le déploiement efficace de ces outils en vue d’augmenter la conformité exige la collecte de renseignements et la capacité d’évaluer des stratégies de rechangefootnote 69.

Davis Weil et coll. ont soutenu que des changements dans la structure de l’économie et dans la complexité des relations d’emplois, jumelés au déclin de la syndicalisation, impliquent que l’approche traditionnelle fondée sur les plaintes est de moins en moins efficace en ce qui concerne l’application de la loi. Weil présente les choses comme suitfootnote 70 :

La relation d’emploi dans plusieurs des secteurs où l’on retrouve de fortes concentrations de travailleurs vulnérables est devenue compliquée étant donné que de grandes entreprises s’en remettent maintenant, pour ce qui est de l’embauche directe de travailleurs, à d’autres entités commerciales qui fonctionnent souvent dans des conditions extrêmement concurrentielles. Cette « fissuration » ou ce craquèlement de l’emploi motive encore plus les employeurs aux échelons inférieurs de l’industrie à violer les politiques relatives au milieu de travail, y compris la FLSA américaine. La fissuration implique que les politiques d’application de la loi doivent intervenir à des niveaux plus élevés des structures de l’industrie afin de changer les comportements à un niveau inférieur, là où les violations ont le plus de chances de survenir.

L’application stratégique de la loi est de plus en plus importante quand le milieu de travail devient plus complexe et que des gouvernements ayant des ressources limitées doivent faire face aux attentes élevées du public. Le Ministère doit adopter des outils d’application stratégique proactive permettant de détecter et de cibler des infractions systémiques à la loi, à l’échelle de l’économie et dans des secteurs particuliers. Le simple fait de répondre aux différentes plaintes ne constitue pas une application de la loi et ne permettra pas de détecter la plupart des violations à la loi.

Le ministère du Travail utilise actuellement des stratégies d’application de la loi en plus des enquêtes individuelles sur les plaintes. Les inspections, ciblées ou non, ont montré l’incidence des stratégies d’application de la loi à titre de complément aux enquêtes individuelles sur les plaintes; une analyse des pratiques d’inspection actuelles illustre leur efficacité.

5.3.1 Inspections proactives

Le professeur Banks est un bon point de départ pour entamer la discussion au sujet des inspections :

La documentation permet de conclure de façon essentiellement unanime que les organismes assurant la conformité aux normes du travail et l’application des lois en la matière doivent proactivement et stratégiquement détecter et cibler les cas de non-conformité.

Comme on l’a susmentionné, le besoin de détection proactive provient du fait que de nombreux travailleurs ne sont pas susceptibles de formuler une plainte au sujet du non-respect des droits qui leur sont conférés par les normes du travail pendant la durée de leur emploi, ou ne le feront jamais. En outre, comme le mentionne Weil : « Bien que la plupart des plaintes concernent de vrais problèmes, rien ne permet d’affirmer que ces problèmes sont de la plus haute importance, car il est possible que des problèmes en milieu de travail ne soient pas signalés à l’aide du processus de plainte. […] Les plaintes sont souvent causées par des problèmes précis auxquels des travailleurs en particulier font face. Elles peuvent être liées à des enjeux plus systémiques, ou non. Et même si elles le sont, les enquêtes découlant d’un processus de plainte pourraient ne pas être perçues comme faisant partie d’un vaste problème systémique, ce qui s’ajoute à leur nature réactive. » (Weil, 2008, p. 356).

… le fait de dépendre de plaintes ou d’actions en justice pour détecter les infractions ne permet pas de déceler la plupart des cas de non-conformité, voire aucun. Sans le risque de détection, les mesures dissuasives sont inefficaces. Dans la mesure où les initiatives en matière d’éducation et d’information ne sont pas suffisantes pour corriger les cas de non-conformité, ceux-ci persisteront si on ne les règle pasfootnote 71.

Les inspections devraient toujours être au cœur des stratégies d’application de la loi, et ce, de façon accrue. Un programme efficace d’inspection proactive devrait permettre de détecter et de dissuader les cas de non-conformité. Banks s’exprimait comme suit :

Le consensus en faveur d’une augmentation des inspections proactives est essentiellement fondé sur des preuves d’importantes non-conformités et sur l’hypothèse selon laquelle les inspections proactives constituent le moyen accessible le plus efficace pour traiter les cas de non-conformité non détectés au moyen de plaintes. […] Les campagnes d’inspection proactive peuvent, si elles sont correctement ciblées, permettre de réaliser des économies d’échelle dignes de grossistes, qui n’auraient pas été possibles avec les interventions du secteur de la vente au détail en réponse à des plaintes particulières. En outre, l’utilisation de campagnes ciblées dont l’objectif est d’avoir un effet dissuasif augmente le risque de détection des cas de non-conformitéfootnote 72.

Les représentants du Ministère et les experts s’entendent généralement pour dire que l’application proactive de la loi est un mécanisme plus efficace pour assurer l’application de la LNE que de se fier à des employés pour qu’ils déposent des réclamations. L’objectif du ministère du Travail d’augmenter le nombre d’inspections proactives est louable, mais la capacité du Ministère de mener des inspections est diminuée par l’utilisation de ressources spécialisées pour les enquêtes sur les plaintes.

Afin de déterminer quels employeurs inspecter, le Ministère se fonde sur différents facteurs, notamment, l’information obtenue par l’agent des normes d’emploi (ANE) pendant une enquête sur une plainte, les antécédents de non-conformité à la LNE, l’information reçue des employés et des tiers, que l’employeur fasse partie ou non d’un secteur ciblé, ainsi que l’analyse des données pour élaborer des « profils d’infractions ».

Dans leur document de recherche sur l’Examen portant sur l’évolution des milieux de travail, Vosko, Noack et Tucker évaluent le recours à différents types d’inspections ainsi que leur efficacité. Ils divisent les inspections en trois catégories : enquêtes élargies, inspections ciblées et inspections courantes.

Les enquêtes élargies sont déclenchées par les plaintes individuelles et ont lieu lorsqu’il y a une indication selon laquelle un ANE devrait évaluer le lieu de travail de façon approfondie, en effectuant une inspection. Les inspections ciblées ou éclair sont déterminées à l’échelle provinciale et prennent généralement la forme d’inspections rapides ciblant un secteur particulier de l’industrie, un groupe professionnel ou un type d’emploi. Par contraste, les inspections courantes sont essentiellement déterminées par l’ANE ou par les bureaux de régions ou de districts et sont réalisées en se fondant sur les conditions locales. Ce type d’inspections n’a pas de lien avec les inspections éclairfootnote 73.

La catégorisation n’est pas terminée, car d’autres inspections déclenchées par le Ministère sont en cours. Les auteurs observent ce qui suit : « Le ministère du Travail assure le suivi de plusieurs autres types d’inspections, y compris les inspections récurrentes de précédents contrevenants, les inspections découlant de la participation à une autoévaluation (vérification de la conformité) ainsi que les sélections au hasardfootnote 74. Leur conclusion va comme suit :

Les enquêtes élargies permettent de détecter le taux le plus élevé d’infractions aux normes du travail; 82 % de ces inspections révèlent des infractions; les inspections ciblées ou courantes permettent de détecter les infractions à raison de 72 % et de 70 % du temps, respectivement […] Les enquêtes élargies permettent également d’obtenir les niveaux les plus élevés d’infractions monétaires (globalement, environ 46 %), alors que les inspections ciblées et courantes permettent de détecter des infractions monétaires à raison de 36 % et de 38 % du temps, respectivementfootnote 75.

Vosko, Noack et Tucker font également observer :

…qu’il semble n’y avoir aucune relation particulière entre le type d’inspections et les normes pour lesquelles on a observé des infractions, à l’exception du fait que les enquêtes élargies permettent de détecter plus fréquemment des infractions liées à la rémunération des heures supplémentaires. Pour l’ensemble des inspections, les taux d’infractions sont les plus faibles dans les entreprises de 50 employés ou plus (environ 68 %) et les taux les plus élevés ont été observés dans les entreprises comptant de 11 à 19 employés (79 %)footnote 76.

Le professeur Banks résume l’incidence des inspections :

Les inspections proactives constituent un moyen efficace de détecter et de régler les cas de non-conformité. La Commission du droit de l’Ontario fait remarquer qu’en 2011-2012, les données du Ministère montrent que 83 % de ces inspections ont permis de détecter des infractions (Commission du droit de l’Ontario 2012, p. 56). Vosko, Noack et Tucker (2016, annexe B, tableau 3.1a) estiment que la proportion d’inspections ayant permis de détecter des infractions se situait entre 75 % et 77 % de 2011-2012 à 2013-2014, mais qu’elle a chuté à 65 % en 2014-2015. Ils mentionnent également que de 92 à 99 % des cas de salaires impayés ont été récupérés grâce à des processus proactifs, ce qui est nettement supérieur aux 60 % observés dans les processus plus typiques d’enquête sur les plaintes, bien que, comme les représentants du Ministère le laissent entendre, cette différence soit en partie attribuable à une proportion supérieure d’employeurs insolvables au sein de la population d’employeurs faisant l’objet de plaintes (Vosko et coll. 2011; Commission du droit de l’Ontario, p. 54). Les vérifications courantes de la conformité permettent également aux travailleurs de formuler des plaintes portant sur des cas allégués de non-conformité (Vosko, 2012, p. 873)footnote 77.

En ce qui concerne les inspections ciblées, les éléments de preuve dont nous disposons permettent d’affirmer qu’elles sont d’une importance considérable au chapitre de la détection et de la dissuasion. Le professeur Banks fait valoir ce qui suit :

[…] la documentation est également unanime lorsqu’il s’agit de conclure que les inspections et l’application proactives devraient être stratégiquement ciblées. Les analyses récentes dans ce domaine ont été dirigées par l’important rapport de Weil paru en 2010 et remis au ministère du Travail des États-Unis (Weil, 2010). Weil affirme que les activités d’application de la loi devraient cibler des secteurs de l’industrie et des emplacements géographiques particuliers, en respectant trois priorités : (1) la concentration de travailleurs vulnérables; (2) la probabilité de plaintes en lien avec l’importance de la non-conformité, c’est-à-dire des secteurs où les travailleurs sont particulièrement non susceptibles de formuler une plainte et où les cas de non-conformité risquent d’être nombreux; (3) la probabilité que les mesures d’application et de conformité puissent changer les comportements (Weil, 2010, p. 75; Commission du droit de l’Ontario, 2012, p. 64; Howe, Hardy et Cooney, 2013, p. 136). Au cours des récentes années, le ministère du Travail des États-Unis a explicitement ciblé des industries où la concentration de travailleurs vulnérables est élevée (Weil, 2011, p. 49)footnote 78.

Les inspections ciblées peuvent influencer le comportement des autres appartenant au même secteur d’activité, et au-delà. Weil écrit : « Mais d’autres enquêtes semblent avoir un effet d’entraînement bien plus important, et ont une influence sur le comportement d’autres établissements contrôlés par l’entreprise ou, plus intéressant encore, sur le comportement d’autres entreprises dans la même industrie ou zone géographiquefootnote 79. »

Une utilisation efficiente et efficace des ressources d’inspection requiert une analyse du lieu où les risques de non-conformité sont les plus importants, où les plaintes sont le moins susceptibles d’être utilisées et où les mesures correctives sont susceptibles d’avoir l’incidence durable la plus importante en matière d’amélioration de la conformité. Le professeur Banks rajoute :

Une approche stratégique à l’égard du ciblage de ressources d’application de la loi exige une évaluation fondée sur des données probantes des risques de non-conformité au sein des secteurs réglementés de l’industrie ainsi qu’une évaluation des résultats des interventions réglementaires (Sparrow; Baldwin et Black, 2008, p. 65). Chaque élément requiert des données sur la probabilité de non-conformité, sur la gravité de la non-conformité et sur le nombre de travailleurs touchésfootnote 80.

Les inspections ciblées doivent être maintenues à long terme. Elles n’auront aucun effet durable si elles sont perçues comme des événements ponctuels plutôt que des initiatives continuesfootnote 81. Cela signifie que les enquêtes répétées et les inspections récurrentes sont une composante importante d’une stratégie d’application efficace de la loi. Ces enquêtes permettent d’effectuer des vérifications non officielles de la qualité d’enquêtes ou d’inspections passées, et de cerner les employeurs problématiques – particulièrement dans les cas de roulement élevé d’employés. Elles permettent également de déterminer si les cas de non-conformité sont répétitifs et si des sanctions supplémentaires sont justifiées.

5.3.2 Autres initiatives stratégiques

David Weil et coll. ont soutenu que des changements dans la structure de l’économie et dans la complexité des relations d’emplois, jumelés au déclin de la syndicalisation, impliquent que l’approche traditionnelle fondée sur les plaintes est de moins en moins efficace en ce qui concerne l’application de la loi. Weil présente les choses comme suit :

La relation d’emploi dans plusieurs des secteurs où l’on retrouve de fortes concentrations de travailleurs vulnérables est devenue compliquée étant donné que de grandes entreprises s’en remettent maintenant, pour ce qui est de l’embauche directe de travailleurs, à d’autres entités commerciales qui fonctionnent souvent dans des conditions extrêmement concurrentielles. Cette « fissuration » ou ce craquèlement de l’emploi motive encore plus les employeurs aux échelons inférieurs de l’industrie à violer les politiques relatives au milieu de travail, y compris la FLSA américaine. La fissuration implique que les politiques d’application de la loi doivent intervenir à des niveaux plus élevés des structures de l’industrie afin de changer les comportements à un niveau inférieur, là où les violations ont le plus de chances de survenirfootnote 82.

Weil recommande de concevoir des stratégies d’application de la loi sectorielles, dont l’un des objectifs principaux – cela valant pour toutes les stratégies du genre – est de prévenir les violations avant qu’elles ne surviennent. La mise en œuvre d’une stratégie d’application sectorielle exige l’analyse et la compréhension de la structure des industries pour découvrir pourquoi il y a des niveaux d’inobservation plus élevés dans certaines industries, et pour contribuer à l’établissement de stratégies éclairées conçues pour améliorer l’application de la loi. Weil estime que la compréhension des relations associées à la chaîne d’approvisionnement, du franchisage et d’autres structures industrielles constitue une première étape essentielle du processus d’élaboration et de mise en œuvre de stratégies d’application de la loi efficaces.

Compte tenu des similitudes entre les changements structurels dans l’économie américaine et ceux qu’a subis l’économie ontarienne, il est primordial d’envisager sérieusement l’approche stratégique recommandée par Weil et coll..

Le milieu de travail fissuré nécessite de revoir les stratégies de conformité pouvant susciter la participation d’entités autres que l’employeur immédiat. Weil coll. ont reconnu l’influence potentielle des principales entreprises (comme les franchiseurs, les marques les plus populaires ou les importants détaillants) au sein des réseaux fissurés d’employeurs sur les comportements de conformité des entreprises subordonnées. Il faut mobiliser ces entreprises afin de changer les conditions systémiques qui favorisent la non-conformité. Le professeur Banks mentionne également :

Pour poursuivre les stratégies mettant l’accent sur les structures supérieures de l’industrie et sur les entreprises ayant une incidence sur le fonctionnement des marchés, où de nombreuses mesures incitatives nuisent au bout du compte à la conformité, les inspecteurs doivent avoir une « carte » claire de la façon dont les industries prioritaires mènent leurs activités et de la mesure dans laquelle cela influence le comportement des employeurs (Weil, 2010, p. 78 et 79). L’application stratégique de la loi requiert également de l’information permettant à l’inspectorat de prendre en compte l’effet d’entraînement probable des enquêtes. Comme le mentionne Weil, ces effets d’entraînement ne dépendront pas seulement des caractéristiques de l’industrie ou de la zone géographique particulière, mais seront également tributaires de la relation entre l’inspectorat d’État et les principaux acteurs n’appartenant pas au gouvernement. Les entreprises, syndicats, associations d’employeurs de premier plan et autres groupes communautaires peuvent tous être essentiels à la création d’effets d’entraînement liés aux enquêtes et aux poursuites. (Weil, 2010, p. 76 à 82)footnote 83.

Une première étape essentielle à la conception et à la mise en œuvre de ces initiatives visant les plus hauts échelons de l’industrie est l’obtention d’information fiable sur les facteurs de risque et les activités de l’industrie, particulièrement en ce qui concerne les risques nouveaux et émergents pouvant nécessiter de nouvelles stratégies de collecte d’information. (Le professeur Banks discute également des pratiques exemplaires et de la collecte de données sur la taille des employeurs et les caractéristiques des travailleurs, particulièrement celles qui sont associées à la précarité du marché du travailfootnote 84.)

Les pratiques exemplaires peuvent inclure l’obtention d’information de travailleurs, de sources anonymes, de syndicats, d’organisations communautaires et d’associations d’employeurs, afin d’en apprendre sur les employeurs susceptibles d’être non conformes, sur la façon dont les industries fissurées sont organisées et sur la mesure dans laquelle les grandes entreprises et les associations d’employeurs peuvent être mobilisées afin de modifier des conditions systémiques favorisant la non-conformitéfootnote 85.

Comme le fait remarquer le professeur Banks :

En Australie, le Fair Work Ombudsman (FWO) consulte régulièrement les employeurs et organisations syndicales en ce qui concerne le ciblage des campagnes d’application de la loi. Les organisations fournissent une source d’information clé sur la façon dont l’industrie mène ses activités et sur la façon de gérer la conformité et l’application en vue d’obtenir un effet optimal (Hardy et Howe, 2009, p. 129). Hardy mentionne que le Fair Work Ombudsman a de plus en plus recours aux réseaux de ressources pour migrants, à des groupements d’entreprises ethniques et à des centres juridiques communautaires pour les dénonciations (Hardy, 2011, p. 131). Vosko suggère que le comité consultatif du Programme des normes d’emploi pourrait peut-être fournir un moyen de communiquer avec les groupes de défense des travailleurs au sujet de l’amélioration de l’application des normes du travail (Vosko, 2011). Il en va peut-être de même des organisations d’employeursfootnote 86.

Les enquêteurs peuvent également recueillir des données au sujet des pratiques et structures de l’industrie en vue d’améliorer la compréhension de nombreuses questions, y compris : les employeurs liés, les structures de gestion, le franchisage, les structures de propriété et la façon dont les décisions sont prises en matière de politiques touchant le personnelfootnote 87.

5.3.3 Accent sur les structures supérieures

En plus de conseiller d’augmenter le nombre d’inspections, Weil et coll. recommandent de mettre l’accent sur une stratégie d’application de la loi impliquant les entreprises de premier plan (c’est-à-dire les entreprises au sommet de la structure de l’industrie comme les franchiseurs), ainsi que les employeurs directement responsables des infractions aux normes du travail. Selon Weil, une telle stratégie requiert des modifications à différents protocoles d’enquête. Comme cela est mentionné ci-dessus, une collecte de données complexe ainsi qu’un engagement consistant à réaliser des enquêtes dans de multiples sites d’employeurs donnés, ou menant leurs activités au nom d’une grande entreprise, où des infractions à grande échelle sont présumées.

Pour ce qui est des stratégies conçues en vue de susciter la participation d’entreprises de premier plan, la notoriété de la marque et le besoin de protéger la marque peuvent être des facteurs importants dans la mobilisation d’une grande entreprise. Le professeur Banks ajoute ce qui suit :

Weil (2010) souligne que, pour lutter contre la non-conformité au sein des réseaux fissurés d’entreprises, il peut être nécessaire de porter attention au rôle des entreprises qui les coordonnent dans l’établissement et la modification possible des modalités de la concurrence sur le marché des produits. Par exemple, pour déterminer s’il existe des pressions systémiques incitant à la non-conformité au sein de ces réseaux, les enquêtes sur les établissements de restauration et les débits de boissons devraient s’intéresser aux autres établissements que le franchisé possède également et examiner si une tendance à la non-conformité se dégage dans cette marque de commerce (Weil, 2010, p. 78). Si des pressions de cette nature existent, il pourrait être essentiel, pour améliorer l’application de la loi, de mettre à contribution les entreprises du plus haut niveau hiérarchique en tirant parti de leur capacité à surveiller et à réglementer les conditions de production au sein des réseaux d’entreprises qu’elles coordonnent. Cette stratégie a l’appui de la Commission du droit de l’Ontario (2012, p. 69).

Cependant, sans des réformes aux règles juridiques sur la responsabilité à l’égard des conditions d’emploi, ces entreprises pourraient ne pas avoir d’obligation légale ni de responsabilité quant aux violations des normes d’emploi dans les entreprises de niveau hiérarchique inférieur. Les entreprises qui les coordonnent ne seront pas les employeurs officiels aux fins de l’application des lois sur les normes d’emploi. Elles pourraient donc n’avoir aucun intérêt à participer à de telles ententes. En fait, elles pourraient avoir intérêt à ne pas se mêler de ces questions, et ainsi se soustraire à leurs responsabilités.

Néanmoins, ces entreprises ont parfois intérêt à participer à des ententes négociées, car cela leur permet de modifier les pressions systémiques qui s’exercent sur les normes de travail. Par exemple, elles peuvent y être incitées par le désir de protéger leur marque de commerce des dommages à la réputation qui découlent des violations des normes de travail commises par les fournisseurs, les franchisés, ou les agences qui leur fournissent les travailleurs dont elles dépendent. Les entreprises dirigeantes peuvent également avoir des incitations à limiter la responsabilité potentielle des franchisés afin de protéger la valeur des franchises.

Une stratégie de conformité durable pourrait donc tenter de mobiliser des facteurs incitatifs de ce type. Weil soutient que les organismes de réglementation pourraient recourir à la divulgation des renseignements pour promouvoir le respect des lois : « La réputation peut être une source de jujitsu réglementaire, sans même recourir aux stratégies légales. Les organismes de réglementation des milieux de travail pourraient mettre en évidence les relations – qu’il s’agisse de relations de sous-traitance, de gestion par un tiers, ou de franchisé à franchiseur – entre les entités qu’ils inspectent habituellement et celles qui ont un rôle prédominant dans leurs activités et signaler à ces dernières les violations constatées et les enquêtes en cours. (Weil, 2014, p. 235)footnote 88.

Pour mettre en œuvre de telles stratégies, il pourrait être justifié de demander à d’autres provinces si elles seraient intéressées par une approche stratégique coordonnée, étant donné que les entreprises dirigeantes sont souvent actives dans plusieurs provinces. Ce type d’approche ferait intervenir les échanges de données, la coordination de la stratégie générale d’enquête, une approche intégrée des enquêtes de courte durée, ainsi que des objectifs à long terme.

Enfin, il devient essentiel de coordonner les cas qui sont associés à une association d’entreprises ou à une entité commune donnée qui n’est peut-être pas visée habituellement par les initiatives d’enquête coordonnées (p. ex., les gestionnaires indépendants, dans l’industrie hôtelière).

Il faut envisager, dans l’élaboration des approches coordonnées, d’établir ce que Weil décrit comme « des forces de frappe coordonnées au service des travailleurs vulnérables dans une ou deux industries qui emploient des travailleurs vulnérablesfootnote 89. Weil mentionne les « industries évidentes » comme les industries de restauration et les débits de boissons, les industries hôtelières, ainsi que les autres industries employant des travailleurs vulnérables, par exemple un franchisé détenant de multiples unités et ayant des antécédents de violations, ou encore une entreprise de gestion précise dans le secteur hôtelierfootnote 90. ».

Pour lancer ces forces de frappe, un groupe cible d’entreprises serait présélectionné et les inspections des employeurs ciblés commenceraient toutes au même moment. Ces initiatives pourraient être mises en œuvre dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration, et dans les autres secteurs où l’on trouve un grand nombre de travailleurs vulnérables et précaires. Par exemple, de nombreux points de vente d’un franchiseur important pourraient être inspectés pendant une période établie au préalable. Non seulement ces efforts coordonnés donneraient un élan à l’établissement d’ententes avec le franchiseur qui favoriseraient le respect de la LNE chez les franchisés, mais ils pourraient agir par contrecoup sur les autres joueurs de l’industrie. (Une analyse, ci-dessous, permet d’imaginer à quoi pourraient ressembler de telles ententes.) Cette stratégie est conçue de façon à ce que le gardien de la « marque » s’engage dans un partenariat stratégique volontaire afin de créer une pression vers le bas visant à ce que les obligations soient respectées.

Les stratégies de conformité descendantes de ce type ne s’appuient pas sur le concept de responsabilité conjointe, mais sur le fait que le sommet de la hiérarchie, dans les grandes entreprises, a intérêt à protéger la renommée de la marque de commerce et sait qu’elle serait vulnérable si des cas de non-conformité – chez des franchisés, par exemple – étaient portés à l’attention du grand public.

Des approches similaires ont été utilisées dans d’autres administrations pour mobiliser le sommet de la hiérarchie dans des initiatives stratégiques d’application de la loi. Comme mentionné précédemment, le Fair Work Ombudsman (FWO) australien a établi le National Franchise Program (programme national de franchiseurs) qui collabore avec les franchiseurs souhaitant améliorer le rendement en matière de conformité aux normes d’emploi de leurs franchisés. Le programme de franchiseurs se fonde sur la prémisse que la non-conformité chez un employeur franchisé peut entraîner des conséquences légales graves pour le franchisé et que ces conséquences peuvent avoir des répercussions sur la marque de commerce elle-même. Le programme de franchiseurs encourage donc les franchiseurs à prendre des mesures pratiques qui aideront les franchisés à comprendre leurs obligations et à les respecter, afin d’atténuer les risques pour la marque de commerce. Par exemple, le Fair Work Ombudsman encourage les franchiseursfootnote 91 à :

  • inclure dans leurs contrats de franchise une obligation expresse pour les franchisés de respecter les lois régissant les lieux de travail;
  • s’assurer que les modèles d’affaires des franchises tiennent compte des coûts associés à l’embauche du nombre suffisant d’employés établi par la loi;
  • intégrer le guide du travail équitable (Fair Work Handbook) dans le manuel d’exploitation de l’entreprise ou à le fournir séparément aux franchisés;
  • élaborer des processus internes visant à favoriser la conformité, et notamment à la faciliter en fournissant des ressources humaines et des systèmes ou des logiciels de relations industrielles aidant les franchisés à adopter des pratiques uniformes et conformes;
  • recruter des franchisés qui s’engagent à appliquer les lois et à leur fournir une formation sur les lois relatives au milieu de travail applicables, et, pour ce faire, à engager des ressources humaines ou des spécialistes des relations industrielles qualifiés pour former les franchisés, les tenir à jour et les aider, ou à coordonner des abonnements collectifs à des associations d’employeurs, ou encore à établir un tarif spécial pour que les franchisés obtiennent l’aide d’un conseiller professionnel qui leur donnera accès à des conseils fiables à un coût abordable;
  • vérifier régulièrement que les franchisés respectent les lois relatives au milieu de travail et, notamment, à procéder à des vérifications pour s’assurer que les franchisés respectent leurs obligations en matière de tenue de dossiers, ou à exiger des franchisés qu’ils mènent des « auto-examens » et rendent compte de leurs résultats.

Le Fair Work Ombudsman a aussi établi plusieurs « partenariats de conformité » avec des entreprises des plus hauts échelons de l’industrie afin d’examiner et de surveiller les chaînes d’approvisionnement et les relations de franchisage. Ces ententes sont conçues pour établir une collaboration entre l’organisme de réglementation et les entreprises qui veulent démontrer publiquement leur engagement envers la création de milieux de travail productifs et qui respectent la loi. Comme le dit le bureau du FWO : « En entrant en partenariat de conformité avec nous, les entreprises peuvent s’assurer que leurs systèmes et processus travaillent de façon efficace à bâtir une culture de conformitéfootnote 92. »

D’autres outils d’enquête pourraient aussi être modifiés de façon à mieux soutenir une approche ciblée en matière d’application de la loi. Des enquêtes ou inspections récurrentes pourraient être utilisées de façon ciblée dans le cadre d’une vaste initiative à l’endroit d’une marque récalcitrante, comme expliqué précédemment. En liant les enquêtes récurrentes aux initiatives des gestionnaires de la marque ou d’un tiers, le terrain pourrait être préparé en vue de réaliser des ententes plus complètes avec les organisations des niveaux supérieurs (et ainsi de potentiellement accroître l’effet dissuasif de ces interventions).

Recommandations :

  1. Dans la même veine que notre recommandation de modifier la pratique actuelle de faire enquête sur toutes les plaintes, le ministère du Travail devrait allouer des ressources supplémentaires aux initiatives en matière d’application proactive de la loi, y compris les vérifications et les inspections ponctuelles.
  2. Le modèle proactif d’application devrait :
    1. être renforcé en ciblant les infractions pécuniaires du type signalé dans les plaintes;
    2. continuer de recueillir et d’analyser des données statistiques au sujet de la conformité afin d’établir l’ampleur de la non-conformité;
    3. continuer de recueillir et d’analyser des données régulièrement sur la proportion de travailleurs vulnérables dans divers secteurs de l’économie;
    4. continuer d’analyser les plaintes reçues et traitées afin de trouver des données pouvant aider à focaliser les initiatives de conformité et d’application dans les domaines prioritaires.
  3. Augmenter de manière stratégique l’utilisation des inspections ciblées, particulièrement dans les secteurs et professions où un grand nombre de travailleurs sont vulnérables et précaires et auprès d’employeurs de certains secteurs et emplacements géographiques.
  4. Dans le cadre des enquêtes sur une plainte, les agents des normes d’emploi devraient continuer d’évaluer si une enquête élargie ou une inspection courante devrait être lancée lorsqu’il y a un indice que le problème de non-conformité ne touche pas seulement l’auteur de la plainte.
  5. Les agents des normes d’emploi devraient considérer que les preuves de non-conformité intentionnelle cernées au cours d’une enquête sur une plainte justifient de prime abord une prolongation de l’enquête, sous réserve des priorités absolues liées aux inspections ciblées dans le cadre d’une approche stratégique.
  6. Utiliser davantage les stratégies d’application dans le but de mettre l’accent sur les structures supérieures des industries – le sommet de la chaîne d’approvisionnement ou la direction d’un franchiseur, par exemple – où des décisions sont prises qui influencent l’application de la loi par les entités se trouvant aux niveaux inférieurs de la chaîne. Cela comprend la collecte de données au cours des enquêtes au sujet des structures de l’industrie relativement à des questions comme les employeurs communs, les structures de gestion, le franchisage et les structures de propriété et sur la manière dont les décisions sont prises au sujet des politiques de gestion du personnel.
  7. Élaborer la capacité de faire le lien rapidement avec d’autres sources de données gouvernementales, y compris les renseignements du ministère du Travail d’autres provinces, ce qui pourrait permettre de déceler les secteurs qui ont une propension à la non-conformité.
  8. Le ministère du Travail devrait avoir un financement supplémentaire lui permettant de mettre en œuvre une approche d’application stratégique complète et d’embaucher d’autres agents afin d’augmenter sa capacité de mener des inspections proactives et ciblées.

5.3.4 Un organisme d’application de la loi

Quelle que soit l’efficacité des inspections et des autres initiatives stratégiques, elles ne constituent qu’un élément d’une approche d’application stratégique uniforme et globale.

Dans le cadre d’une gestion stratégique, le Ministère doit se rapprocher de l’objectif de devenir un organisme chargé de l’application de la loi plus traditionnel, plutôt qu’un organisme qui sert la clientèle et qui s’occupe aussi de quelques activités d’application de la loi. Nous n’entendons pas par là que le ministère du Travail (MTR) n’est pas actuellement intéressé et dévoué à l’application de la loi. Il l’est. Nous affirmons plutôt qu’il doit envisager la mise en place de nouvelles stratégies, et qu’il a aussi besoin de plus d’outils et d’occasions pour mener des initiatives d’application de la loi. Un changement de priorité – devenir plutôt un organisme d’application de la loi – accompagné de changements législatifs devrait aider à créer une culture de conformité dans les milieux de travail ontariens et faciliter l’accomplissement efficace de la mission du MTR.

Certaines activités, comme les inspections proactives, constituent des volets essentiels et efficaces de l’application de la loi. Toutefois, d’autres pratiques et procédures restreignent l’efficacité du Ministère dans son rôle d’application de la loi.

5.3.5 Impact du système actuel axé sur les plaintes sur les stratégies d’application

Présentement en Ontario, comme dans la plupart des territoires, les plaintes déposées par les travailleurs sont à la base de l’application des droits en matière d’emploi. Les activités du Ministère se concentrent, entre autres, sur le traitement des plaintes. Il arrive souvent que le Ministère consacre de l’argent et des ressources supplémentaires à réduire son retard dans le traitement des plaintes, dans le cadre de ses efforts pour toutes les traiter. Dans le cadre de ce système, il est difficile pour le Ministère d’établir des priorités et d’agir stratégiquement de façon à favoriser une plus grande conformité des milieux de travail. Plutôt, une grande partie de son temps et de son énergie est consacrée aux priorités déterminées par les circonstances individuelles de ceux qui se trouvent à avoir déposé une plainte, ainsi qu’à traiter les plaintes en retard. Avec des ressources limitées, si les plaintes individuelles dominent l’ordre du jour, les priorités d’application de la loi peuvent devenir secondaires. L’ajout de personnel, sans changement de stratégie et d’approche, ne peut régler le problème fondamental.

Si une culture de conformité est jugée comme étant un objectif rationnel, de nouvelles stratégies d’application seront requises pour y arriver. Il ne s’agit pas ici de minimiser l’importance d’enquêter sur les plaintes et de récupérer les salaires non payés en raison de la non-conformité. Cela restera vraisemblablement toujours une fonction essentielle du Programme des normes d’emploi du MTR. Cependant, un processus axé sur les plaintes – à lui seul – n’arrivera pas aux résultats escomptés. Comme l’a affirmé le professeur Banks :

La croissance de la main-d’œuvre vulnérable et la fissuration des milieux de travail dans de nombreuses industries interconnectées posent des défis très lourds qui sont probablement insurmontables par une approche en matière de conformité et d’application qui resterait principalement axée sur les plaintesfootnote 93.

5.3.6 Campagnes systémiques pour contrer la non-conformité systémique

Adopter une approche qui serait plutôt celle d’un organisme d’application de la loi ferait une différence en ce que cela déclencherait probablement la prise de mesures à une échelle provinciale ou sectorielle pour régler les problèmes systémiques dans les milieux de travail. Tout comme la police, dans ses communications publiques, insiste souvent sur le danger du cellulaire ou de l’alcool au volant, un organisme d’application de la loi en matière d’emploi pourrait souligner des problèmes de non-conformité systémique comme les stages non rémunérés dans des situations où l’employé a droit à la protection de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi (LNE) et la classification erronée d’employés comme entrepreneurs indépendants. Ces deux pratiques sont illégales et répandues et elles constituent toutes deux la négation de la protection essentielle offerte par la loi, autrement dit un refus de reconnaître que quelqu’un est un employé ayant des droits fondamentaux. Ces deux questions sont mal comprises et une solution systémique devrait y être apportée. Un organisme d’application de la loi pourrait diffuser à grande échelle de l’information expliquant quand les « stages » doivent être payés et le fait que de nombreux stages non payés, ainsi que la classification erronée d’employés comme entrepreneurs indépendants, sont illégaux, et publiciser les mesures de répression prises contre les pratiques illégales. Cela encouragerait les gens à appeler de façon anonyme les lignes de dénonciation pour y partager des renseignements pertinents. Dans les cas où la dénonciation a mené à une enquête ou une inspection, une fois celle-ci achevée et le dossier clos, l’organisme pourrait publiciser activement les résultats, notamment les noms des contrevenants et les ordonnances et pénalités.

5.3.7 Une approche stratégique de la participation aux procès

Un organisme d’application de la loi aurait une approche plus active en matière de litiges et d’arbitrage de différends. Actuellement, le Ministère ne conçoit pas son rôle comme étant de devoir défendre la grande majorité des décisions et des politiques appliquées par les agents des normes d’emploi (ANE)footnote 94. Par exemple, lorsqu’un employeur demande la révision d’une décision d’un ANE devant la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO), le Ministère ne défend généralement pas la décision, mais laisse le soin à l’employé de le faire. Cela entraîne une situation souvent inéquitable puisque les ressources engagées contre la décision de l’ANE surpassent souvent celles de l’employé qui doit la défendre. Cela peut aussi donner lieu à des situations où personne ne défend une décision importante d’un ANE. Parfois, le MTR participera à un cas particulier, mais il ne le fait que pour l’objectif limité de défendre l’interprétation du Ministère d’une disposition. En fait, le MTR considère qu’il est neutre dans les litiges qui opposent les employeurs et les employés. Un organisme d’application de la loi ne se considérerait pas comme neutre, ne laisserait pas les décisions de ses fonctionnaires non défendues et ne confierait pas aux parties la responsabilité de défendre les politiques et les décisions du Ministère.

Nous ne suggérons pas que le MTR se mette à défendre aveuglément toutes les décisions des ANE contestées par une des parties. Il arrive que des décisions soient indéfendables. Nous affirmons toutefois qu’une interprétation et une application cohérentes de la loi nécessitent une participation active du Ministère aux procès comme partie intégrante de la stratégie d’application. Le Ministère devrait, quant à l’application de la loi, jouer un rôle similaire à celui joué par la Couronne en matières criminelles. Comme la Cour suprême du Canada l’a affirmé :

On ne saurait trop répéter que les poursuites criminelles n’ont pas pour but d’obtenir une condamnation, mais de présenter au jury ce que la Couronne considère comme une preuve digne de foi relativement à ce que l’on allègue être un crime. Les avocats sont tenus de veiller à ce que tous les éléments de preuve légaux disponibles soient présentés; ils doivent le faire avec fermeté et en insistant sur la valeur légitime de cette preuve, mais ils doivent également le faire d’une façon juste. Le rôle du poursuivant exclut toute notion de gain ou de perte de cause; il s’acquitte d’un devoir public, et dans la vie civile, aucun autre rôle ne comporte une plus grande responsabilité personnelle. Le poursuivant doit s’acquitter de sa tâche d’une façon efficace, avec un sens profond de la dignité, de la gravité et de la justice des procédures judiciairesfootnote 95.

En matière d’emploi, le Ministère devrait participer activement lorsque des violations sont survenues en s’assurant que la preuve et la loi sont présentées de façon juste à l’arbitre. Il devrait défendre la conformité et ne pas restreindre son rôle à celui d’un amicus.

Peu importe à quel point il pourrait être souhaitable pour le Ministère de participer à toutes les causes, cela demanderait trop de ressources supplémentaires. Cela ne serait pas pratique. Toutefois, le Ministère devrait être stratégique et participer aux cas importants dans les secteurs à haut niveau de non-conformité et dans les causes qui pourraient avoir valeur de précédent. Autrement dit, un organisme d’application de la loi doit avoir une stratégie de participation aux procès proactive et orientée vers les programmes qui en fera un défenseur actif de l’application de la loi dans les procédures devant la CRTO.

Recommandation :

  1. Les avocats ou représentants du ministère du Travail présents aux audiences de révision devant la Commission des relations de travail de l’Ontario devraient participer activement aux procédures afin de veiller à ce que la meilleure preuve et la loi soient présentées à l’arbitre.

5.3.8 Système actuel fondé sur les plaintes et nécessité de changement

La LNE est un modèle fondé sur les plaintes. Comme Vosko, Noack et Tucker l’indiquent dans leur document préparé pour l’Examen portant sur l’évolution des milieux de travail :

Les plaintes déposées par les travailleurs sont à la base de l’application des droits en matière d’emploi dans la plupart des régimes. Après tout, les travailleurs sont ceux qui subissent les violations directement et qui ont l’intérêt le plus direct et le plus immédiat à obtenir réparationfootnote 96.

D’après leur recherche :

Le volume de plaintes touchant la LNE reçues par le MTR a décliné dans les dernières années. Entre 2008-2009 et 2012-2013, le nombre de plaintes touchant la LNE déposées annuellement a diminué considérablement, mais s’est stabilisé à environ 15 000 par année depuis 2012-2013. […] En 2015-2016, il y a eu une plainte déposée pour chaque 285 employés non syndiquésfootnote 97.

Dans la LNE, on envisage que le Ministère enquête au sujet de toutes les plaintes déposées, pourvu que le demandeur ait pris les mesures indiquées afin de faciliter l’enquête. Dans un monde où les contraintes financières sont une constante, il n’est pas possible, en raison de considérations d’ordre budgétaire, d’embaucher suffisamment d’ANE pour réaliser des enquêtes sur toutes les plaintes et les mener à bien en temps opportun, tout en assurant une présence proactive à grande échelle. Par conséquent, il y a un arriéré de plaintes non réglées et n’ayant pas fait l’objet d’une enquête.

Par trimestre, entre 2011-2012 et les deux premiers trimestres de 2015-2016, le délai moyen s’étant écoulé avant qu’un dossier de plainte soit confié à un ANE de niveau 1 allait de 2 à 67 jours et s’établissait en moyenne à 35,4 jours. Au cours des quatre derniers trimestres de cette période, la moyenne était de 38 jours; le délai moyen s’étant écoulé avant qu’un dossier de plainte soit confié à un ANE de niveau 2 à des fins d’enquête allait de 54 à 189 jours et s’établissait en moyenne à 119,6 jours. Durant les quatre derniers trimestres de cette période, le délai moyen était de 89 jours.

Des changements fondamentaux ont eu lieu dans les milieux de travail. Le nombre d’employés représentés par des syndicats a diminué. La façon dont plusieurs entreprises organisent leurs affaires a changé étant donné que l’embauche directe d’employés est maintenant effectuée par d’autres entités, dont les sous-traitants, les agences de placement temporaire et les franchisés. Il y a beaucoup d’employés vulnérables dans des emplois précaires dont les droits du travail de base sont bafoués. Les causes de ces violations sont multiples; cependant, cette situation est exacerbée par le nombre faramineux de plaintes et par un manque de ressources à cause duquel il n’est pas possible d’enquêter en temps opportun sur toutes les plaintes.

Le problème des ressources limitées n’est pas restreint à l’Ontario. Dans son rapport à la Wage and Hour Division du ministère du Travail des États-Unis, intitulé Improving Workplace Conditions through Strategic Enforcement, David Weil décrit la situation aux États-Unis en 2010 comme suit :

Les difficultés auxquelles sont confrontés les principaux organismes du ministère du Travail des États-Unis qui réglementent les conditions qui règnent dans les milieux de travail sont écrasantes. Les politiques publiques sur la santé et la sécurité, la discrimination et les conditions de travail de base protègent des millions de travailleurs et doivent être mises en œuvre dans des centaines de milliers de milieux de travail disparates situés dans des milieux géographiques diversifiés. Les conditions qui ont cours dans ces milieux de travail varient énormément – même au sein d’une seule et même industrie – et les employeurs se voient souvent offrir l’occasion de dissimuler ces conditions le plus possible. Les travailleurs de plusieurs des industries où il y a le plus d’infractions sont souvent les plus réticents à déclencher des enquêtes en portant plainte en raison de leur statut d’immigrant, de la méconnaissance de leurs droits ou de craintes liées à la sécurité d’emploi. Même les lois, qui prévoient les protections pour les travailleurs que le ministère du Travail américain a le mandat de mettre en application, ont des limites dans la communauté des affaires du 21e siècle. En raison de tout ce qui précède, les organismes mandatés pour faire des inspections de milieux de travail ont des budgets limités et sollicitent leurs employés à l’excès, sans compter qu’ils doivent évoluer dans un milieu réglementé très complexe.

Et ces difficultés transcendent la question du nombre d’enquêteurs mis à la disposition du ministère du Travail américain ou de la Wage and Hour Division (WHD), en particulier. De profonds changements survenus dans les milieux de travail, y compris l’éclatement des relations d’emploi traditionnelles, le déclin des syndicats ouvriers et l’émergence de nouvelles formes de milieux de travail, risquent de compliquer encore plus la tâche qui attend le ministère du Travail américain. De plus, comme on a des attentes envers les organismes de réglementation et qu’on leur pose aussi des exigences afin qu’ils démontrent qu’ils progressent vers l’obtention de résultats, ce qui influence la façon dont le Congrès, les organismes de responsabilisation et le public supervisent ces organismes gouvernementaux, ceux-ci sont soumis à des pressions et une surveillance plus intensesfootnote 98.

Un système fondé sur les plaintes présente des difficultés et des problèmes pour les employés. Souvent, ils ne savent pas que leurs droits ont été violés. Il est aussi démontré qu’ils craignent souvent des représailles.

Lorsqu’un employé dépose une plainte, c’est lui qui assume les coûts associés au processus de plainte, alors que l’avantage obtenu à la suite du règlement de la plainte peut s’étendre à d’autres employés qui profiteraient de la mesure de réparation octroyée. De nombreux employés craignent des représailles s’ils portent plainte. Le professeur Banks l’explique ainsi :

Les documents analysés ci-dessous indiquent que la crainte de représailles et les défis et coûts de renonciation associés à l’introduction d’une demande peuvent tous constituer des obstacles importants au dépôt d’une plainte, et c’est particulièrement vrai pour les travailleurs à bas salaire et sans sécurité d’emploi. Ces emplois sont occupés de façon disproportionnée par des femmes et des membres de groupes ethniques ou raciaux minoritaires qui sont plus à risque d’être confrontés à des barrières linguistiques ou culturelles ou de faire l’objet de préjugés (Statistique Canada, 2000, p. 103; Vosko, 2010, p. 634; Thomas, 2009, p. 24; Noack et coll., 2015, p. 89). Ils sont plus souvent occupés par des personnes handicapées, qui font souvent l’objet de préjugés sur le marché du travail et qui n’ont souvent pas accès aux mesures d’adaptation dont elles auraient besoin pour travailler dans des conditions équitables (Banks, Chaykowski et Slotsve, 2013). Les travailleurs à bas salaire sont proportionnellement moins syndiqués et ont moins accès aux avantages en matière de santé et d’invalidité qui améliorent la sécurité du revenu (Chaykowski, 2005; Marshall, 2003; Zeytinoglu et Cooke, 2004). Les travailleurs au statut de résident temporaire ou autrement instable, les immigrants récents, les travailleurs victimes de racisme et les personnes handicapées sont tous surreprésentés parmi les emplois précaires (Noack coll., 2015, p. 89). Alors que les membres des groupes victimes de racisme représentent 13 % de la population canadienne, depuis la fin des années 1990 et à travers le 21e siècle ils sont représentés de façon disproportionnée parmi les emplois à faible revenu et à faible sécurité; ils représentaient par exemple 40 % des manœuvres à la récolte, 40 % des travailleurs du textile, des entoileurs et des couturiers, et 42 % des assembleurs en électronique (Thomas, 2009, p. 25)footnote 99.

Conformément à ces observations, la recherche indique que la fréquence des plaintes individuelles n’est pas nécessairement un indicateur fiable d’un problème sectoriel de non-conformité plus vaste. C’est ce que soulignent Vosko, Noack et Tucker lorsqu’ils affirment que « les origines et les types de plaintes ne reflètent pas nécessairement les problèmes sous-jacents du marché du travailfootnote 100. » Banks émet une opinion semblable :

Le règlement des plaintes constitue une réponse incomplète à ces préoccupations. Cela ne permet pas de régler les problèmes qui ne font jamais l’objet de plaintes. Cette stratégie n’est donc pas très efficace, et encore moins la plus efficace, pour obtenir le respect des devoirs et obligations imposés par les lois. Elle n’est donc peut-être pas suffisante par elle-même pour assurer l’application complète de la loifootnote 101.

Le milieu de travail en transformation soulève carrément la question de la suffisance des approches en matière d’enquête sur les plaintes et d’application de la loi. Comme Weil l’affirme, « la fissuration implique que les politiques d’application de la loi doivent intervenir à des niveaux plus élevés des structures de l’industrie afin de changer les comportements à un niveau inférieur, là où les violations ont le plus de chances de survenirfootnote 102. » De nouvelles stratégies d’application de la loi axées sur chaque secteur pourraient devoir être mises au point pour changer les comportements des employeurs et améliorer l’application de la loi, tout en accordant la priorité aux secteurs où le degré de non-conformité est le plus élevé.

Bien qu’il soit reconnu que l’enquête sur les plaintes individuelles de violation et leur règlement restera probablement un aspect important du régime de la LNE, la politique actuelle consistant à enquêter sur toutes les plaintes doit être réévaluée. Cette politique est coûteuse, en temps et en argent, ces dépenses sont parfois disproportionnées par rapport à l’envergure de la plainte, et cela ne constitue pas toujours le moyen le plus efficace de cerner et de régler les tendances plus vastes de non-conformité. Le coût de renonciation de ne pas changer le système consistant à traiter et à enquêter sur chaque plainte est considérable. Cela signifie que le Ministère consacre constamment ses énergies à essayer de rattraper ses retards et ne se concentre pas à prendre des mesures proactives pour faire appliquer la loi et s’occuper des priorités plus vastes de l’ensemble des employés. L’unique moyen par lequel le Ministère peut remplir son obligation d’appliquer la loi stratégiquement est de changer fondamentalement la manière dont il opère en matière de traitement des plaintes.

Il devrait aussi être souligné que cette recommandation ne vise pas à déprécier ou atténuer l’importance de chaque plainte, quelle que soit son envergure, pour le plaignant lui-même. Elle vise plutôt à souligner que dans un contexte de ressources limitées, des stratégies nouvelles et plus efficaces en matière d’application doivent être mises en place, et les ressources doivent être réorientées afin de se concentrer en partie sur ces stratégies.

Autrement dit, avec des ressources limitées, les stratégies les plus efficaces pour favoriser une culture de conformité nécessiteront d’enquêter sur certaines plaintes individuelles, mais pas toutes, et de mettre en place d’autres stratégies conçues pour encourager la conformité. Les cas de représailles alléguées et les plaintes pouvant mener à une enquête élargie sur un milieu de travail devraient être priorisés. Cela devrait permettre de libérer des ressources pour d’autres stratégies d’application de la loi, comme les inspections.

Recommandations :

  1. La Loi de 2000 sur les normes d’emploi devrait être modifiée afin de préciser que le Programme des normes d’emploi n’est pas tenu de faire enquête sur toutes les plaintes et qu’il ne le fera pas.
  2. Les réclamations prioritaires en vue d’une enquête devraient être celles portant sur des représailles alléguées et les plaintes qui mèneront probablement à un élargissement de l’enquête dans le lieu de travail.
  3. Le ministère du Travail devrait offrir l’aide en ligne aux plaignants et aux employeurs pour les plaintes qui ne font pas l’objet d’une enquête; les parties pourront ainsi obtenir des lignes directrices par étapes et des renseignements sur la procédure existante au sujet du traitement et de la présentation des plaintes.

5.3.9 Une procédure accessible pour que les plaignants puissent faire juger des réclamations qui n’ont pas fait l’objet d’une enquête par le ministère du Travail

Comme nous en avons discuté précédemment, le manque de ressources et le grand nombre de plaintes imposent un fardeau trop lourd sur le régime actuel d’application de la loi. Les plaignants individuels dont les plaintes n’ont pas fait l’objet d’une enquête doivent avoir accès à un processus de règlement des réclamations accéléré et simplifié.

Dans d’autres territoires, comme le Royaume-Uni, il incombe aux employés de présenter leur cause à un tribunal de l’emploi.

Ailleurs dans le rapport (au moment de parler des révisions), nous abordons les avantages d’un accès régional amélioré au processus de révision afin de rendre le processus de résolution plus accessible et efficace pour les parties. Une recommandation semblable est présentée dans la présente section du rapport; elle consiste à faciliter l’audition des plaintes individuelles dans lesquelles l’employé a été informé que le Ministère ne mènerait pas d’enquête. Cette recommandation vise à rendre l’obtention d’une décision plus accessible et rentable pour les plaignants.

Actuellement, le tribunal compétent en matière de LNE est la CRTO. La CRTO entend actuellement les demandes de révision en matière de LNE et certaines affaires portant sur la Loi sur la santé et la sécurité au travail, et elle est responsable d’administrer la Loi de 1995 sur les relations de travail (LRT) et de trancher les causes en droit du travail relevant de sa compétence exclusive.

Le MTR devrait nommer des vice-présidents à temps partiel pour s’occuper de façon exclusive d’affaires en matière de LNE dans sept des huit districts judiciaires de l’Ontario. Les districts judiciaires sont : Centre-Est, Centre-Sud, Centre-Ouest, Est, Nord-Est, Nord-Ouest, Sud-Ouest et Toronto. La CRTO à Toronto pourrait entendre des causes en provenance de la région de Toronto. Ces vice-présidents à temps partiel seraient formés et dotés d’une expertise en matière de LNE et entendraient des plaintes (et des demandes de révision) sur une base régionale, offrant ainsi un forum accessible pour entendre les plaintes n’ayant pas fait l’objet d’une enquête par un ANE . Avoir ainsi recours à des vice-présidents rendrait plus facile et moins coûteux d’assister au processus de révision et d’y participer, tant pour les employés que les employeurs.

La nomination de vice-présidents de la CRTO pour la LNE au niveau local recoupe une proposition que le professeur Arthurs a faite au gouvernement fédéral, à savoir qu’il devrait gérer les besoins spéciaux des collectivités éloignéesfootnote 103. Il existe vraisemblablement dans chaque région un groupe d’avocats locaux compétents et disposés à siéger de façon régulière si nécessaire pour rendre des décisions à l’égard de plaintes en matière de LNE et entendre des demandes de révision. Toutefois, la nomination d’arbitres ne devrait pas être restreinte aux avocats. Comme le professeur Arthurs le recommande, les arbitres « devraient avoir de l’expérience en tenue d’audiences et bien connaître les relations de travail et les normes du travailfootnote 104

Le MTR ou la CRTO devraient faciliter l’accès des parties assumant leur propre représentation en fournissant des documents explicatifs en langage courant en ce qui a trait à la procédure et aux principes de loi qui s’appliquent, y compris le fardeau de la preuve et les règles de base de la preuve. Ce genre de document s’est avéré très utile pour aider les personnes non représentées dans d’autres procédures judiciaires.

Le processus de plainte devrait respecter les exigences d’équité et de justice naturelle et être facile d’accès pour les employés et employeurs non représentés.

La vraie question lorsqu’une plainte est déposée directement auprès de la CRTO est si la LNE a été violée. Le demandeur a le fardeau de preuve de démontrer selon la prépondérance des probabilités qu’une violation est survenue. Puisqu’il n’y a pas eu de décision préalable, ce processus de plainte peut exiger une procédure contradictoire dans laquelle une preuve est demandée pour certaines questions, les faits sont déterminés et une décision est rendue. L’accès à la justice pour les employeurs et les employés requiert une procédure conviviale sans sacrifier la qualité de l’équité des résultats.

Afin d’y arriver, les vice-présidents de la CRTO qui reçoivent les plaintes initialement devraient se voir attribuer, en vertu de la loi, le pouvoir de consulter les parties dans le cadre du processus décisionnel. Une consultation est moins formelle, moins coûteuse et plus efficace qu’une procédure accusatoire et devrait amener une meilleure compréhension et une meilleure définition des questions en litige, ce qui permettrait de décider en tant que tribunal s’il est nécessaire d’entendre la preuve pour cette cause. La CRTO a eu recours à un tel processus consultatif avec succès pour certaines causes concernant la LRT. L’arbitre, le vice-président, joue un rôle actif dans la consultation. L’objectif de la consultation est de promptement se concentrer sur les questions en litige et de déterminer si des droits prévus par la loi ont été violés. La CRTO décrit le processus de consultation comme étant conçu pour « […] élucider les faits et les arguments nécessaires pour déterminer s’il y a eu infraction à une loi […]footnote 105. » Pour ce faire, le vice-président peut : « […] élucider les faits et les arguments nécessaires pour déterminer s’il y a eu infraction à une loi […] » Pour ce faire, le vice-président peut : 1) interroger les parties et leurs représentants, 2) exprimer son point de vue, 3) définir ou redéfinir les problèmes, 4) départager les questions sur lesquelles il y a eu entente et les questions qui restent en litige. Si des preuves doivent être présentées, par exemple pour trancher une question de crédibilité, les témoignages sous serment et les contre-interrogatoires sont limités aux questions strictement définies par le vice-président.

En somme, le vice-président, dans un processus de consultation, décide des questions procédurales si nécessaire, aide les parties à définir les questions, et détermine si une preuve est nécessaire pour des questions particulières. Le vice-président rend ensuite une décision sur la cause.

Des procédures spéciales, comme des rencontres préparatoires avec les parties, pourraient être prévues avec les ANE et permettraient de bien cerner les questions litigieuses, de s’entendre sur les faits et peut-être de régler le différend, tel qu’on le fait, essentiellement, dans le cas d’une procédure préalable à l’instruction pour les causes civiles.

Une partie des causes pourraient être planifiées et entendues le même jour.

Les employeurs qui choisissent de contester la plainte devraient être obligés de remettre à l’audience des copies de tous les documents et dossiers pertinents à la plainte et à la réponse de l’employeur.

Les recommandations ci-dessous ne visent pas à limiter le pouvoir du directeur des normes d’emploi en vertu de l’article 96.1 de la LNE d’exiger notamment que le plaignant « [donne] par écrit au directeur les preuves et les autres renseignements que celui-ci estime appropriés pour confier la plainte à un agent des normes d’emploi pour enquête. » Il appartiendra au directeur de confier une plainte à un ANE pour enquête ou de conseiller au plaignant de déposer sa plainte directement auprès de la CRTO.

Recommandations :

  1. La Commission des relations de travail de l’Ontario devrait être la tribune d’arbitrage des plaintes qui ne font pas l’objet d’une enquête du ministère du Travail, si le directeur des normes d’emploi approuve les plaintes déposées et traitées par le plaignant.
  2. Le directeur des normes d’emploi devrait établir si une plainte doit faire l’objet d’une enquête ou être traitée par un plaignant devant la Commission des relations de travail de l’Ontario et, ce faisant, il devrait avoir le pouvoir de ne pas approuver qu’une plainte soit reçue par la Commission, comme il a le droit dans certaines circonstances de refuser d’assigner la plainte à un agent des normes d’emploi en vue d’une enquête en vertu de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi.
  3. Le ministère du Travail devrait nommer des vice-présidents à temps partiel dans les sept districts judiciaires de l’Ontario hors de Toronto afin d’entendre des plaintes qui ne font pas l’objet d’une enquête d’un agent des normes d’emploi.
  4. Les vice-présidents qui entendent des plaintes en première instance devraient avoir tous les pouvoirs d’un agent des normes d’emploi et l’autorité nécessaire pour arbitrer les plaintes et rendre les ordonnances nécessaires pour forcer le règlement des infractions cernées. De plus, sans limiter la portée générale de ce qui précède, le vice-président devrait avoir le droit d’accorder le paiement de salaires, de frais, de rémunération et d’intérêts sur le salaire dû et le droit d’ordonner que des avis soient affichés à des endroits apparents sur le lieu de travail du plaignant ou à d’autres endroits jugés appropriés.
  5. Les vice-présidents de la Commission des relations de travail de l’Ontario qui reçoivent les plaintes initialement devraient avoir le pouvoir de consulter les parties dans le cadre du processus décisionnel.
  6. Les employeurs qui choisissent de contester la plainte d’un employé (sans enquête) devraient être obligés de remettre à l’audience une copie de tous les documents et dossiers pertinents à la plainte et à la réponse de l’employeur.
  7. La Commission des relations de travail de l’Ontario, ou le ministère du Travail en consultation avec la Commission, devrait créer des documents explicatifs à l’intention des parties assumant leur propre représentation au sujet de la procédure de plainte et des principes de loi qui s’appliquent, y compris le fardeau de la preuve et les règles de base de la preuve.

5.4 Éducation des employés et des employeurs – Sensibilisation au sujet des droits et obligations

Fournir […] de l’information aux employés fait partie des mesures essentielles permettant de s’assurer qu’ils ont accès à l’application de leurs droits. Fournir ces renseignements aux employeurs répond directement aux besoins de plusieurs. Les recherches présentent cette initiative comme une façon économique d’améliorer le respect des lois, bien qu’aucune preuve systématique n’ait été fournie à cet égard. Il existe malgré tout des motifs raisonnables de croire que c’est bien le cas. […] [Les] motivations de plusieurs employeurs les pousseront à respecter leurs obligations s’ils savent que c’est ce qui est attendu d’eux. Une fois le matériel d’information produit, il peut être reproduit et distribué à relativement peu de frais. (Banks, p. 57)footnote 106.

5.4.1 La Loi sur les droits au travail proposée

Dans l’introduction, nous avons recommandé que les aspects importants des droits au travail soient rassemblés dans un même cadre, communiqués et rendus publics ensemble sous forme de Loi sur les droits au travail de façon à souligner et communiquer à tous les Ontariens qu’avec chaque emploi viennent des droits qui doivent être respectés et appliqués. Faire référence de façon répétée, sur de nombreuses années, dans les milieux de travail et ailleurs, à une Loi sur les droits au travail qui donne des droits aux employés constitue une mesure efficace pour sensibiliser les employés comme les employeurs.

5.4.2 Éducation et sensibilisation

Le Ministère réalise actuellement plusieurs initiatives en matière d’éducation et de diffusion qui visent à aider les employés et employeurs à comprendre les droits et obligations énoncés dans la LNE. Parmi ces initiatives, citons les vidéos et les documents explicatifs qui sont offerts sur le site Web du Ministère, un centre d’appel où l'on peut obtenir des renseignements généraux sur la LNE en plusieurs langues et des séminaires destinés aux groupes d’employés et d’employeurs.

Les agents des normes d’emploi, à qui il revient d’appliquer la loi, sont tenus de se conformer aux politiques du directeur. Le guide intitulé Employment Standards Act, 2000 Policy and Interpretation Manual, rédigé par le personnel du ministère du Travail, établit en détail les politiques et interprétations du directeur des normes d’emploi relativement à la LNE. Jusqu’à récemment, ce guide était publié par une maison d’édition d’ouvrages juridiques et les parties intéressées externes telles que les cliniques, les cabinets d’avocats, les syndicats, les employeurs et les professionnels en ressources humaines pouvaient en faire l’acquisition. Le guide n’est plus en vente. Le Ministère en fournit une version électronique sur une clé USB aux personnes en faisant la demande. Afin d’avoir la version la plus récente du guide, il est nécessaire de redemander au Programme des normes d’emploi une nouvelle clé USB de façon régulière.

La loi oblige les employeurs à installer une affiche légale concernant la LNE et à la fournir aux employés; cette affiche contient une brève description de la loi, et l’adresse Web de même que le numéro du téléphone du ministère y sont aussi indiqués à l’intention des employés ou employeurs qui voudraient obtenir de plus amples renseignements.

Il va de soi que de connaître et comprendre les droits et obligations permet de mieux les respecter. Comme l’avance le professeur Banks dans son rapport sur l’Examen portant sur l’évolution des milieux de travail :

Il y a un large consensus dans la documentation selon lequel les agences responsables d’appliquer et de faire respecter la loi devraient définir les exigences en matière de conformité et les diffuser activement aux groupes d’employeurs et d’employés ciblés qui en ont le plus besoin. Offrir cette information aux employés constitue une étape cruciale dans l’assurance du respect de leurs droits. Fournir ces renseignements aux employeurs répond directement aux besoins de nombreuses personnes. La documentation présente cette initiative comme une façon économique d’améliorer le respect des lois, bien qu’aucune preuve systématique n’ait été fournie à cet égard. Il existe malgré tout des motifs raisonnables de croire que c’est bien le cas. Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, les motivations de plusieurs employeurs les pousseront à respecter leurs obligations s’ils savent que c’est ce qui est attendu d’eux. Une fois les documents d’information produits, ils peuvent être reproduits et distribués à coût relativement basfootnote 107 .

Et :

D’abord, pour plusieurs employeurs, une stratégie efficace pour faire respecter la loi consiste à simplement diffuser de l’information claire sur ce que représente une réelle conformité. Ces employeurs auront probablement tendance à être les mêmes qui assurent des conditions se situant bien au-delà des normes minimales et appliquent une stratégie concurrentielle visant à retenir et récompenser des employés aux compétences et habiletés en demande. Ces employeurs ont peu, voire aucune raison de ne pas se conformer à leurs obligationsfootnote 108 .

Certains groupes d’employeurs et d’employés évoluent dans des secteurs où la non-conformité est un problème plus important qu’ailleurs. Une information ciblée sur les droits et obligations de chacun pourrait permettre d’atténuer ce problème.

À notre avis, il peut être utile de cerner les constantes dans les plaintes ainsi que les suites qui leur sont données, afin de mieux repérer les secteurs nécessitant des initiatives éducatives. Par exemple :

Les plaintes liées aux services d’hébergement et à la restauration présentent davantage de probabilités de violations, avec 78 % des plaintes traitées débouchant sur un constat d’infraction […] Il y a plus de probabilités de découvrir des violations dans le cas de plaintes déposées contre de petites entreprisesfootnote 109 .

Le Ministère devrait également collaborer activement avec les employeurs, les syndicats et les groupes de défense des travailleurs afin de repérer des cibles pour des communications proactives et orientées vers les employés et les employeurs de secteurs où plusieurs employés sont vulnérables et où s’observent de nombreux incidents de non-conformité. Le professeur Banks affirme :

Les études de cas pointent également vers l’importance des partenariats avec l’employeur, le travailleur et d’autres organisations pour la dissémination d’information portant sur la conformité, en misant sur l’accès qu’ils ont à leurs groupes et à la confiance dont ils y bénéficient (Hardy, 2011, p. 130-1; Commission du droit de l’Ontario, p. 69)footnote 110.

Le Ministère devrait continuer d’explorer et de connaître les stratégies d’éducation et de sensibilisation utilisées dans d’autres territoires, et d’en évaluer l’efficacité et la rentabilité de leur mise en œuvre. Le professeur Banks a soulevé l’idée suivante comme étant digne de mention :

Formation gratuite sur mesure : Le Fair Work Ombudsman (FWO) de l’Australie a mis sur pied un programme national pour les employeurs ayant plus de 1 000 employés, leur offrant de la formation gratuite sur mesure afin de les aider à comprendre et à appliquer les lois australiennes touchant les normes du travail. Le FWO a ciblé les industries dans lesquelles des conditions illégales de travail non payé sont plus courantes, et les industries présentant des taux élevés d’approvisionnement, afin d’améliorer les taux de conformité chez les sous-traitants (FWO, 2012 et 2013, cité par Vosko et coll., 2014). Le FWO a également un National Franchisees Program (programme national de franchisés) mené de concert avec des franchiseurs cherchant à améliorer les taux de conformité aux normes du travail de leurs franchisés. Les employeurs participants se sont montrés satisfaits du programme. Il s’agit d’un programme purement volontaire, étant donné que les entreprises n’en tirent aucun avantage légal; la fréquence des inspections n’en est pas diminuée. Bien qu’il ait été souligné que les deux programmes affectent peut-être des ressources là où la conformité est la plus facile à atteindre (Vosko, Grundy et Thomas, 2014), il pourrait néanmoins s’agir d’une façon efficace d’améliorer la conformité si les coûts du programme sont bas. Aucune recherche publiée ne chiffre les coûts de ces programmes.

Saunders et Dutil (2005) appuient la suggestion de responsables québécois de l’application des normes, qui proposent que les ministères du Travail ciblent les comptables, qui tiennent souvent les comptes de petites entreprises et sont ainsi en bonne position de veiller à la conformité de leurs clients. Des responsables de l’Ontario m’informent que, selon leur expérience, plusieurs comptables ne connaissent pas les exigences de la LNEfootnote 111.

Dans un système fondé sur les plaintes, il est important que l’employé connaisse ses droits – mais il est tout aussi important qu’il soit prêt à s’en prévaloir. Tous les efforts déployés pour encourager la dénonciation des violations doivent s’accompagner d’efforts en vue de communiquer aux employés et aux employeurs de l’information sur les mesures contre les représailles prévues dans la LNE, ainsi que pour assurer une application stricte de ces mesures. L’éducation et la sensibilisation au sujet des droits et obligations et des dispositions anti-représailles seraient plus efficaces si l’on rendait publics des cas de représailles.

À cet égard, David Weil affirme ce qui suit :

Un effort concerté et bien visible pour empêcher l’intimidation d’employés qui portent plainte encouragerait davantage les employés à se prévaloir de leurs droits, en plus de décourager les comportements illégaux des employeursfootnote 112 .

La publication d’enquêtes pourrait avoir un effet d’entraînement dissuasif sur d’autres employeurs du même secteur. En présentant les avantages de la transparence, Weil avance que :

De façon générale, la WHD devrait rendre plus transparentes ses activités d’enquête dans une région donnée. Les bureaux de la WHD utilisent plusieurs moyens pour donner de la visibilité à leurs enquêtes (communiqués de presse, lettres à des organisations d’employeurs, efforts de communication auprès de groupes de défense des travailleurs). L’incidence comparative de ces différents moyens devrait être évaluée. De nouvelles méthodes pour transmettre de l’information sur les activités de la WHD reposant sur Internet et les réseaux sociaux devraient également être exploréesfootnote 113 .

La Loi de 2014 sur l’amélioration du lieu de travail au service d’une économie plus fortefootnote 114 prévoyait des modifications à la LNE afin de permettre à des ANE, sur avis écrit, d’exiger qu’un employeur effectue un examen de ses dossiers, de ses pratiques ou des deux pour chercher à établir s’il se conforme à une ou plusieurs dispositions de la loi ou de ses règlements. Si un employeur est tenu de mener un examen en vertu du paragraphe 91.1(1), il doit alors présenter à l’ANE un rapport sur les résultats de cet examen, conformément à l’avis et aux exigences de l’article. La loi a le potentiel d’appuyer autant l’éducation de l’employeur que sa conformité. Il reste à voir si elle sera utilisée efficacement.

Comme l’a souligné le rapport intérimaire, des groupes de défense des employés, des syndicats et des employeurs ont tous insisté sur l’importance de l’éducation. Des groupes de défense des employés et des syndicats ont recommandé que le gouvernement s’assure que le contenu des documents éducatifs soit facile à comprendre, et que ces documents soient offerts en plusieurs langues. Ils soutenaient également l’idée de lancer de vastes campagnes de sensibilisation à la LNE. Les employeurs ont entre autres laissé entendre que l’ensemble des employeurs bénéficieraient des mesures suivantes : le recours à un langage simple et clair dans toutes les communications expliquant la LNE; des campagnes d’information publiques sur la LNE, en plusieurs langues; un travail plus étroit avec les organismes communautaires, afin d’améliorer la portée de la sensibilisation; un accès facilité aux politiques et au guide d’interprétation du Ministère; des liens vers des interprétations claires et concises de la LNE dans la version électronique de la loi.

L’initiation à la LNE n’est pas un volet obligatoire du programme provincial du secondaire, contrairement à l’éducation en matière de santé et sécurité au travail, qui y est inscrite depuis 1999. Une formation de base sur les droits et privilèges des employés en vertu de la LNE représenterait un ajout utile au programme des écoles secondaires.

L’industrie et les associations de professionnels des ressources humaines pourraient être mieux mises à profit dans l’éducation des employeurs.

L’éducation des employés et des employeurs nécessitera de multiples stratégies de communication, d’éducation et de mobilisation.

Recommandations :

L’éducation et la sensibilisation sont des outils essentiels pour créer une culture de conformité. Par conséquent, nous formulons les recommandations suivantes :

  1. Le gouvernement devrait évaluer la possibilité d’ajouter des instructions de base au sujet des droits et de la rémunération des employés en vertu de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi dans le programme des écoles secondaires.
  2. Le ministère du Travail devrait mettre sa politique et son guide d’interprétation (Employment Standards Act, 2000 Policy & Interpretation Manual) accessibles à quiconque.
  3. Le ministère du Travail devrait continuer de collaborer activement avec les employeurs, les syndicats, les groupes de défense des travailleurs et les associations d’employés afin de trouver des candidats pour les communications proactives, stratégiques et ciblées à l’intention des employés et des employeurs dans les secteurs où plusieurs employés sont vulnérables et où il y a de nombreux incidents de non-conformité.
  4. Le ministère du Travail devrait cibler des employeurs en vue d’auto-examens aux termes de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi, particulièrement dans les secteurs où plusieurs employés sont vulnérables et où il y a de nombreux incidents de non-conformité. De plus, le ministère du Travail devrait évaluer l’incidence des dispositions d’auto-examen sur la conformité et la sensibilisation.
  5. Le ministère du Travail devrait continuer d’explorer et de connaître les stratégies d’éducation et de sensibilisation et évaluer l’efficacité et la rentabilité de leur mise en œuvre, notamment celles suggérées par les intervenants et celles utilisées dans d’autres territoires.

5.4.3 Responsabilité interne

En ce qui a trait à l’éducation et à la sensibilisation, le rapport intérimaire présentait la possibilité d’envisager la mise en œuvre d’un système de responsabilité interne (SRI) dans le but de concentrer plus officiellement les efforts des employeurs et des employés autant sur la nature de la loi que sur la conformité à celle-ci.

L’objectif d’un SRI est de donner une voix aux employés du milieu de travail, d’assurer une meilleure sensibilisation aux droits et aux obligations de chacun et d’améliorer la conformité à la LNE. La responsabilité interne n’implique pas que le rôle du gouvernement dans l’administration et la mise en application de la loi soit réduit, qu’il se déleste de sa responsabilité en matière de conformité à la loi ou que cette responsabilité soit subordonnée à un système de responsabilité interne. Bien au contraire : pour être efficace, un système de responsabilité interne doit s’accompagner de stratégies d’application robustes. Un SRI devrait venir compléter et non remplacer les inspections, les enquêtes sur les plaintes individuelles et les autres initiatives conçues pour favoriser la conformité.

Comme l’indique le rapport intérimaire, cette approche s’inspire pour l’essentiel du SRI créé aux termes de la LSST et qui a, selon certains, permis de rendre les milieux de travail de l’Ontario plus sécuritaires et plus sains. En vertu de la LSST, tant les employeurs que les employés ont la responsabilité de préserver la santé et la sécurité des personnes qui évoluent dans le milieu de travail et ils doivent s’efforcer de participer au processus d’application de la loi. À cet égard, les comités mixtes de santé et sécurité ou, dans les milieux de travail de taille plus modeste, les représentants de la santé et de la sécurité ont contribué à consolider la culture de préservation de la santé et de la sécurité, si l’on compare avec les résultats que l’on obtiendrait en l’absence de tels intervenants. Ces comités et représentants sont parvenus à mieux sensibiliser les employés et employeurs aux problèmes liés à la santé et la sécurité et ils ont contribué, dans plusieurs milieux de travail, à la détection et à l’élimination de conditions dangereuses ainsi qu’à l’établissement d’un milieu de travail plus sécuritaire.

Le SRI créé en vertu de la LSST n’est pas sans s’attirer des critiques. Bien qu’ils s’entendent sur le fait que la participation du travailleur a et peut avoir un effet positif sur la sécurité des lieux de travail, certains critiques (p.ex., l’initiative de la Labour OHCOW Academic Research Collaboration) a exprimé des inquiétudes sur le fait que les travailleurs précaires sont moins susceptibles d’exercer une influence sur leur milieu de travail que les employés ayant un statut plus permanent. Dans un article écrit en 2010, les auteurs affirment :

La principale inquiétude est que l’augmentation de la précarité de l’emploi découlant de la vaste restructuration économique réduit la capacité des travailleurs de se prévaloir de leurs droits et d’exercer leurs responsabilités en vertu de la loi. […] Le thème commun est que l’emploi est beaucoup plus instable, une instabilité aggravée d’autant par les diminutions de l’aide sociale, avec des paiements d’assurance-emploi (AE) et de bien-être social moins élevés, des exigences d’admissibilité plus strictes et des lacunes dans les pensions. De plus hauts niveaux de stress, une syndicalisation et une solidarité des travailleurs moins importantes et tous les problèmes sociaux et de santé qui y sont associés sont autant de conséquences communément observées de ces évolutions (Siegrist et Marmot, 2004)footnote 115.

Les auteurs concluent que :

Comme le démontrent les éléments mentionnés ci-dessus, une plus grande vulnérabilité à la résistance, aux pressions et à l’intimidation par la direction suppose également que les travailleurs précaires sont moins portés à signaler les blessures. Cette situation a clairement des implications importantes quant à la fiabilité des données en matière d’indemnisation pour des blessures, puisqu’elle montre que la précarité peut mener à davantage de sous-signalements (Hall et al., 2010; Lewchuk, Clark et de Wolff, 2009). Ce problème peut être singulièrement aggravé lorsque la direction est déterminée à dissimuler ou à réprimer les plaintes ou le signalement des blessures. […] Plutôt que d’apporter les changements nécessaires, les employés ont tendance, à force d’incitatifs, de persuasion ou de menaces, à dissimuler leurs blessures ou à en atténuer la gravité (Eakin et al., 2003; Thomason et Burton, 2000)footnote 116.

Si les personnes occupant un emploi précaire dans un environnement non syndiqué sont moins susceptibles de signaler des blessures, il est raisonnable d’en conclure qu’elles pourraient également être moins portées à signaler des infractions à la LNE ou de prendre des mesures pour y remédier. Par ailleurs, dans les cas où l’employeur n’enfreint pas volontairement la LNE, les représentants des employés et de l’employeur ayant un rôle officiel de cueillette et de suivi de l’information pourraient permettre d’améliorer l’éducation, la sensibilisation et la conformité aux lois.

Avant de discuter plus en détail d’un possible SRI, il peut être utile de mentionner à nouveau les dispositions de l’article 91.1 de la LNE qui permettent aux employeurs de mener un auto-examen. Cette disposition permet à un ANE d’exiger d’un employeur qu’il effectue un examen de ses dossiers, de ses pratiques ou des deux pour chercher à établir s’il se conforme à une ou plusieurs dispositions de la loi ou des règlements, et qu’il présente à l’ANE un rapport sur ses résultats avant une date donnée. L’ANE peut préciser la méthodologie à utiliser, le modèle à suivre et l’information à inclure dans l’auto-examen. Il peut également exiger de l’employeur qu’il détermine s’il doit des salaires, et qu’il précise les détails de tout paiement versé pour réparer cette violation. Si le rapport de l’employeur conclut qu’il ne s’est pas conformé à la loi ou à ses règlements, mais que cette violation n’a pas lésé financièrement ses employés, l’employeur est alors tenu d’inclure dans le rapport une description des mesures qu’il a prises ou qu’il prendra pour s’assurer que la loi ou les règlements seront respectés. L’ANE peut également exiger, en regard de l’examen, que soit versé un salaire déterminé aux employés. En somme, la LNE confère déjà au ministère du Travail l’autorité d’exiger des examens simplifiés touchant la conformité à l’ensemble ou à une partie de la LNE. Le fait d’exiger des employeurs qu’ils mènent des vérifications de conformité simplifiées devrait permettre de mieux sensibiliser certains employeurs à leurs obligations et aux droits des employés, et d’ainsi améliorer leur conformité.

Les vérifications menées par les employeurs pourraient représenter un outil essentiel dans les efforts pour rendre les SRI efficaces. Le Ministère pourrait exiger des employeurs qu’ils évaluent leur conformité à certaines normes choisies. Les exigences touchant la vérification de l’employeur par rapport à une ou plusieurs normes choisies pourraient être annoncées aux employeurs et aux employés à l’avance, avec des communications et une éducation ciblées. Une vérification de la conformité à une ou plusieurs normes pourrait facilement servir de base pour une rencontre entre représentants des employés et de l’employeur, afin qu’ils discutent de conformité et des enjeux qui en découlent.

Dans l’Union européenne, de tels comités consultatifs sont obligatoires pour tous les lieux de travail de plus de 50 employés. La directive de l’Union européenne en matière d’information et de consultation des employés prévoit de leur fournir des renseignements et de recueillir leurs avis sur une diversité de sujets, y compris la situation économique de l’entreprise et des décisions susceptibles de mener à des changements dans l’organisation. L’Australie a une loi similaire. Le Code canadien du travail contient des dispositions établissant des comités mixtes pour gérer les conséquences entraînées par d’importants excédents de personnel.

Nous appuyons, dans un sens général, l’idée de mettre sur pied des comités consultatifs afin de permettre aux employés d’avoir accès aux renseignements et d’avoir une voix dans l’entreprise. Nous avons toutefois conclu que les comités consultatifs ou d’autres types de SRI pour les normes du travail devraient être encouragés, mais non obligatoires.

Si un comité consultatif devait être mis sur pied par un employeur, son mandat pourrait être bien plus large que la seule conformité à la LNE. Les comités d’employés pourraient être informés et consultés sur un bon nombre de sujets et de décisions en lien avec l’entreprise et pouvant présenter un intérêt pour les employés ou avoir une incidence sur eux, par exemple la possibilité d’importants changements dans la production, l’organisation ou les technologies. L’information touchant les droits des employés et la conformité à la LNE n’est qu’un des nombreux sujets auxquels pourraient s’intéresser les comités consultatifs.

En ce qui a trait aux questions liées à la LNE, un tel comité pourrait avoir l’autorité de :

  • recevoir des employés des renseignements touchant de présumés manquements à la conformité;
  • demander et de recevoir de l’information touchant des enjeux précis liés à de présumés manquements à la conformité;
  • recevoir des exemplaires des rapports de vérification et de vérification simplifiée de conformité de la part de l’employeur;
  • communiquer les résultats de ces vérifications à tous les employés afin de favoriser la responsabilisation et la sensibilisation;
  • discuter des mesures qu’a prises ou que prendra l’employeur afin de s’assurer que la loi et ses règlements seront respectés;
  • de façon générale, former et d'éduquer les employés du lieu de travail afin de s’assurer qu’ils soient mieux sensibilisés à leurs droits et aux obligations de l’employeur en vertu de la LNE.

L’employeur pourrait accepter de :

  • rencontrer régulièrement le comité;
  • fournir au comité des renseignements pertinents touchant la conformité à la LNE, lorsque de tels renseignements sont demandés;
  • communiquer rapidement les résultats des vérifications et des vérifications simplifiées de conformité;
  • rencontrer le comité afin d’examiner les vérifications;
  • discuter des mesures qu’a prises ou que prendra l’employeur afin de s’assurer que la loi et ses règlements seront respectés;
  • de façon générale, former et éduquer les employés du lieu de travail afin de s’assurer qu’ils soient mieux sensibilisés à leurs droits et aux obligations de l’employeur en vertu de la LNE.

Il n’existe aucun besoin évident de SRI dans le cas où les employés sont syndiqués, puisque le syndicat a déjà la responsabilité de négocier collectivement au nom des employés de l’unité de négociation, et de s’attaquer aux questions liées à la LNE au nom des employés de l’unité de négociation, y compris les questions de manquements à la conformité. Toutefois, le SRI pourrait représenter une façon utile pour les employés non syndiqués d’une même entreprise de favoriser tout à la fois une meilleure sensibilisation et une meilleure conformité.

Un avantage supplémentaire du SRI serait que les employés pourraient être plus disposés à signaler des violations alléguées auprès d’autres employés lorsqu’un SRI est en place, plutôt que de se plaindre directement auprès du Ministère. Les enquêtes par des membres du comité sur des enjeux précis de manquements possibles à la conformité pourraient ne pas nécessiter l’identification d’employés précis. L’enquête pourrait plutôt déboucher sur une surveillance plus générale par le comité, en collaboration avec leurs vis-à-vis de la direction, de la conformité aux normes du travail. La mise en place d’un SRI pourrait encourager le Ministère à ordonner une vérification de la conformité à une ou plusieurs normes données. Une telle vérification pourrait révéler que des employeurs ne sont pas conformes parce qu’ils ignorent ou comprennent mal leurs obligations légales, et encourager en conséquence ces employeurs à remédier volontairement à ces manquements, sans que le Ministère ait à intervenir. Un SRI serait cohérent avec l’objectif d’encourager des initiatives de conformité volontaires par les employeurs motivés à respecter la LNE.

Il doit être clair que les protections contre les représailles prévues à la LNE couvrent également les membres du comité. La réussite d’un SRI dépend de la confiance qu’ont les employés dans la protection dont ils jouissent alors qu’ils s’acquittent de leur rôle de surveillance et d’éducation.

Recommandations :

  1. Le ministère du Travail devrait encourager la mise sur pied par les employeurs de systèmes de responsabilité interne.
  2. Le ministère du Travail devrait donner de l’aide et des conseils aux employeurs qui souhaitent établir de tels systèmes.

5.5 Une protection accrue pour les employés qui cherchent à faire valoir leurs droits

5.5.1 Protection accrue des employés contre les représailles

Contexte

La LNE actuelle offre aux employés une protection étendue contre les représailles.

La loi interdit aux employeurs et à quiconque agit en leur nom d’intimider, de renvoyer ou de pénaliser autrement un employé ou de faire des menaces en ce sens pour le motif que l’employé a exercé, ou tenté d’exercer, ses droits aux termes de la LNE. Plus précisément, un employeur n’a pas le droit d’adopter des mesures de représailles contre un employé qui :

  • demande à l’employeur de se conformer à la loi et ses règlements;
  • s’informe au sujet des droits que lui confère la loi;
  • dépose une plainte auprès du ministère aux termes de la loi;
  • exerce ou tente d’exercer un droit aux termes de la loi;
  • fournit des renseignements à un ANE;
  • témoigne ou est sommé de témoigner dans le cadre d’une procédure aux termes de la loi, ou est tenu d’y participer ou encore va y participer;
  • participe à des procédures concernant un règlement ou un projet de règlement aux termes de l’article 4 de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail.

Il est aussi interdit aux employeurs de pénaliser un employé de quelque façon que ce soit parce :

  • qu'il est ou deviendra admissible à prendre un congé;
  • qu'il projette de prendre un congé ou en prend un aux termes de la Partie XIV de la LNE;
  • que l’employeur est ou pourrait être tenu, en raison d’une ordonnance ou d’une saisie-arrêt judiciaire, de verser à un tiers un montant qu’il doit à l’employé.

Il incombe à l’employeur de prouver qu’il n’a pas exercé de représailles contre un employé.

En somme, les dispositions anti-représailles (article 74) de la LNE de l’Ontario interdisent aux employeurs d’intimider, de congédier ou pénaliser un employé pour le motif que ce dernier s’informe de ses droits, demande à l’employeur de se conformer à la loi, dépose une plainte ou participe à une enquête. Cette protection couvre les lanceurs d’alerte. Les protections contre les représailles de la LNE couvrent également les travailleurs d’affectation placés dans une entreprise par une agence de placement temporaire (APT), et les protègent des mesures de représailles prises tant par l’APT que par l’employeur client auquel ils sont assignés.

Si un employeur est motivé totalement ou en partie par un motif illégal, sa conduite est alors illégale. Un employeur qui, au moment de congédier ou de pénaliser un employé, tient compte de l’exercice par cet employé de ses droits aux termes de la LNE, agit de façon illégale.

Les employés qui croient qu’ils ont subi des représailles peuvent déposer une réclamation auprès du Ministère, qui mènera une enquête.

Si un ANE détermine que des représailles ont eu lieu, il peut ordonner que l’employé soit indemnisé de tout préjudice qu’il aurait subi du fait de la contravention ou qu’il soit réintégré dans ses fonctions, ou encore que ces deux mesures soient prises.

En ce moment, le Ministère ne traite pas de façon prioritaire les réclamations liées à des représailles. Il faut environ 90 jours pour que ces réclamations soient confiées à un agent des normes d’emploi (ANE) de niveau 2 pour enquête, et en moyenne, ces enquêtes durent 51 jours.

Ces dernières années, environ 12 % des réclamationsfootnote 117 faisaient intervenir une allégation de représailles (il y a aussi les cas de congés autorisés, qui sont presque invariablement liés à une allégation de représailles). La plupart de ces cas sont associés à un licenciement. Environ 20 % de ces cas mènent à un constat de contraventionfootnote 118 ; cela dit, le pourcentage de contraventions peut être plus élevé étant donné qu’un nombre considérable de ces cas sont réglés ou abandonnés.

Selon ce que le Ministère en sait, la plupart des employés qui ont été licenciés n’ont pas cherché à se faire réintégrer dans leurs fonctions. De notre point de vue, cette donnée est compréhensible étant donné les retards importants dans le processus actuel. Nous espérons toutefois que cet état de fait pourrait changer en adoptant une procédure accélérée.

La réalité du milieu de travail pour plusieurs employés en Ontario

Plusieurs employeurs souhaitent se conformer à la loi et s’y engagent; dans de tels cas, si des manquements surviennent, il est probable que ce soit par inadvertance ou ignorance, et non en raison d’une violation intentionnelle de la LNE. Dans ce genre d’environnement d’entreprise, il est probable que le signalement d’un manquement à la conformité par un employé serait géré de façon responsable et sans risque de représailles pour l’employé. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas.

Plusieurs sources soutiennent que la crainte de représailles représente un obstacle important au signalement d’une violation des normes du travailfootnote 119 . Cette conclusion s’appuie parfois sur un certain nombre d’hypothèses ou de suppositions sur le comportement des travailleurs en fonction du contexte économique et social dans lequel ils évoluent. Par exemple, lorsqu’un travailleur ou une travailleuse perçoit un risque important de congédiement, il ou elle est susceptible de décider de ne pas déposer de réclamation qui serait d’une valeur moindre que le revenu continu qu’il ou elle pourrait possiblement tirer du salaire que lui permet son emploifootnote 120.

Bien qu’il reconnaisse qu’il existe peu de recherches statistiques sur l’influence de la crainte de représailles sur la volonté de signaler des manquements, le professeur Banks conclut que :

Les données disponibles indiquent tout de même que la crainte de perdre son emploi ou de subir d’autres formes de représailles de la part de l’employeur a toutes les chances de nuire à la volonté de plusieurs travailleurs de se plaindre des violations aux normes du travail en Ontariofootnote 121 .

Dans son examen de la documentation, le professeur Banks soutient également que :

D’autres suppositions touchent la façon dont les travailleurs perçoivent réellement les risques de représailles, et la justesse de ces perceptions : elles posent que plusieurs travailleurs perçoivent un risque élevé de congédiement ou d’autres formes de représailles s’ils déposent une réclamation en vertu des normes du travail contre leur employeur; les travailleurs peuvent aussi percevoir que le risque de congédiement est plus élevé si leur emploi est déjà précaire, par exemple dans des postes relativement peu payés et connaissant un roulement élevé (Procyk, 2014, p. 1).

[…]

Les risques consécutifs à une perte d’emploi seront souvent plus importants pour les travailleurs à faible revenu ou dont la durée d’occupation des emplois est courte. Les travailleurs à faible revenu sont plus à risque de n’avoir que peu, voire aucune épargne dans laquelle puiser pour répondre à leurs besoins de base durant une période de chômage (Weil, 2012, p. 3). Plusieurs travailleurs dont la durée d’occupation des emplois est courte ne sont pas admissibles aux prestations d’assurance-emploi qui, en Ontario, ne couvrent que 41 % des travailleurs sans emploi et qui, dans tous les cas, ne remplacent que 55 % des salaires (Vosko, 2011, p. 33). Les travailleurs migrants sont confrontés à des risques supplémentaires en cas de congédiement. Les travailleurs embauchés en vertu d’un permis de travail temporaire sont le plus souvent liés à un seul employeur, ce qui implique que leur congédiement peut entraîner leur rapatriement (LCO 2012). Les travailleurs sans-papiers sont confrontés au risque que leur statut soit signalé aux autorités en matière d’immigration, ce qui entraînerait leur rapatriement (Noack et coll., 2015, p. 92; Vosko, 2011, p. 33).

L’enquête de Bernhardt et coll.,sur les travailleurs à faible revenu de New York, Chicago et Los Angeles, portant sur les violations des droits que leur confèrent les lois sur les normes du travail, a démontré que 20 % de leur échantillon n’avait pas porté plainte dans l’année précédente, bien qu’ils aient rencontré des problèmes graves comme des conditions de travail dangereuses, de la discrimination ou un salaire situé sous le seuil du salaire minimum (Bernhardt et coll., 2009, p. 24). La raison la plus commune, évoquée par 51 % des travailleurs n’ayant pas porté plainte, était la crainte de perdre son emploi (Weil, 2012, p. 6).

La Commission sur l’examen des normes du travail fédérales a également relevé que le nombre de plaintes était peu élevé comparativement à la prévalence probable de violations des normes du travail (Commission sur l’examen des normes du travail fédérales, p. 192). De façon similaire, une étude menée par Weil et Pyles sur les taux de plaintes en vertu de la Fair Labor Standards Act des États-Unis entre 2000 et 2004 a révélé qu’il y avait environ 25 plaintes par tranche de 100 000 travailleurs, et qu’environ 130 violations des dispositions de la loi portant sur les heures supplémentaires étaient nécessaires avant qu’une seule plainte ne soit déposée (Weil et Pyles, 2006). Bien que d’autres facteurs, comme la faible valeur de certaines plaintes ou les difficultés d’accès aux procédures de réclamation ont probablement une influence sur ces faibles taux de plainte, il est fort probable, en regard des autres données et considérations examinées ici, que la peur de représailles joue un rôle très important dans cette tendancefootnote 122.

Vosko, Noack et Tucker avancent que :

Les risques de représailles, réels ou perçus, pour avoir déposé une plainte relative aux normes du travail, soit directement auprès de son employeur ou auprès de représentants de l’État, ou pour poursuivre son employeur, sont bien documentés dans la recherche scientifique (Ruckelshaus, 2008; Alexander, 2013; Griffith, 2015), et laissent voir que les employés choisissent souvent de garder le silence et de ne pas porter plaintefootnote 123.

Le sens commun, la recherche universitaire et les articles scientifiques laissent peu de doute quant à l’exactitude de l’affirmation d’un chercheur cité dans le rapport du professeur Banks selon qui :

plusieurs travailleurs perçoivent un risque élevé de congédiement ou d’autres formes de représailles s’ils déposent une réclamation en vertu des normes du travail contre leur employeur; les travailleurs peuvent aussi percevoir que le risque de congédiement est plus élevé si leur emploi est déjà précaire, par exemple dans des postes relativement peu payés et connaissant un roulement élevé (Procyk, 2014, p. 1)footnote 124.

Cette conclusion est étayée par des statistiques.

Plus de 90 % des quelque 15 000 plaintes déposées tous les ans proviennent des personnes qui ont quitté leur emploi volontairement ou qui se sont fait licencierfootnote 125. Lorsque le Ministère enquête au sujet de ces plaintes, il constate qu’environ 70 % des réclamations retirées ou non réglées sont valides. De plus, lorsque le Ministère inspecte activement des milieux de travail, il recense habituellement des violations de la loi. Durant la période de trois ans allant de 2011-2012 à 2013-2014, le Ministère a constaté qu’il y avait eu violation de la loi dans 75 à 77 pour cent des cas. Lorsqu’on a inspecté le milieu de travail de l’employeur subséquemment au dépôt d’une plainte, on a constaté qu’il y avait eu violation de la loi dans plus de 80 % des casfootnote 126 .

Le vérificateur général de l’Ontario a découvert en 2004 que neuf travailleurs sur dix déposant une plainte pour salaire et droits acquis non versés le font après avoir quitté leur emploi (Vosko, 2011, p. 34). De même, la Commission sur l’examen des normes du travail fédérales a découvert que 92 % des plaintes déposées en vertu de la Partie III du Code canadien du travail l’étaient par des personnes qui ne travaillaient plus au même endroit (Commission sur l’examen des normes du travail fédérales, p. 192). Bien que ces études ne précisent pas les raisons pour lesquelles les travailleurs attendent généralement d’avoir quitté leur emploi, il est raisonnable de penser que la crainte des représailles représente une raison importante, puisque la plupart des plaintes touchent des enjeux fondamentaux comme le non-paiement de salaires, de droits acquis ou d’heures supplémentaires qui se sont présentés durant la relation d’emploi (Commission sur l’examen des normes du travail fédérales, p. 192-3)footnote 127 .

Le fait que tant de plaintes soient déposées par les employés après qu’ils ont quitté l’emploi de l’employeur en infraction est une preuve circonstancielle très forte en appui aux conclusions voulant que la peur des représailles soit un facteur dissuasif pour plusieurs employés s’abstenant de signaler une violation à la LNE.

Les travailleurs économiquement vulnérables, bien qu’ils connaissent les dispositions anti-représailles, peuvent raisonnablement les considérer comme insuffisantes en regard de leur intérêt à conserver leur emploi. Ces travailleurs peuvent être réticents à l’idée de risquer de traverser une période de chômage en attendant que la requête aux termes de l’article 74 soit tranchée. Même la perspective d’être réintégré dans ses fonctions avec un salaire rétroactif peut être insuffisante pour contrebalancer le risque d’une période de chômage prolongée. Les études portant sur la réintégration des travailleurs dans des environnements non syndiqués laissent de sérieux doutes quant à l’efficacité de cette mesure (Angleterre)footnote 128 . Il n’en demeure pas moins qu’une réponse prompte aux plaintes concernant des représailles, y compris une ordonnance de réintégration de l’employé, ainsi que la perspective de sanctions importantes, pourraient décourager les employeurs de recourir à des mesures de représailles, et ainsi améliorer l’efficacité des protections contre les représailles et des mesures pour y remédier (y compris la réintégration de l’employé dans ses fonctions) déjà prévues à la LNE. Dans les cas où les représailles débouchent sur un congédiement, le fait d’obtenir rapidement des ordonnances de réintégration peut augmenter le nombre de réintégrations réussies d’employés.

Il va de soi qu’un retard dans l’enquête sur une plainte valable de représailles et dans la réparation de ces représailles est un facteur qui dissuade probablement de signaler les contraventions, particulièrement chez les employés les plus vulnérables. S’il y avait une diminution des retards dans l’enquête et la réparation, particulièrement dans les cas de congédiement, le signalement des cas de non-conformité pourrait croître.

Créer un processus d’enquête accéléré pour les cas de représailles pourrait également prévenir l’accumulation de contraventions et réduire au minimum l’effet démobilisant des représailles sur d’autres employés. Cela pourrait avoir pour effet de diminuer la prévalence des conditions de travail sous les normes pour les autres employés, parce que ceux-ci craindraient moins que l’organisme d’application de la loi ne prenne pas au sérieux leurs allégations d’avoir subi des représailles pour l’exercice de leurs droits.

Un processus d’enquête et de détermination accéléré pour les plaintes de représailles aurait pour effet de mettre l’accent pour les employeurs sur l’importance des dispositions anti-représailles de la LNE, particulièrement s’il était combiné avec l’imposition de sanctions appropriées visant à décourager de telles conduites.

L’éducation et la sensibilisation aux droits et obligations et aux dispositions anti-représailles pourraient dans leur ensemble être améliorées en publicisant les sanctions prises contre les représailles, ce qui aurait aussi pour avantage de dissuader les autres employeurs de se livrer à de tels comportements.

De plus, nous avons recommandé qu’un bureau du directeur de l’application de la loi soit créé; celui-ci pourrait imposer des pénalités administratives d’un montant pouvant aller jusqu’à 100 000 $ par infraction aux employeurs dans les cas où, après enquête, il existe des motifs raisonnables et probables de croire qu’il y a eu représailles sérieuses. Cette mesure apporterait un important élément dissuasif à l’égard de ces pratiques et refléterait l’importance de la question des représailles dans nos politiques publiques.

Comme nous l’avons précisé ci-dessus, le Ministère ne traite pas de façon prioritaire les réclamations liées à des représailles. Il faut environ 90 jours pour que ces réclamations soient confiées à un agent des normes d’emploi (ANE) de niveau 2 pour enquête, et en moyenne, ces enquêtes durent 51 jours. Ces délais sont inacceptables dans les cas où les employés ont été congédiés. La plupart des employés ne sont simplement pas prêts à passer six mois sans emploi à attendre la possibilité d’obtenir une réparation sous forme de réintégration et de salaire rétroactif, particulièrement quand la réintégration apparaît moins pertinente après un tel retard.

Les plaintes de représailles alléguant une cessation d’emploi devraient avoir la priorité et ne pas simplement être ajoutées à la pile de dossiers à traiter par les enquêteurs quand ils en auront le temps. À cet effet, le Ministère devrait non seulement annoncer au public que les plaintes de représailles alléguant un congédiement seront prioritaires, mais il devrait également fixer des délais très serrés pour traiter les plaintes. Celles-ci devraient être examinées et résolues en quelques jours.

Des enquêtes efficaces et en temps opportun sur les plaintes de représailles ainsi que le règlement efficace et en temps opportun des réclamations s’avérant fondées vont de pair avec une application efficace de la loi. La peur des représailles doit être combattue au moyen d’une réponse efficace et en temps opportun de la part des personnes responsables de l’application de la LNE dans les cas allégués de représailles, et par l’existence et l’imposition (dans les cas appropriés) de sanctions importantes visant à décourager de telles conduites de la part des employeurs.

Recommandations :

  1. Le Programme des normes d’emploi devrait élaborer, mettre en œuvre et publiciser une politique d’enquête rapide des plaintes d’employés, y compris les dénonciateurs, qui allèguent avoir été congédiés en raison de l’exercice de droits en vertu de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi.
  2. La politique devrait mettre l’accent sur le fait que les représailles sous forme de congédiement constitueront une priorité du ministère du Travail et que les enquêtes seront normalement lancées dans les cinq jours suivant la réception de la plainte.
  3. Les plaintes pour congédiement qui justifient une enquête rapide devraient comprendre les cas où un employeur a refusé de permettre à un employé de reprendre le travail après un congé, conformément à la Loi de 2000 sur les normes d’emploi.
  4. Le ministère du Travail devrait publier la politique et ainsi prendre des mesures pour communiquer clairement l’objectif et le contenu des mesures de protection contre les représailles prévues aux termes de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi.

5.5.2 Travailleurs étrangers temporaires

La Commission du droit de l’Ontariofootnote 129 (p. 73) comme la Commission sur l’examen des normes du travail fédéralesfootnote 130 (p. 244) ont recommandé de mettre en place des processus rapides et équitables pour traiter les allégations de représailles contre les travailleurs étrangers temporaires, et pour entendre les causes qui pourraient entraîner un rapatriement, puisque le risque de rapatriement dissuade fortement de déposer une plainte, et que le rapatriement peut avoir pour effet de retirer au travailleur toute réparation efficace.

Dans le cas des travailleurs étrangers temporaires, aucun congédiement – qu’il s’agisse de représailles alléguées ou d’autres raisons alléguées – ne devrait entrer en vigueur tant qu’une ordonnance permettant un congédiement n’aura pas été rendue par un arbitre impartial. Étant donné les questions de compétence provinciales et fédérales soulevées, le Ministère devrait collaborer avec le gouvernement fédéral pour établir un processus d’arbitrage qui protégerait les travailleurs étrangers temporaires contre le rapatriement dans les causes de congédiement, et ce, avant l’expiration de leurs permis de travail. Cela peut nécessiter de travailler en collaboration et de s’entendre avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, Emploi et Développement social Canada et l’Agence des services frontaliers du Canada de façon à s’assurer d’établir un processus d’arbitrage efficace et efficient reconnu par les deux gouvernements.

Recommandation :

  1. Le ministère du Travail devrait travailler avec les organismes et ministères fédéraux pertinents afin d’élaborer et de mettre en œuvre une procédure rapide et accessible visant à régler les dossiers de représailles alléguées qui ont mené au congédiement des travailleurs étrangers temporaires avant leur rapatriement conformément aux conditions de leur permis de travail.

5.6 Accès à la justice

5.6.1 Amélioration du processus de plainte et d’examen – Aide aux employés plaignants

Dans le système de plainte actuel comme dans le nouveau modèle, nous avons proposé que les employés puissent reprendre leurs réclamations lorsque le Ministère ne mène pas d’enquête; ils pourraient donc avoir besoin d’aide et de conseils dans la préparation et le dépôt de leurs demandes, y compris de révision.

Le Ministère offre un service d’information par téléphone sans frais. Les employés peuvent appeler au Centre d’information sur les normes d’emploi (CINE). Les représentants du Ministère indiquent toutefois que le CINE n’aidera pas les plaignants à remplir le formulaire en tant que tel, mais qu’il peut les aider à déterminer le problème, et leur dire où trouver le formulaire de réclamation et les autres documents qui peuvent les aider à le remplir. Le CINE reçoit environ 200 000 à 300 000 appels par année de la part d’employeurs et d’employés.

Le Ministère peut aussi partager une trousse « avant de commencer » et un tableau permettant de calculer les montants qui pourraient être dus. Les ressources en ligne sont offertes en plusieurs langues. Les documents d’auto-assistance et le formulaire de réclamation lui-même ont récemment été mis à jour afin de les rendre plus conviviaux. Une fois la réclamation remplie, est envoyée à un centre de réception des réclamations aux fins d’examen. S’il manque des renseignements obligatoires sur la réclamation, un représentant du centre provincial de réception des réclamations communique avec le plaignant afin d’obtenir cette information. Toutefois, depuis environ 2006, les plaignants n’ont pas droit à de l’aide en personne avant de déposer une réclamation, ou pour remplir une réclamation incomplète. Ce genre de soutien a pris fin lorsque le Ministère a fermé ses bureaux de réception des demandes et a déplacé la réception vers certains bureaux de Service Ontariofootnote 131 .

Le professeur Banks affirme : « Étant donné l’importance croissante des normes d’emploi pour une partie grandissante de la main-d’œuvre ontarienne, il convient de se demander si les services en la matière devraient être offerts de la même façon que pour les réclamations en santé et sécurité au travail, en indemnisation des accidents de travail et en cas de discriminationfootnote 132. » Il conclut ainsi : « Alors que les recherches réussissent à démontrer l’importance de cet enjeu, elles n’offrent pas assez d’information concernant la diversification des modes de prestation de services ou des modèles de financement pour évaluer, quantifier ou recommander des options. »footnote 133

Il s’agit d’un sujet traité dans le rapport intérimaire, où il est indiqué que le ministère envisage la possibilité de mobiliser le Bureau des conseillers des travailleurs (BCT) pour aider les employés à travers différents aspects du processus de réclamation. Le BCT est un organisme indépendant du ministère du Travail. Les mandats du BCT sont énoncés dans la Loi de 1997 sur la sécurité professionnelle et l’assurance contre les accidents du travail et la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST). Ses coûts sont actuellement payés par la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT).

Le BCT offre actuellement des services gratuits et confidentiels aux travailleurs non syndiqués (conseils, éducation et représentation) pour les cas concernant l’assurance sécurité en milieu de travail (qui correspond à l’ancienne assurance pour les accidentés du travail) et les cas de représailles liés à la santé et la sécurité au travail. Le BCT offre tous ses services en français et en anglais. En plus de représenter les travailleurs devant la CSPAAT et le Tribunal d’appel de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (TASPAAT), il représente aussi les travailleurs dans le cadre de procédures tenues devant la CRTO relativement à des cas de représailles liés à la santé et la sécurité. Il fournit aux travailleurs des renseignements sur l’auto-assistance afin de leur permettre de gérer leurs propres réclamations lorsque cela est indiqué. Le BCT établit des partenariats communautaires avec d’autres groupes qui aident les travailleurs blessés ou qui font la promotion de la santé et la sécurité en milieu de travail. Il offre aussi des services éducatifs dans les collectivités locales. Cette formation porte sur des questions liées à ses mandats. Le BCT a des bureaux à Toronto, Scarborough, Ottawa, Downsview, Hamilton, Mississauga, St. Catharines, London, Sarnia, Waterloo, Windsor, Sault Ste. Marie, Sudbury, Thunder Bay, Timmins et Elliot Lake.

La compétence du BCT pourrait être élargie, et on pourrait lui faire profiter d’un nouveau modèle de financement qui serait conçu pour aider les employés à gérer leurs propres réclamations aux termes de la LNE et peut-être pour les représenter dans le cadre de procédures de révision. Un mandat élargi serait en accord avec son mandat actuel, lequel consiste à aider les travailleurs qui ont des problèmes en milieu de travail. Si le mandat du BCT était élargi, cela permettrait d’offrir du soutien juridique ou parajuridique aux employés, et certains d’entre eux pourraient obtenir de l’aide au moment de déposer une réclamation ainsi que, p.ex., dans les causes pour représailles, en étant représentés dans les rencontres avec les ANE, au moment de présenter une plainte et dans les procédures de révision devant la CRTO.

Une liste d’avocats prêts à offrir de l’aide juridique de façon bénévole devrait être compilée et publiée sur le site du ministère du Travail. De nombreux avocats ontariens qui pratiquent en droit du travail seraient prêts à aider les employés ou les employeurs à préparer leurs réclamations ou à y répondre dans le cadre de leur engagement public. Dans le même ordre d’idées, les noms des groupes de défense des travailleurs, des syndicats, des cliniques juridiques et des autres organismes prêts à aider les employés devraient être publiés.

Recommandations :

  1. Accroître les ressources et élargir le mandat du Bureau des conseillers des travailleurs (BCT) au moyen d’un nouveau modèle de financement visant à aider les employés à déposer une réclamation en vertu de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi.
  2. Le ministère du Travail devrait, pour tous les districts judiciaires de l’Ontario, élaborer et publier sur son site Web une liste des avocats de ces districts qui sont prêts à offrir de l’aide de manière bénévole aux employés et aux employeurs.
  3. Le ministère du Travail devrait dresser et publier une liste des groupes de défense des travailleurs, des syndicats, des cliniques juridiques et des autres ressources de l’Ontario qui sont prêtes à fournir de l’aide aux employés.

5.6.2 Retrait des obstacles pour les demandeurs

Les employés non protégés par une convention collective peuvent déposer une réclamation auprès du ministère du Travail s’ils croient que leur employeur (ou ancien employeur) ne s’est pas conformé à la LNE. Les employés syndiqués doivent, en règle générale, exercer les droits que leur confère la LNE aux termes des dispositions de la convention collective s’appliquant aux griefs et à l’arbitrage.

En 2010, la loi a été modifiée de manière à ce que le directeur des normes d’emploi puisse exiger qu’un employé ayant fait une plainte communique d’abord avec son employeur au sujet de toute question touchant aux normes d’emploi avant qu’une réclamation soit confiée à un ANE pour enquête. Sur le site Web du Ministère, on retrouve des lettres types et des documents utiles que les employés peuvent utiliser. Cette disposition contenue à l’article 96.1 de la LNE est couramment appelée l’exigence « d’auto-assistance ».

En vertu de la politique du Ministère, il y a des exceptions à la règle générale voulant que les employés doivent d’abord communiquer avec leur employeur. Ces exceptions sont énumérées sur le formulaire de réclamation et dans les documents du Ministère où est décrit le processus de réclamation et elles comprennent les cas d’employés qui hésitent à communiquer avec leur employeur parce qu’ils craignent de subir des représailles. D’un point de vue pratique, nous avons appris qu’une réclamation ne sera pas rejetée par le directeur pour le motif que l’employé n’a pas d’abord communiqué avec son employeur, bien qu’à l’étape du traitement de cette réclamation, on demande habituellement à l’employé pourquoi, le cas échéant, il n’a pas d’abord communiqué avec son employeur.

L’étude commandée aux fins de l’examen donne à penser que le nombre de réclamations déposées durant une période se comptant en années a considérablement chuté et que cela est peut-être en partie lié à l’adoption de l’exigence relative à l’auto-assistance. Les auteurs de l’étude ont conclu que « la prépondérance de la preuve donne à penser que la diminution du nombre de plaintes coïncide avec l’adoption de l’Association du Barreau de l’Ontario (ABO) [dispositions relatives à l’auto-assistance], laquelle prévoit des exigences qui dissuadent peut-être les travailleurs de revendiquer leurs droitsfootnote 134. »

La LNE prévoit actuellement une protection étendue pour les employés qui pourraient subir des représailles de la part de leur employeur pour le motif qu’ils ont exercé leurs droits aux termes de la LNE, y compris en déposant une réclamation.

Les syndicats et les groupes de défense des employés affirment que la crainte de représailles peut dissuader grandement les employés de faire des plaintes justifiées et qu’en raison de l’obligation d’informer l’employeur avant de déposer une plainte, il devient plus difficile de se prévaloir des droits prévus par la LNE. Ils citent le grand nombre de plaintes faites par des employés après qu’ils ont cessé de travailler pour l’employeur et y voient une preuve fondant la conclusion selon laquelle l’obligation d’informer leur employeur leur bloque l’accès à la justicefootnote 135. Le professeur Banks en tire la conclusion suivante : « Les travailleurs les plus à risque d’être victimes de non-conformité intentionnelle sont aussi les plus vulnérables en cas de représailles de l’employeur. Dans la mesure où les employés craignent avec raison de subir des représailles, l’exigence d’aborder d’abord l’employeur a de bonnes chances de constituer un obstacle important à l’exercice de leurs droitsfootnote 136. »

Le fait que la majorité des réclamations en matière de LNE sont déposées par d’anciens employés après avoir quitté leur emploi ou en avoir été congédiéfootnote 137 constitue une preuve circonstancielle convaincante que la peur de subir des représailles, associée à l’obligation de dénoncer le problème d’abord auprès de l’employeur, réduit la propension des employés à déposer des plaintes pendant le maintien de leur lien d’emploi avec l’employeur dont on allègue qu’il contrevient à la loi.

À notre avis, les inquiétudes concernant l’incidence négative potentielle de la disposition d’auto-assistance sont justifiées.

La loi devrait être modifiée afin de retirer la capacité du directeur des normes d’emploi d’exiger qu’un plaignant qui croit qu’il y a ou qu’il y a eu infraction à la loi informe l’employeur de son opinion, et du montant dû lorsqu’il croit qu’il y a salaire impayé. Cela ne se veut pas une critique du directeur. Même si le directeur n’imposait jamais cette exigence (ce qui n’est pas le cas), sa présence dans la loi pourrait dissuader les plaignants potentiels, parce que ceux-ci pourraient craindre de devoir soulever les violations auprès de leur employeur avant de pouvoir les dénoncer.

En somme, l’exigence que l’employé soulève d’abord les violations auprès de son employeur a une incidence négative sur la dénonciation et sur la conformité et constitue un obstacle à l’accès à la justice pour les employés les plus vulnérables.

En faisant cette recommandation, il serait injuste de ne pas mentionner que nous sommes conscients qu’il existe de nombreux employeurs qui souhaitent et ont à cœur de respecter la loi, chez qui, lorsque des violations surviennent, c’est par inadvertance ou ignorance et non par non-respect volontaire de la LNE, et chez qui les dénonciations de bonne foi par des employés de cas de non-conformité allégués sont traités de façon responsable et sans crainte pour l’employé, et souvent sans qu’un tiers n’ait besoin d’intervenir. Nous sommes aussi conscients que de nombreux experts et juristes spécialisés en droit du travail respectés appuient la dénonciation interne comme première étape en cas de plainte pour violation de la LNE. Pour un aperçu de ce point de vue, nous vous invitons à lire l’opinion du juge Binnie dans Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771footnote 138.

Recommandation :

  1. La Loi de 2000 sur les normes d’emploi devrait être modifiée afin de retirer la capacité du directeur des normes d’emploi d’exiger qu’un employé qui croit qu’il y a ou qu’il y a eu infraction de la loi informe l’employeur de son opinion.

5.6.3 Plaintes anonymes et plaintes de tiers, de dénonciateurs et de particuliers et confidentialité de l’identité du plaignant

5.6.3.1 Les dispositions actuelles de la LNE

Le paragraphe 96 (1) de la loi prévoit que :

Quiconque prétend qu’il a été ou qu’il est contrevenu à la présente loi peut déposer une plainte auprès du Ministère selon la formule écrite ou électronique qu’approuve le directeur.

La LNE ne parle pas directement des plaintes déposées par des plaignants anonymes ou tiers, mais la formulation actuelle du paragraphe permet de déposer ce genre de plaintes.

5.6.3.2 Plaintes anonymes

Conformément à la pratique courante au Ministère, toute l’information fournie de façon anonyme au CINE à propos de violations possibles est envoyée au personnel concerné du Ministère afin qu’il en fasse l’examen et prenne les mesures appropriées, le cas échéant. En d’autres mots, l’information anonyme peut mener à une inspection dans le cadre du programme d’application proactive du Ministère, mais elle ne peut servir de fondement à une plainte faisant l’objet d’une enquête. Cela semble une façon raisonnable de traiter les plaintes dans les circonstances où le personnel du Ministère ne connaît pas l’identité du plaignant et n’a donc pas la possibilité de lui poser des questions afin d’obtenir des renseignements supplémentaires et d’évaluer la validité ou le motif derrière la plainte, notamment si elle est vexatoire. Le personnel du Ministère devra décider s’il entreprend une inspection, en se fondant sur une série de facteurs, notamment les faits allégués et le secteur. Cela apparaît comme une approche raisonnable.

Il n’y a pas, à l’heure actuelle, de ligne téléphonique où dénoncer des violations alléguées à la LNE de façon anonyme. L’utilisation d’une ligne de dénonciation pourrait aider le Ministère à décider où une inspection ciblée pourrait être justifiée et à déterminer les secteurs particuliers dans lesquels des mesures d’application proactive seraient nécessaires. Afin de lutter contre la fraude à l’assurance, la Commission des services financiers offre ce genre de ligne de dénonciation sur son site Web, où elle indique un numéro de téléphone et un formulaire en ligne à remplir pour déposer une plainte. Il s’agit d’un précédent intéressant.

Vosko, Noack et Tucker appuient aussi les initiatives visant à offrir plusieurs façons de déposer une plainte anonyme : « Étant donné les preuves claires des inquiétudes des employés, particulièrement ceux encore en poste, il faudrait envisager d’offrir plus d’options pour le dépôt de plaintes par des tiers et de façon anonymefootnote 139. »

Recommandation :

  1. Le ministère du Travail devrait offrir une ligne téléphonique relativement à la Loi de 2000 sur les normes d’emploi pour recevoir des dénonciations par téléphone ou en ligne et annoncer cette ligne sur son site Web et ailleurs.
5.6.3.3 Confidentialité
Plaintes des dénonciateurs

La dénonciation, dans le contexte de la LNE, survient lorsqu’un employé révèle des actes répréhensibles perçus ou avérés de la part de l’employeur auprès de la Direction des normes d’emploi. L’objectif de la protection des dénonciateurs dans le contexte des normes d’emploi est « d’encourager les employés à collaborer avec les fonctionnaires en matière de relations du travail ». Voir : Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771footnote 140.

Le paragraphe 74 (1) de la LNE protège les dénonciateurs. Il énonce que :

Nul employeur ni quiconque agissant pour son compte ne doit intimider, congédier ou pénaliser un employé, ni menacer de le faire :

  1. soit pour le motif que l’employé, selon le cas :
    • (i) demande à l’employeur de se conformer à la présente loi et aux règlements;
    • (ii) dépose une plainte auprès du Ministère en vertu de la présente loi;
    • (iii) donne des renseignements à un agent des normes d’emploi;
    • (v) témoigne ou est tenu de témoigner dans une instance prévue par la présente loi ou y participe ou y participera d’une autre façon;

Dans les cas de dénonciation, il y aura toujours des situations où la crainte de représailles constitue un facteur important décourageant la dénonciation de violations à la LNE, à l’interne comme à l’externe. Il y aura sans aucun doute d’autres cas où les employés se sentiront très à l’aise de soulever leurs préoccupations directement auprès de leur employeur. Par exemple, certaines entreprises possèdent un code d’éthique énonçant leur engagement à respecter toutes les lois applicables, et ont élaboré des politiques internes et des procédures pour protéger tout employé qui, de bonne foi, soulève des préoccupations à propos de la non-conformité de l’entreprise. Toutefois, nous nous soucions des employés qui souhaitent dénoncer directement les violations de la LNE qui surviennent dans leur milieu de travail aux organismes d’application de la loi. Voilà ce qui est encouragé par les dispositions en matière de dénonciation contenues à la LNE. Voilà ce qui doit être protégé.

La protection contre les représailles accordée aux dénonciateurs par la LNE reflète le fait que le législateur est conscient que les dénonciateurs risquent la rétrogradation, le congédiement et d’autres formes de brimades de la part de leur employeur, que la divulgation ait été à l’interne, donc auprès de la direction de l’entreprise, ou directement aux autorités. Protéger les dénonciateurs dans la loi ne suffit pas. Une application vigoureuse de celle-ci est nécessaire. Le Ministère doit être vu comme le protecteur des droits des dénonciateurs et devrait répondre rapidement et de façon efficace aux cas d’allégations de représailles.

Il n’y a pas de raison de douter que la crainte de voir son identité divulguée et de subir des représailles décourage les dénonciateurs potentiels. Le professeur Banks mentionne :

Il existe aussi de nombreuses recherches concernant la dénonciation interne et externe d’agissements répréhensibles des entreprises aux États-Unis. Aux États-Unis, des dizaines de lois fédérales en matière de santé, de sécurité et d’environnement contiennent des dispositions qui interdisent aux employeurs privés de prendre des mesures de représailles contre leurs employés pour avoir dénoncé un acte répréhensible (Berkowitz et coll., 2011, p. 17). Les chercheurs ont observé que les organisations qui menaçaient fortement leurs employés de représailles et celles qui ne possédaient pas de mécanisme de soutien pour les employés dissuadaient la dénonciation (Yeoh, 2014, p. 465), et que le manque d’anonymat était un des principaux facteurs décourageant à dénoncer les actes répréhensibles (Yeoh, 2014, p. 464; voir aussi ERC/KPMG 2011)footnote 141.

La vraie question sur laquelle enquêter, lorsqu’un dénonciateur dépose une plainte, est s’il y a non-conformité. L’identité du dénonciateur, dans presque tous les cas, n’est pas pertinente pour déterminer les problèmes et les solutions quant aux allégations de non-conformité. Comme nous le verrons dans la section traitant des plaintes individuelles des employés, dans tous les cas concernant des allégations de non-conformité, les faits entourant les violations alléguées, notamment les noms des employés dont les droits ont été violés ou qui pourraient avoir droit à une réparation, doivent être divulgués à l’employeur afin de lui permettre de répondre de manière éclairée à la plainte et de prendre des mesures pour se conformer à la loi, si nécessaire. La divulgation des détails de la violation alléguée à l’employeur n’oblige pas à révéler l’identité du dénonciateur.

Il n’existe aucune justification stratégique ou juridique pour laquelle le Programme des normes d’emploi devrait révéler l’identité du dénonciateur à l’employeur pendant une enquête si le dénonciateur souhaite rester anonyme. Comme dit précédemment, la vraie question est s’il y a non-conformité – et non l’identité du dénonciateur. Celle-ci, dans presque tous les cas, n’est pas pertinente pour déterminer les problèmes et les solutions quant aux allégations de non-conformité.

De plus, il n’y a aucune raison pour laquelle le directeur devrait révéler le nom du dénonciateur plaignant à l’ANE affecté à l’enquête sur la plainte. Il n’y a pas non plus de besoin évident de divulguer l’identité du dénonciateur plaignant dans les documents remis à l’ANE. Élaborer et mettre en œuvre une telle politique interne aiderait à s’assurer que l’identité du dénonciateur n’est pas révélée par inadvertance ou erreur de bonne foi pendant l’enquête.

Il peut toutefois arriver que l’identité du dénonciateur doive être révélée, si le juge des faits de la cour ou du tribunal le juge nécessaire. Cela étant dit, toutefois, il n’apparaît pas évident dans quelles situations il pourrait être pertinent de révéler l’identité d’un dénonciateur, même lorsqu’un témoignage est donné dans le cadre de procédures judiciaires. S’il y a témoignage, pour que la preuve ait une valeur aux yeux de la cour ou du tribunal, il faudra généralement que le témoin rapporte des faits liés aux allégations de violation dont il a eu personnellement connaissance plutôt que du ouï-dire, et la crédibilité de cette preuve ne dépendra généralement pas du fait que le témoin est le dénonciateur ou non. Les tribunaux et les cours seront aussi sensibles aux risques et aux conséquences d’obliger un témoin à divulguer s’il est un dénonciateur, et il y a peu de chance qu’ils donnent un tel ordre à moins d’être convaincus que son identité doit être révélée afin de permettre une audition équitable à l’employeur.

Comme avec les plaintes anonymes, le Ministère devrait tenir compte de la nature et des particularités de la plainte, de la nature et de l’étendue des violations alléguées ainsi que d’autres facteurs, pour déterminer si une inspection ciblée est justifiée. Le Ministère a le pouvoir d’agir sans qu’une plainte ait été déposée ou de l’information transmise.

Plaintes provenant de tiers

Les plaintes provenant de tiers sont déposées par des personnes n’étant pas des employés, qui peuvent faire une réclamation de la part d’un employé ou d’un groupe d’employés et qui peuvent représenter ces employés dans le cadre des enquêtes subséquentes ou des procédures en vertu de la LNE découlant de la plainte. Un tiers a le droit de déposer une plainte parce que les tiers sont inclus dans le terme « quiconque » énoncé au paragraphe 96 (1) de la LNE, qui prévoit que « quiconque prétend qu’il a été ou qu’il est contrevenu à la présente loi peut déposer une plainte ».

Comme avec les dénonciateurs, la vraie question lorsqu’il s’agit d’enquêter sur une plainte déposée par un tiers est s’il y a non-conformité, et l’identité du tiers plaignant n’est pas pertinente pour déterminer les problèmes et les solutions quant aux allégations de non-conformité. Comme nous le verrons, dans tous les cas concernant des allégations de non-conformité, les faits entourant les violations alléguées, notamment les noms des employés dont les droits ont été violés ou qui pourraient avoir droit à une réparation, doivent être divulgués à l’employeur afin de lui permettre de répondre de manière éclairée à la plainte et de prendre des mesures pour se conformer à la loi, si nécessaire. La divulgation des détails de la violation alléguée à l’employeur n’oblige pas à révéler l’identité du tiers.

Même si les tiers plaignants n’ont pas de raison de craindre des représailles au travail comme les dénonciateurs, ils pourraient vouloir protéger leur anonymat pour une multitude de raisons. Certains peuvent penser que leur efficacité dans un secteur particulier ou une certaine communauté d’employés vulnérables sera compromise si l’employeur et la communauté des employeurs découvrent leur identité. D’autres peuvent vouloir divulguer leur identité afin que d’autres employés puissent leur demander de l’aide. Il n’appartient pas au Ministère de contester les raisons pour lesquelles un tiers voudrait protéger son anonymat. Il devrait essayer de respecter ce souhait le cas échéant.

Comme avec les plaintes anonymes, le Ministère devrait tenir compte de la nature et des particularités de la plainte, de la nature et de l’étendue des violations alléguées ainsi que d’autres facteurs, pour déterminer si une inspection ciblée est justifiée. Le Ministère a le pouvoir d’agir sans qu’une plainte ait été déposée.

Employés plaignants

Selon la pratique actuelle du Programme des normes d’emploi, les employés qui déposent une réclamation liée aux normes d’emploi doivent fournir leur nom, qui sera communiqué à l’employeur durant le processus de réclamation.

À une certaine époque, le Ministère permettait aux employés de déposer une réclamation de manière confidentielle (le nom de l’employé était connu du Ministère, mais pas de l’employeur). Cette pratique a été modifiée dans la foulée d’un jugement de la CRTO voulant que les employés soient tenus de s’identifier pour permettre à l’employeur de connaître l’affaire qu’il devrait réfuterfootnote 142. Une lecture attentive de la décision de la CRTO (Corporation Cineplex Odeon c. ministère du Travail) indique qu’elle ne soutient pas que le nom de l’employé plaignant doit toujours être divulgué à l’employeur. Dans cette cause, les plaignants ont obtenu une ordonnance de versement de salaires, mais ils souhaitaient rester anonymes, et l’ordonnance ne divulguait pas les noms des employés à qui le salaire devait être versé. L’idée essentielle de la décision de la CRTO est que pour des raisons d’équité et de justice naturelle élémentaires, les employeurs devraient connaître les faits de la cause afin de leur permettre de présenter une réponse adéquate ou de régler le problème, si celui-ci est démontré. Connaître les faits de la cause nécessite de divulguer les noms des employés dont on allègue qu’ils ont subi des violations, et donc qu’ils ont droit à une réparation. Voilà ce qui a été décidé par la CRTO – pas que les noms des plaignants devaient être divulgués à l’employeur.

Nous n’hésitons pas à admettre que les faits liés à la violation présumée, y compris le nom des employés qui auraient subi des conséquences négatives, devront être communiqués aux employeurs, peu importe comment le processus de plainte est amorcé. Cette information devrait être donnée à l’employeur avant qu’une ordonnance soit rendue. Si, à la suite d’une enquête, l’ANE décide de rendre une ordonnance, il devrait divulguer le nom des employés dont les droits ont été violés, le nom de tous les employés ayant droit à une réparation et la nature et le montant de la réparation ordonnée pour chaque employé.

La question de savoir si le nom de l’employé plaignant doit être fourni à l’employeur est une question distincte. Nous ne voyons pas pourquoi l’identité de l’employé plaignant devrait être divulguée à l’employeur, tant qu’il est en position de répondre à la plainte.

Comme dans les cas de non-conformité alléguée, la vraie question est s’il y a non-conformité – et non l’identité du dénonciateur. L’identité de l’employé plaignant dans certains cas ne sera pas pertinente pour déterminer les problèmes et les solutions quant aux allégations de non-conformité⊄; p.ex., lorsque les faits menant à la conclusion qu’il y a contravention sont reconnus par l’employeur, il n’est pas nécessaire de divulguer le nom de l’employé plaignant.

Il y aura toutefois d’autres circonstances dans lesquelles l’identité de l’employé plaignant sera divulguée dans les faits ou par voie de conséquence nécessaire. En pratique, particulièrement quand l’enquête ne porte que sur une seule plainte, la divulgation à l’employeur des faits entourant la violation alléguée, notamment le nom de l’employé qui aurait subi des conséquences négatives, peut revenir à révéler le nom du plaignant. Il peut être justifié dans certaines circonstances pour l’agent qui mène l’enquête de révéler l’identité du plaignant dans le cadre de celle-ci. Lorsque le plaignant donne une version des faits qui est contestée par l’employeur, divulguer l’identité du plaignant est possiblement non seulement équitable envers l’employeur, mais aussi nécessaire pour en arriver plus facilement à s’entendre sur les faits et donc à régler le litige. Il y a d’autres occasions dans lesquelles l’identité du plaignant est évidente sans avoir besoin de la divulguer. Dans ses efforts pour découvrir les faits, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par le paragraphe 102 (1) de la LNE, un agent peut exiger de l’employé et de l’employeur qu’ils le rencontrent. Bien qu’il ne soit pas nécessaire de révéler que l’employé est le plaignant, dans de nombreuses circonstances, cela sera évident aux yeux de l’employeur.

L’identité du plaignant peut aussi être révélée s’il se voit obligé de témoigner lors de procédures judiciaires devant la CRTO ou une cour (en cas d’outrage au tribunal, par exemple), ou si le juge des faits considère que cela est pertinent.

Dans de nombreuses circonstances, l’anonymat de l’employé plaignant qui cherche une réparation ne peut réellement être protégé tout en étant équitable envers l’employeur en lui révélant les faits de la cause. Il serait trompeur à l’égard de l’employé déposant une plainte que de lui garantir l’anonymat.

En conclusion, il existe de nombreuses circonstances dans lesquelles l’employeur peut découvrir l’identité de l’employé plaignant au cours de l’enquête ou des procédures judiciaires, et un ANE ne doit pas garantir à un plaignant qu’il restera anonyme pendant celles-ci.

Il s’agit d’une raison supplémentaire pour accorder une attention particulière à la protection contre les représailles et pour prioriser les mesures ciblées et proactives.

Recommandations :

  1. En ce qui concerne les programmes et initiatives d’éducation et de sensibilisation du ministère du Travail, il faudrait mettre l’accent sur le fait que les dénonciations de bonne foi des infractions sont encouragées et protégées en vertu de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi.
  2. La politique énoncée du Programme des normes d’emploi devrait être protégée contre la divulgation à l’employeur de l’identité d’un dénonciateur qui souhaite que cette information demeure confidentielle; cependant, l’identité du dénonciateur peut être divulguée par ordonnance d’un tribunal à la suite de l’enquête sur la plainte.
  3. Le Programme des normes d’emploi devrait donner la priorité aux plaintes d’un dénonciateur alléguant des représailles d’un employeur ainsi qu’aux cas de représailles alléguées par des employés, comme il est mentionné à la section 5.5.1 ci-dessus.
  4. La politique énoncée du Programme des normes d’emploi devrait être protégée contre la divulgation à l’employeur de l’identité d’un tiers qui souhaite que cette information demeure confidentielle; cependant, l’identité du tiers peut être divulguée par ordonnance d’un tribunal à la suite de l’enquête sur la plainte.
  5. Le ministère du Travail devrait mettre en œuvre une politique empêchant la divulgation (dans la documentation ou autrement) de l’identité du dénonciateur ou du tiers à l’agent des normes d’emploi affecté à l’enquête sur la plainte, afin de veiller à ce que la confidentialité ne soit pas violée par inadvertance.
  6. En cas de plainte d’un employé, d’un dénonciateur ou d’un tiers, le ministère du Travail devrait évaluer si une inspection ou une initiative stratégique est justifiée au lieu d’une enquête sur une plainte ou en plus de cette mesure.

5.6.4 Demandes de révision

Les employeurs, administrateurs d’entreprises et employés qui veulent contester une ordonnance rendue par un ANE ou le refus de rendre une ordonnance sont, dans la plupart des cas, habilités à faire une demande de révision de l’ordonnance en cause par la CRTO.

Lorsqu’ils remplissent leur rôle en enquêtant au sujet de violations présumées de la LNE, les ANE n’entendent pas la preuve dans le sens traditionnel d’entendre des témoignages sous serment lors d’une audience et d’admettre en preuve des documents déposés par les parties en conformité avec les règles de la preuve. Les ANE enquêtent sur une plainte en s’entretenant avec le plaignant et l’employeur, et parfois avec d’autres employés et d’autres personnes pouvant détenir des renseignements importants. Ils recueilleront également les dossiers pertinents de l’employeur et de l’employé, ainsi que d’autres documents pertinents, afin de les examiner. Si, compte tenu de l’enquête, l’ANE en arrive à la conclusion qu’il y a eu violation, l’employeur se voit habituellement accorder la possibilité de verser le montant dû sans qu’une ordonnance soit rendue. Si aucun paiement n’est fait, l’ordonnance nécessaire est rendue. Le fait qu’une ordonnance exécutoire a été prononcée (ou non) peut donner lieu à une demande de révision de la part de la partie visée par cette ordonnance, ou de la personne à qui on a refusé un recours qui, selon elle, était justifié.

La LNE prévoit que des demandes de révision peuvent être déposées lorsque :

  1. un ANE rend une ordonnance exigeant de payer un salaire, une indemnisation, des frais, de réintégrer un employé ou de se conformer à la loi;
  2. un ANE refuse de rendre une ordonnance;
  3. un avis de contravention est remis.

Cette demande doit être transmise par écrit à la CRTO dans les 30 jours suivant le jour où l’ordonnance, l’avis de contravention ou l’avis de refus de rendre une ordonnance a été signifié à la partie qui désire faire une demande de révision. La CRTO a compétence pour proroger le délai applicable au dépôt d’une demande de révision, si elle juge qu’il serait indiqué de le faire. Dans le cas d’une ordonnance visant un employeur, ce dernier doit d’abord payer le montant dû tel que déterminé par l’ANE, plus les frais administratifs, au directeur des normes d’emploi, le tout en fiduciefootnote 143. Cette exigence permet de s’assurer que le montant devant être versé sera disponible si l’appel de l’employé est rejeté. Cette exigence ne s’applique pas dans le cas d’un avis de contravention.

La CRTO recourt à un modèle de « livraison autonome » pour traiter les appels visés par la LNE. Ainsi, les demandeurs sont tenus de livrer un exemplaire de la demande et des documents justificatifs aux parties intimées, y compris le directeur des normes d’emploi, avant de les déposer auprès de la CRTO. Si un cas doit être examiné dans le cadre d’une audience, les parties sont tenues – au plus tard 10 jours avant l’audience – de livrer à d’autres parties et de déposer auprès de la CRTO des exemplaires de tous les documents sur lesquels elles s’appuieront à l’audience.

Actuellement, le processus de révision prévu par la LNE est un processus de novo, ce qui signifie que les parties peuvent citer des preuves et que ce qui s’est passé au niveau de l’enquête de l’ANE n’importe pas vraiment. Cela distingue un processus de révision prévu par la LNE d’un appel pur et simple puisqu’un tribunal d’appel n’entend pas la preuve, sauf dans des cas très inhabituels, mais juge un appel sur la foi du dossier écrit, lequel comprend souvent un dossier relatif à la preuve présentée au tribunal dont l’ordonnance est contestée. La CRTO est tenue de donner l’occasion aux parties de présenter leur preuve et de faire des observations. Par conséquent, les deux parties peuvent faire une déposition devant la CRTO de façon verbale ou en présentant une preuve documentaire pertinente. Pour l’essentiel, l’audience de révision tenue devant la CRTO s’apparente à un procès. Cela signifie que si une partie souhaite que la CRTO examine une preuve documentaire ou d’autres renseignements (y compris ceux qu’elle a fournis à l’ANE), elle devra les lui présenter. La CRTO rend sa décision en fonction de la preuve et des arguments que les parties lui présentent. Dans le cadre de la révision d’une ordonnance, la CRTO peut modifier, annuler ou confirmer cette ordonnance ou en prononcer une nouvelle; dans le cas d’une révision d’un refus de rendre une ordonnance, elle peut prononcer une ordonnance ou confirmer ce refus. Les parties à la procédure de révision peuvent engager un conseiller juridique. En pratique, on nous a dit que la plupart des parties assument leur propre représentation.

Pour la révision des ordonnances (ou du refus de rendre une ordonnance), la LNE prévoit que la CRTO définira sa propre pratique et procédure (paragraphe 116(9)) et l’autorise à établir des règles pour encadrer ces pratiques et procédures (article 118). L’une des règles adoptées par la CRTO lui permet de rejeter une demande de façon sommaire, sans audience, si elle ne constitue pas une cause défendable. Selon Vosko, Noack et Tucker, environ « un cinquième de toutes les demandes est rejeté de façon sommaire, c’est-à-dire sans audience. […] Les demandes d’employeurs et d’administrateurs sont rejetées de façon sommaire dans environ 24 % des cas, tandis que celles des employés sont rejetées de façon sommaire dans environ 13 % des casfootnote 144 . »

Le directeur des normes d’emploi du Ministère est partie à l’examen et son représentant participe seulement à certaines audiences. Ce représentant n’appuie pas directement ni l’une ni l’autre des parties associées au milieu de travail, mais il participe à l’audience dans le but de défendre le principe voulant que la LNE soit obligatoirement appliquée en conformité avec l’interprétation que fait le directeur des articles pertinents. Ainsi, le régime actuel met en cause, essentiellement, deux parties, l’employé ayant déposé la plainte et l’employeur intimé étant les parties principales au litige qui s’opposeront l’une à l’autre dans le cadre de la procédure de révision qui aura lieu devant la CRTO. Hormis certaines exceptions, les parties sont donc en mesure de résoudre leur propre litige. La CRTO affecte un agent des relations de travail (ART) pour qu’il travaille avec les parties afin de tenter de régler l’affaire en cause. Si les parties ne s’entendent pas, elles seront convoquées à une audience. Récemment, il fallait environ quatre mois pour obtenir une audience après avoir participé à une rencontre qui visait à conclure un règlement.

Environ 80 % des demandes de révision effectuées aux termes de la LNE mènent à un règlement. Parmi les cas non réglés pour lesquels une décision sur le fond est rendue, les demandes rejetées sont presque deux fois plus nombreuses que celles qui ont été accueillies.

Au cours des dernières années, environ 735 demandes de révision ont été déposées (ce qui signifie qu’environ 6,5 % des réclamations jugées par un agent ont fait l’objet d’un examen). La majorité des demandes de révision sont déposées par les employeurs et administrateurs d’entreprises.

En règle générale, la CRTO traite les demandes de révision concernant la LNE dans l’ordre où elles sont reçues.

La CRTO entend certaines causes dans des centres régionaux en Ontario, mais peu de vice-présidents résident dans les collectivités où ces centres se trouvent (il se peut même qu’aucun n’y habite). À cause des frais de déplacement, y compris le temps consacré à ces déplacements par des vice-présidents, les audiences tenues à l’extérieur de Toronto sont coûteuses et peu pratiques au regard du volume de cas étant donné qu’elles obligent les vice-présidents à voyager constamment. Pour les employés et les employeurs qui vivent à l’extérieur de Toronto et loin des villes où la CRTO tient des audiences de révision de décisions liées à la LNE, la participation à ces audiences est très coûteuse et prend beaucoup de temps.

Le dossier qui se trouve actuellement devant la CRTO aux fins d’examen contient l’ordonnance de l’ANE et les motifs de cette ordonnance, qui peuvent renvoyer à des dossiers pertinents de l’employeur.

Dans une procédure de novo, le demandeur de la révision demande en substance d’obtenir un procès sur le bien-fondé de la cause. Dans le système actuel, l’employeur demandeur dit au plaignant dont la plainte a été acceptée par un ANE, en tout ou en partie : je n’accepte pas le résultat, alors défends ta cause devant un autre arbitre impartial. Un employé demandeur dont la plainte a été rejetée par un ANE dit : je n’accepte pas le résultat. Je veux avoir la possibilité de défendre ma cause devant un autre arbitre.

Un processus simplifié pour les employés plaignants

Lors d’une demande de révision, le processus devrait être simplifié et facile d’accès pour les employés et employeurs non représentés.

Dans un examen d’une ordonnance d’un ANE, il n’existe actuellement aucune présomption réfutable que l’ordonnance de l’ANE a été rendue conformément à la loi applicable.

Le véritable enjeu de la révision d’une ordonnance devrait être de savoir si l’ordonnance de l’ANE se fonde sur des conclusions de faits tenables et sur une juste application de la loi. Il devrait incomber au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’une ordonnance rendue par un ANE est inappropriée en raison des faits ou de la loi.

Ce processus peut exiger une procédure accusatoire presque judiciaire dans laquelle une preuve est demandée pour certaines questions, les faits sont déterminés, et une décision est rendue. Le processus pourrait toutefois être plus convivial qu’il ne l’est actuellement pour les personnes comparaissant devant la CRTO lors des demandes de révision.

Les vice-présidents de la CRTO qui reçoivent les demandes de révision devraient avoir le pouvoir de consulter les parties dans le cadre du processus décisionnel. Comme expliqué ci-dessus, une consultation est moins formelle, moins coûteuse et plus efficace qu’une procédure accusatoire et devrait amener une meilleure compréhension et une meilleure définition des questions en litige, ce qui permettrait de décider en tant que tribunal s’il est nécessaire d’entendre la preuve pour cette cause. L’objectif de la consultation est de promptement se concentrer sur les questions en litige et de déterminer si des droits prévus par la loi ont été violés. Le vice-président, dans un processus de consultation, décide des questions procédurales si nécessaire, aide les parties à définir les questions, et détermine si une preuve est nécessaire pour des questions particulières. Le vice-président rend ensuite une décision sur la cause.

Des procédures spéciales, comme des rencontres préparatoires avec les parties, pourraient toujours être prévues avec les ART et permettraient de bien cerner les questions litigieuses, de s’entendre sur les faits et peut-être de régler le différend, tel qu’on le fait, essentiellement, dans le cas d’une procédure préalable à l’instruction pour les causes civiles.

Audiences régionales

Un meilleur accès régional au processus de révision facilitera l’accès à la justice. Si nos recommandations relatives aux plaintes et à un processus de plaintes accessible aux employés sont mises en œuvre, le ministère du Travail nommerait alors des vice-présidents de la CRTO dans différentes villes de la province (dans sept des huit districts judiciaires de l’Ontario), qui seraient formés et dotés d’une expertise en matière de LNE, et qui mèneraient des révisions sur une base régionale. Les districts judiciaires sont : Centre-Est, Centre-Sud, Centre-Ouest, Est, Nord-Est, Nord-Ouest, Sud-Ouest et Toronto. La CRTO à Toronto entendrait des causes en provenance de la région de Toronto. Le fait de nommer des vice-présidents dans ces sept districts judiciaires rendrait plus facile et moins coûteux d’assister au processus de révision et d’y participer tant pour les employés que pour les employeurs.

Documents explicatifs

La CRTO et le ministère du Travail, en consultation avec la Commission, devraient être invités à élaborer des documents explicatifs à l’intention des parties assumant leur propre représentation. Il est probable qu’il y aura toujours un grand nombre de parties non représentées qui comparaîtront devant la CRTO. Une façon simple d’apporter de l’aide consiste à s’assurer que des mémorandums rédigés dans un langage clair auront été préparés pour aider les personnes qui assument leur propre représentation, qu’il s’agisse d’employés ou d’employeurs, relativement à la procédure et aux principes de droit applicables, y compris le fardeau de la preuve et les règles de base de la preuve. Ce genre de mémorandums s’est révélé très utile à des personnes qui assumaient leur propre représentation dans le cadre d’autres procédures judiciaires, y compris des poursuites pénales aux fins desquelles il importe grandement que l’accusé comprenne la notion de fardeau de la preuve, la loi applicable, les droits qui lui reviennent ainsi que certaines règles de base touchant les preuves dans une poursuite criminelle.

Dossier documentaire

Les ANE devraient être tenus de présenter une copie de tous les documents sur lesquels ils se sont appuyés pour rendre leur décision (registres de paie, avis disciplinaires, certificats médicaux, etc.) lorsqu’ils publient les motifs de cette décision. De cette façon, la CRTO disposera d’un dossier relatif aux documents sur lesquels l’ANE s’est appuyé pour rendre une ordonnance ou rejeter une plainte. Un tel processus obligatoire devrait favoriser l’établissement de décisions d’une qualité plus constante par les ANE et il aiderait à expliquer la décision aux parties concernées et à la CRTO, en plus de permettre de fournir un dossier plus complet au membre de la CRTO qui effectue la révision. Pour un employé qui demande la révision d’une décision, cette procédure réduirait aussi – à tout le moins dans une certaine mesure – toute obligation de produire une partie ou l’ensemble de la preuve documentaire requise pour une procédure de révision. Une telle procédure n’empêcherait pas les parties de fournir d’autres preuves documentaires applicables au règlement de l’affaire.

Si nos recommandations sont acceptées, ce ne serait pas tous les cas de violation de la LNE qui feraient alors l’objet d’une enquête. Cette modification impliquerait que certains employés plaignants soumettent alors leurs plaintes directement à la CRTO, sans subir d’enquête. Dans de tels cas, lorsqu’il incombe au plaignant de démontrer qu’il y a eu violation de la LNE, nous recommandons également de suivre le processus de consultation moins officiel décrit plus haut.

Recommandations :

  1. Lorsqu’ils présentent les motifs de leur décision, les agents des normes d’emploi devraient être tenus de présenter une copie de tous les documents qu’ils ont utilisés pour en venir à leur décision (par exemple, les registres de paie, les avis disciplinaires et les certificats médicaux).
  2. La Loi de 2000 sur les normes d’emploi devrait être modifiée de manière à prévoir qu’aux fins d’une révision, il incombe à la partie demanderesse de démontrer selon la prépondérance des probabilités que l’ordonnance rendue par l’agent des normes d’emploi est inappropriée en raison des faits ou de la loi et qu’elle devrait être infirmée ou modifiée.
  3. Augmenter l’accès régional en nommant des vice-présidents à temps partiel de la Commission des relations de travail de l’Ontario pour qu’ils siègent et reçoivent les demandes et les plaintes d’employés dans chacun des sept districts judiciaires de l’Ontario hors de Toronto.
  4. Les vice-présidents de la Commission des relations de travail de l’Ontario qui reçoivent les demandes de révision devraient avoir le pouvoir de consulter les parties dans le cadre du processus décisionnel.
  5. La Commission des relations de travail de l’Ontario, ou le ministère du Travail en consultation avec la Commission, devrait créer des documents explicatifs à l’intention des parties assumant leur propre représentation au sujet de la procédure d’examen et des principes de loi qui s’appliquent, y compris le fardeau de la preuve et les règles de base de la preuve.
  6. Dans tous les districts judiciaires de l’Ontario, le ministère du Travail devrait élaborer et publier sur son site Web une liste des avocats et des cliniques juridiques qui sont prêts à offrir de l’aide juridique de manière bénévole aux parties relativement aux demandes de révision.

5.6.5 Règlements

La loi habilite les parties à régler leurs différends relatifs à la LNE dans plusieurs cas. Les processus de règlement peuvent être encadrés par des ANE ou les parties peuvent régler l’affaire en cause elles-mêmes et en informer l’ANE. Si l’employé et l’employeur se conforment aux modalités du règlement, celui-ci devient exécutoire, toute plainte déposée est réputée avoir été retirée et toute ordonnance rendue par un ANE à l’égard de la contravention, réelle ou présumée, devient nulle (sauf s’il s’agit d’une ordonnance de conformité).

Les règlements sont nuls et sans effet si l’employé (ou dans le cas d’un règlement obtenu par l’entremise d’un ANE, l’employeur) démontre que le règlement a été conclu de manière frauduleuse ou sous l’effet de la coercition.

Même quand un règlement est conclu, le Ministère peut décider de maintenir la poursuite contre l’employeur si une violation a été constatée.

En vertu des pouvoirs discrétionnaires qui leur sont conférés aux termes de l’article 101.1 de la LNE, les ANE peuvent soumettre l’idée d’un règlement. Si l’une ou l’autre des parties soumet l’idée d’un règlement, un ANE peut relayer l’offre et présenter la cause d’une partie à l’autre partie. Si une facilitation a lieu avant qu’une ordonnance ne soit prononcée, les ANE responsables de rendre l’ordonnance devraient se montrer prudents au moment de se prononcer sur le bien-fondé de la cause. Ils sont, en somme, non seulement le visage de l’application de la loi, mais également les premiers arbitres de la plainte, et ils doivent à ce titre tenter de conserver, et donner l’apparence de conserver, leur neutralité. Conformément à ce rôle, les ANE se refusent souvent de faire des observations sur la solidité d’une cause, mais ils ont le pouvoir discrétionnaire d’offrir à l’une des parties ou aux deux, lorsqu’ils le jugent approprié, une évaluation des forces et des faiblesses de la cause. Il est toutefois important de noter que les ANE reçoivent la consigne de ne pas participer aux discussions portant sur un règlement s’ils ont déjà pris une décision, ou de retarder une enquête le temps que soient menées les discussions portant sur un règlement. Des représentants du Ministère signalent que la plupart des cas ayant fait l’objet d’un règlement sont plus complexes et impliquent des questions difficiles à trancher sur la crédibilité des parties, ou sont des cas dans lesquels les faits sont confus, l’application de la loi est incertaine, ou les positions des parties sont aussi solides ou faibles l’une que l’autre. Banks conclut ainsi : « Cette approche semble offrir des garanties appropriées, à condition bien sûr que le rôle de l’ANE soit clairement expliqué dès le départ aux deux partiesfootnote 145 . » À compter du 1er avril 2017, les règlements encadrés, aux termes de l’article 101.1, se limiteront aux réclamations pour lesquelles une ordonnance en vertu de l’article 104 peut être rendue (rémunération et/ou réintégration), ce qui inclut les représailles, les congés autorisés, les établissements commerciaux et les polygraphes.

Environ 15 % des réclamations ont été réglées avec le concours d’un ANE ou par les parties elles-mêmes durant l’exercice 2014-2015.

La CRTO recourt à un ensemble de médiateurs professionnels – des agents des relations de travail (ART) – mandatés pour aider les parties à régler des différends avant l’audience d’un tribunal sur la demande de révision d’une décision d’un agent. Environ 80 % des révisions effectuées aux termes de la LNE mènent à un règlement.

Le ministère des Finances, en tant qu’agent de recouvrement désigné pour les ordonnances et les avis auxquels on n’a pas donné suite, est autorisé à conclure un règlement avec le créancier, mais seulement avec l’accord de l’employé. Si le règlement porte sur un montant équivalent à moins de 75 % de la somme à laquelle l’employé a droit, l’approbation du directeur des normes d’emploi doit être obtenue.

En Ontario, le règlement des cas est presque toujours encouragé par les tribunaux décisionnels et les cours responsables de la décision finale. Cette situation s’explique par plusieurs raisons. Les ressources d’arbitrage sont trop sollicitées et ne pourraient gérer le nombre de cas qui seraient initiés en l’absence de règlement. Si aucun règlement n’était conclu, il y aurait trop de cas qui s’étireraient pendant trop longtemps et cela exercerait des pressions excessives sur des ressources d’arbitrage déjà trop sollicitées. Les règlements permettent presque toujours aux parties d’économiser du temps et de l’argent, les frais des procédures devant la cour ou le tribunal administratif (y compris les coûts générés par une absence au travail) pouvant être élevés. Le stress causé par une procédure accusatoire peut être lourd à porter. Dans les cas où la relation entre les parties devra être maintenue, un règlement peut faciliter le rétablissement d’une relation « normale ». Lorsque le résultat d’une procédure en procès ou devant un tribunal administratif est impossible à prédire, le règlement peut représenter une façon très rationnelle de gérer le risque.

Sans la possibilité d’un règlement, tout processus judiciaire prend plus de temps et est plus coûteux pour les parties et pour la société dans son ensemble.

La facilitation de règlements par un médiateur expérimenté est avantageuse. La plupart des tribunaux et des cours n’ont pas accès à des médiateurs compétents pour faciliter le règlement des différends. Il s’agit d’un service important à offrir aux parties.

Recommandation :

  1. Aucune modification n’est recommandée.

5.7 Recours et pénalités

Les mécanismes d’application de la loi qui favorisent la conformité, dissuadent les contrevenants éventuels et prévoient un dédommagement approprié et rapide pour les employés dont les droits ont été violés aux termes de la LNE sont un élément essentiel d’une stratégie d’application de la loi efficacefootnote 146.

Des milliers de plaintes sont déposées auprès du ministère du Travail pour des violations de la LNE tous les ans. Environ 70 % des plaintes évaluées ont mené à la confirmation de violations de la LNEfootnote 147.

5.7.1 La loi actuelle

Les employés peuvent choisir de revendiquer les droits que leur confère la LNE par l’entremise des tribunaux civils plutôt qu’en s’adressant à un représentant du Programme des normes d’emploi. Les employés protégés par une convention collective agissent par l’entremise de leur syndicat pour faire appliquer ces droits.

Les ANE du Ministère enquêtent sur les réclamations déposées par des employés qui croient que leur employeur, ancien ou actuel, a enfreint la LNE, et ils inspectent les milieux de travail de façon active afin de vérifier si la loi y est appliquée. Les ANE sont habilités, entre autres, à :

  • entrer dans tout lieu et l’inspecter (sauf s’il s’agit d’un logement personnel, auquel cas ils devront obtenir un mandat ou un consentement);
  • interroger toute personne au sujet de toute affaire pertinente;
  • exiger la production de dossiers et prendre possession de ces dossiers afin de les examiner ou de les copier;
  • obliger les parties à assister à des rencontres avec l’ANE afin de faire progresser l’enquête relativement à une réclamation ou une inspection.

Si un ANE détermine qu’il y a eu une infraction d’ordre monétaire, on permet souvent à l’employeur (ou à une autre entité déclarée coupable aux termes de la LNE) de verser le montant dû sans qu’une ordonnance soit rendue (c’est ce que l’on appelle l’application volontaire de la loi). Si l’employeur ne se conforme pas à la loi de façon volontaire, l’ANE a le pouvoir de rendre une ordonnance pour exiger le paiement du montant dû. Des frais administratifs équivalant à 10 % de ce montant dû (ou à 100 $, selon le plus élevé de ces deux montants) sont ajoutés au montant réclamé en vertu de l’ordonnance. Les ordonnances de versement du salaire correspondent à la mesure la plus fréquemment appliquée lorsque les employeurs refusent de se conformer volontairement à la loifootnote 148.

Les employés peuvent, en règle générale, recouvrer de l’argent dû aux termes de la loi, et ce, au moyen d’une ordonnance et à condition qu’une réclamation ait été déposée dans les deux ans suivant la contravention. Dans le cadre d’une inspection, les ANE peuvent rendre une ordonnance afin de recouvrer l’argent qui était exigible jusqu’à deux ans avant la date du début de cette inspection. Aucune limite légale ne s’applique au montant d’argent qui peut être recouvré pour des employésfootnote 149.

Les administrateurs d’entreprises qui ne paient pas leurs employés peuvent être tenus responsables du paiement de certains des salaires en cause aux termes de la LNE (le paiement du salaire peut être exigé pour une période maximale de six mois, cette période passant à 12 mois dans le cas d’une indemnité de vacances, mais un employeur ne peut être tenu responsable du paiement d’une indemnité de licenciement ou de cessation d’emploi). Les dispositions de la LNE se rapportant à la responsabilité des administrateurs reflètent, en règle générale, celles de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario, mais elles prévoient que la loi doit être appliquée par l’entremise du Programme des normes d’emploi plutôt que dans le cadre d’une procédure judiciaire, étant donné que ce type de procédure est habituellement plus long et plus coûteux.

Les ANE peuvent aussi rendre des ordonnances de conformité qui obligent les personnes visées à cesser d’enfreindre la loi et qui servent aussi à leur indiquer ce qu’elles doivent faire (à part verser de l’argent) ou ne pas faire pour se conformer à la loi, et le délai dont elles disposent pour exécuter l’ordonnance.

Les ordonnances de conformité peuvent être appliquées au moyen d’une injonction obtenue devant la Cour supérieure de justice, bien que le ministère du Travail n’ait jamais eu recours à ce processus. Ces ordonnances sont le principal outil utilisé pour gérer les infractions qui surviennent dans le cadre d’inspections de milieux de travailfootnote 150 .

Dans certains cas (représailles, etc.), l’ANE peut rendre une ordonnance pour indemniser un employé et, si les représailles consistaient en un licenciement, pour le réintégrer dans ses fonctions. Les types des dommages-intérêts qui peuvent devoir être versés en vertu d’une ordonnance de versement d’indemnité comprennent les montants correspondant au salaire que l’employé aurait touché s’il n’y avait pas eu de représailles et de préjudices liés à des douleurs et des souffrances émotionnelles ainsi que d’autres préjudices raisonnablement prévisiblesfootnote 151.

Les ANE sont habilités à délivrer un avis de contravention prévoyant une sanction administrative pécuniaire lorsqu’il a été établi qu’une infraction avait été commise en vertu de la loi. Cette pénalité est payable au ministère des Finances (MFO) et s’ajoute aux revenus généraux de la province. Le montant indiqué dans l’avis de contravention (pour défaut de poser ou de fournir l’affiche du Ministère se rapportant à la LNE, ou pour défaut de tenir des dossiers de paie adéquats ou de les mettre à la disposition d’un ANE) est le suivant : 250 $ pour une première contravention; 500 $ pour une deuxième contravention à l’intérieur d’une période de trois ans; et 1 000 $ pour une troisième contravention ou une contravention subséquente toujours à l’intérieur d’une période de trois ans. Pour tout manquement à d’autres dispositions de la LNE, les pénalités sont les suivantes : 250 $ multipliés par le nombre d’employés concernés pour une première contravention; 500 $ multipliés par le nombre d’employés concernés pour une deuxième contravention à l’intérieur d’une période de trois ans; et 1 000 $ multipliés par le nombre d’employés concernés pour une troisième contravention ou une contravention subséquente toujours à l’intérieur d’une période de trois ans.

Les ANE peuvent entamer une poursuite aux termes de la Partie I (« avis d’infraction ») de la Loi sur les infractions provinciales (LIP).

L’ANE peut recommander qu’une poursuite soit entreprise aux termes de la Partie III de la LIP, mais la décision finale à ce sujet est prise par le ministère du Procureur général (MPG). En général, les outils de dissuasion tels que les avis de contravention et les poursuites entamées en vertu de la LIP sont utilisés moins souvent que d’autres mesures qui amènent les employeurs à se conformer à la loifootnote 152 .

Peu importe qu’une contravention soit cernée ou non, l’ANE peut obliger un employeur à afficher dans son milieu de travail tout avis que cet ANE juge approprié ou tout rapport concernant les résultats d’une enquête ou d’une inspection. En pratique, les ANE ordonnent à des employeurs d’afficher des documents seulement dans le contexte d’une inspection et non d’une réclamation.

Le Ministère publie le nom de quiconque est reconnu coupable, aux termes de la LIP, d’avoir enfreint la LNE sur son site Web.

Malgré le taux élevé de violations confirmées de la LNE, on décerne relativement peu de pénalités.

Il arrive parfois que des employeurs fassent les paiements légaux dus à un employé après le dépôt d’une réclamation et que l’employé retire celle-ci, ce qui amène le Ministère à fermer le dossier sans tenir d’enquête et sans qu’aucun constat de violation de la loi ne soit établi à l’encontre de l’employeur. De même, si les parties concluent un règlement exécutoire, la réclamation est réputée avoir été retirée et toute ordonnance prononcée à l’égard de la contravention, réelle ou présumée, devient de ce fait nulle et sans effet. Environ 15 % des réclamations ont été réglées pour l’exercice 2014-2015. La conclusion d’un règlement ne met pas fin à une poursuite.

En sus de ce qui précède, la LNE prévoit que le directeur des normes d’emploi peut, avec l’approbation du ministre du Travail, fixer le taux d’intérêt et le mode de calcul des intérêts pour l’application de la loifootnote 153 et décrire les cas dans lesquels de l’intérêt peut être exigible lorsqu’un ANE rend une ordonnance de versement provenant du directeur, lorsque la CRTO prononce, modifie ou confirme une ordonnance et lorsque de l’argent est payé à même le fonds en fiducie du Ministèrefootnote 154. Jusqu’à maintenant, le directeur n’a pas déterminé ces modalités. Il s’ensuit qu’aucun intérêt n’est exigible aux termes de la LNE dans tout cas relativement auquel la loi mentionne de l’intérêt.

Il arrive rarement qu’une poursuite soit déposée aux termes de la Partie III. Lorsqu’une telle poursuite est entreprise, c’est habituellement pour un manquement à l’obligation de se conformer à une ordonnance de versement.

5.7.2 Mesures de conformité volontaire

L’approche de conformité volontaire devrait être privilégiée dans les cas de non-conformité non intentionnelle, surtout lorsque l’employeur est disposé à adopter des mesures tangibles pour corriger la situation actuelle de non-conformité et éliminer les risques de non-conformité à venir. Comme l’a affirmé le professeur Banks :

Cette approche peut être efficace puisqu’elle réserve les mesures punitives les plus onéreuses pour les cas dans lesquels les approches de conformité moins dispendieuses se sont révélées inefficaces. Elle peut améliorer l’efficacité en faisant appel, parfois sous la menace implicite de sanctions, à la coopération d’entreprises réglementées dans des interactions moins accusatoires. Dans le contexte des normes du travail, la volonté d’adopter une attitude moins accusatoire peut également améliorer la perception de la légitimité des normes du travail parmi les employeurs étant éventuellement disposés à la conformitéfootnote 155 […]

Des sanctions appropriées doivent être disponibles et utilisées dans les cas de violation volontaire ou pour les contrevenants récidivistes.

5.7.3 Engagements exécutoires

Conformément à l’objectif d’obtenir une conformité volontaire, le Programme des normes d’emploi compte parmi ses outils d’application de la loi la délivrance d’ordonnances de conformité. Une ordonnance de conformité exige de l’employeur qu’il adopte des mesures pour favoriser la conformité. Elle n’inclut pas les ordonnances de versement de salaires dus en conséquence d’une non-conformité.

Parmi les outils visant à favoriser la conformité, certains territoires prévoient le recours à des engagements exécutoires. Le professeur Banks décrit ces mesures comme : « une entente imposée entre un organisme de réglementation et un contrevenant présumé, qui établit un certain nombre de promesses ou d’engagements visant à corriger des contraventions passées et à encourager la conformité à l’avenirfootnote 156 », et souligne le succès que connaît l’approche en Australie. En Australie, ces mesures sont juridiquement contraignantes et constituent une entente exécutoire. Le FWO décrit l’engagement exécutoire comme une entente passée avec un organisme de réglementation et conçue pour « régler un problème et s’assurer qu’il ne survient pas à nouveau » après qu’une enquête ou une inspection a révélé une non-conformité, et dans laquelle l’employeur s’engage à régler volontairement le problème. Dans de telles ententes, l’employeur accepte également d’adopter des mesures préventives pour l’avenir.

De telles ententes comprennent habituellement :

  1. l’identité des cadres de l’employeur responsables de gérer les opérations, y compris la conformité à la loi;
  2. un récapitulatif de la situation de non-conformité et une reconnaissance par l’employeur que la loi n’a pas été respectée;
  3. un récapitulatif des salaires dus et un état des paiements;
  4. un engagement par l’employeur de prendre certaines mesures pour remédier à la violation (par exemple, rétablir un paiement qui était insuffisant, présenter des excuses, imprimer un avis public);
  5. un accord de l’employeur de se plier à une vérification de la conformité ou à une série de vérifications;
  6. un engagement à offrir de la formation (par un formateur approuvé) en lien avec la conformité pour les personnes ayant des responsabilités de gestion dans des fonctions de ressources humaines, d’embauche et de rémunération;
  7. un engagement par l’employeur de prendre des mesures pour assurer la conformité future (par exemple, en menant des vérifications internes régulières, en faisant à l’avenir rapport au FWO);
  8. une disposition prévoyant que le FWO peut s’appuyer sur les aveux offerts dans toute cause subséquente impliquant une non-conformité, y compris des procédures d’application en lien avec une non-conformité alléguée à l’engagement.

Si le FWO décide qu’un engagement exécutoire est approprié, le bureau du FWO prépare alors une ébauche d’entente. L’employeur peut offrir ses commentaires et se prévaloir de conseils juridiques indépendants avant de signer l’entente.

Le recours à des engagements exécutoires vise à susciter l’engagement de l’employeur envers une conformité sur une base coopérative, sans avoir recours à des sanctions et de façon à éviter les procédures juridiques. De tels engagements peuvent combiner les avantages d’une approche de conformité volontaire – permettant d’éviter les frais potentiels des procédures légales associées aux sanctions – à la possibilité de s’appuyer sur la coopération de l’employeur dans de futures initiatives de conformité.

Selon les documents de recherche fournis, l’expérience australienne démontre que les engagements exécutoires représentent un « outil précieux et efficace à la disposition de l’organisme de réglementation ». La recherche indique que les engagements exécutoires, en plus d’être non punitifs, présentent plusieurs avantages là où ils sont mis en œuvre. D’abord, comme il est mentionné plus haut, ils suscitent l’engagement de l’employeur envers une conformité continue et durable, sur une base coopérative. Ils sont conçus pour favoriser un changement culturel. De plus, les engagements exécutoires sont faits sur mesure pour chaque entreprise et industrie et s’y adaptent. Banks cite une étudefootnote 157 qui conclut : « En somme, les engagements exécutoires présentent bon nombre d’avantages clairs par rapport aux poursuites : ils sont généralement plus rapides, moins onéreux et plus sûrs. De plus, ces avantages ne sont pas nécessairement obtenus aux dépens de résultats sur le plan de la dissuasion, de la réhabilitation ou de la réparationfootnote 158. »

Toutefois, des sanctions plus graves sont nécessaires dans les cas de non-conformité intentionnelle et répétitive.

Recommandations :

  1. La Loi de 2000 sur les normes d’emploi devrait être modifiée afin que le ministère du Travail et un employeur puissent conclure un engagement exécutoire de façon volontaire.
  2. Les engagements exécutoires devraient être appliqués par la Commission des relations de travail de l’Ontario.

5.7.4 L’approche actuelle aux sanctions et les changements proposés

La réponse actuellement privilégiée par le Ministère dans le cas de violations pour lesquelles des sanctions sont imposées est la délivrance d’un constat d’infraction, entraînant, dans le cas d’une condamnation, l’imposition d’une amende d’un montant total de 360 $ (295 $, plus les frais supplémentaires et les frais de cour). La pratique actuelle de délivrance de constats d’infraction a été résumée par le professeur Banks de la façon suivante :

Lorsque des sanctions sont imposées, la politique du Ministère privilégie apparemment la délivrance de constats d’infraction à la suite d’avis de contravention, qui entraînent potentiellement des conséquences financières plus importantes. La pénalité [signalée par l’avis de contravention] pour une première contravention (en dehors des dispositions touchant les affiches et les dossiers) est de 250 $, multipliés par le nombre d’employés touchés. Il est possible que le coût de l’indemnisation et de l’amende soit pour un employeur, une fois pondéré par le risque de détection, souvent moins élevé que l’argent économisé dans une situation de non-conformité. Si c’est le cas, et bien que les constats d’infraction puissent servir de rappel dans le cas d’employeurs portés à adopter des mesures de conformité volontaire, il est difficile de voir comment de telles mesures pourraient dissuader les employeurs que des considérations financières de ce genre ne disposent pas à la conformité. Les données examinées ci-dessus laissent voir qu’il est probable que de nombreux, voire tous les cas de non-conformité intentionnelle découleront d’employeurs confrontés à des éléments incitatifs les poussant à la non-conformitéfootnote 159 .

En résumé, comme d’autres critiques, Banks laisse entendre que pour certains employeurs, le montant de l’amende est simplement considéré comme un coût lié aux affaires et qu’il ne suffit pas à prévenir les manquements futurs à la conformité. La question est de savoir si le système actuel – en pratique – a un effet dissuasif suffisant pour décourager la non-conformité intentionnelle et répétée. De plus, étant donné que des « constats d’infraction » aux termes de la Partie I de la Loi sur les infractions provinciales (LIP) pourront encore être donnés, la question se pose de savoir si le montant de l’amende actuellement établi par l’annexe de la LIP pour des violations de la LNE est suffisant. À notre avis, le montant minimum payable pour un plaidoyer ou une condamnation en vertu de la Partie I devrait être augmenté pour souligner l’importance de se conformer à la loi et pour faire en sorte que le montant payable soit plus qu’un coût lié aux affaires.

Jusqu’à tout récemment, les avis de contravention ont été utilisés avec modération, mais le Ministère a commencé à les utiliser plus souvent. Comme il est indiqué précédemment, le montant de l’amende varie selon le nombre d’employés touchés par la violation, puis le montant double et redouble si une seconde ou une troisième contravention est donnée dans une période de trois ans. Ainsi, le montant de l’amende peut être plus élevé s’il y a de nombreux employés touchés et de multiples contraventions. Les amendes n’ont pas augmenté depuis 2001, alors que le taux d’inflation a augmenté de 35 % environ au cours de la même période.

Nous sommes d’avis que, bien que le Ministère puisse déposer des poursuites aux termes de la Partie III (ce qui se fait rarement), ces poursuites ne constituent pas la meilleure façon de s’occuper de récidivistes ou de contrevenants qui agissent délibérément. Les constats d’infraction produits aux termes de la Partie I de la Loi sur les infractions provinciales ne suffisent pas dans la plupart des cas à avoir un effet dissuasif sur l’employeur inculpé ou sur d’autres employeurs qui pourraient autrement avoir été motivés à changer d’idée sur l’importance d’être conforme.

Dans le rapport intérimaire, une discussion a eu lieu à savoir si la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) devait avoir le pouvoir d’imposer, au besoin, des sanctions administratives pécuniaires aux employeurs non conformes en plus d’autres pouvoirs de redressement, p.ex., le pouvoir de rendre des ordonnances afin d’indemniser des employés lorsqu’il a été démontré que des violations ont eu lieu et de rendre des ordonnances de conformité de manière prospective.

D’autres tribunaux ont le pouvoir légal d’imposer des sanctions administratives pécuniaires. Si, de l’avis de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, une telle mesure sert l’intérêt public, ladite Commission peut, si une personne ou une entreprise n’a pas respecté le droit ontarien des valeurs mobilières, rendre une ordonnance enjoignant à la personne ou à l’entreprise de payer une sanction administrative d’au plus un million de dollars pour chaque manquement (point 9 du paragraphe 127(1) de la Loi sur les valeurs mobilières). La Commission des valeurs mobilières a aussi compétence, dans les cas appropriés et après avoir tenu une audience, pour ordonner à une partie intimée d’assumer le coût de l’enquête et les coûts engagés par la Commission aux fins de l’audience. De plus, la Loi sur les valeurs mobilières prévoit que le revenu tiré de l’exercice d’un pouvoir conféré ou d’une obligation imposée à la Commission ne doit pas être versé dans le Trésor, mais qu’il peut être utilisé à diverses fins, dont les suivantes : la Commission peut s’en servir pour éduquer les investisseurs ou pour favoriser ou enrichir autrement les connaissances des personnes et les renseignements dont elles disposent en ce qui concerne le fonctionnement du secteur des valeurs mobilières et des marchés financiers.

DansRowan c. Commission des valeurs mobilières de l’Ontariofootnote 160, la Cour d’appel de l’Ontario a affirmé que :

Les sanctions ont presque certainement un effet dissuasif lorsqu’elles atteignent un million de dollars, mais cela ne leur donne pas un caractère punitif pour autant. Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans Cartaway Resources Corp. (Re)., 2004 CSC 26, [2004] 1 R.C.S. 672, lors de l’exercice de leur mandat de réglementation et de prévention, les commissions des valeurs mobilières provinciales peuvent légitimement prendre en considération l’effet dissuasif lors de l’imposition d’une sanction pécuniaire. Se prononçant pour la Cour, Le Bel J. a affirmé, au paragraphe 60, qu’« il est raisonnable de considérer qu’il s’agit d’un facteur pertinent, voire nécessaire, dans l’établissement d’ordonnances de nature à la fois protectrice et préventivefootnote 161. »

Dans Rowan, la Cour d’appel de l’Ontario souscrit à l’affirmation suivante de la Commission des valeurs mobilières :

Afin de réaliser l’objectif réglementaire légitime consistant à dissuader les autres de se conduire de manière illégale, la Commission doit pouvoir décerner des sanctions proportionnelles. La sanction administrative constitue une confirmation juridique appropriée de la nécessité d’imposer des pénalités dont le montant dépasse « les coûts engagés pour exploiter l’entreprise ». Dans le contexte de la réglementation actuelle sur les valeurs mobilières et des marchés de capitaux, une sanction administrative de 1 000 000 $ n’est pas, de prime abord, punitivefootnote 162.

Avoir des sanctions administratives dissuasives qui ne sont pas punitives constitue un objectif réglementaire légitime. Le ministère du Travail a la responsabilité de s’efforcer de créer un milieu de travail pour l’ensemble de la population ontarienne active où la conformité est la norme et la non-conformité, l’exception. Malheureusement, tel que le conclut une autre partie de ce rapport, la non-conformité à la LNE touche des milliers d’Ontariens et constitue un grave problème de société et dans les milieux de travail.

La CRTO est un tribunal spécialisé avec une expertise en matière d’interprétation, d’application et d’administration de la LNE. Il s’agit d’un tribunal avec un intérêt et un engagement continus dans la conformité et l’application de la LNE. Si la CRTO se voyait accorder un plus grand pouvoir pour imposer des sanctions pécuniaires importantes, ces sanctions, imposées dans les cas appropriés, auraient un effet dissuasif marqué sur tous les employeurs et établiraient une pénalité qui pourrait s’appliquer à un employeur fautif en particulier. La CRTO établirait également une jurisprudence sur les normes d’emploi plus large, qui aurait une valeur éducative et jurisprudentielle. Habiliter la CRTO à imposer des sanctions pécuniaires produirait peut-être l’effet souhaité, mais pourrait aussi, comme la Commission des valeurs mobilières l’a dit, constituer « une confirmation juridique appropriée de la nécessité d’imposer des pénalités dont le montant dépasse les coûts engagés pour exploiter l’entreprise. »

À notre avis, l’imposition d’une sanction administrative pécuniaire devrait être le résultat d’une intervention de l’état réalisée dans l’intérêt du public, et amorcée directement par le ministère du Travail ou par le ministère du Procureur général à l’encontre d’un ou de plusieurs intimés désignés. À cette fin, il faudra nommer un agent désigné de la Couronne pour qu’il agisse à titre de directeur de l’application de la loi, personne dotée de la responsabilité particulière d’établir le moment du lancement des procédures dans lesquelles une sanction administrative pécuniaire est demandée et de prendre en charge le dossier à titre de demandeur. Si un directeur de l’application de la loi se voyait accorder le pouvoir de renvoyer des cas directement à la CRTO, il pourrait choisir de lancer des procédures lorsque, après avoir reçu l’avis du directeur des normes d’emploi, il détermine qu’il servirait l’intérêt du public en obtenant un résultat qui refléterait davantage la gravité de l’infraction présumée, ce qui pourrait être le cas lorsque, p.ex., après la tenue d’une enquête :

  • il appert qu’il y a des motifs raisonnables et probables de croire que de graves représailles ont eu lieu;
  • dans les cas où de multiples violations ont été révélées dans le cadre d’une enquête menée par un ANE ou d’une inspection ou d’une vérification;
  • lorsque l’employeur a été reconnu coupable d’avoir déjà enfreint la LNE à quelques reprises;
  • dans les cas de violations volontaires.

Dans les cas où le directeur de l’application de la loi amorce ou prend charge de procédures demandant l’imposition d’une sanction administrative pécuniaire, en lieu et place d’un règlement pour les plaignants ou les employés dont les droits ont été lésés, l’intimé serait mis au courant non seulement des détails concernant les violations alléguées, mais aussi du montant de la sanction administrative demandée par le directeur. Lors de toute audience, le fardeau de la preuve reviendrait au Ministère.

Le processus actuel est axé sur les plaintes et il met en cause deux parties, pour l’essentiel,
 à savoir le plaignant et un intimé (soit l’employeur, soit un administrateur d’entreprise). Hormis certaines exceptions, les parties sont donc en mesure de résoudre leur propre litige. La conclusion d’un règlement concernant un ou plusieurs employés ne devrait pas empêcher le directeur de traiter un cas et de le renvoyer à la CRTO dans le but d’obtenir une sanction administrative pécuniaire ou une indemnité pour les employés n’ayant pas conclu de règlement et à l’égard desquels aucune plainte n’a été déposée; il pourrait, p.ex., demander une indemnité pour d’autres personnes si des violations sont révélées dans le cadre d’une inspection ou d’une enquête relative à une réclamation individuelle. Dans le cadre d’une procédure tenue devant la CRTO où le directeur de l’application de la loi décide de traiter ou de déposer une plainte et demander une sanction pécuniaire, l’employé demandeur n’a pas la responsabilité de préparer le dossier relatif au cas ou de soumettre ce cas à une audience devant la CRTO.

Un processus de plainte amorcé par le directeur de l’application de la loi ne devrait pas impliquer que le directeur et l’employeur ne pourraient pas s’entendre sur un règlement quant à la question du recours pour les personnes touchées et de la sanction administrative, sous réserve de l’approbation de la CRTO pour ce qui est de cette sanction. Le directeur sera en meilleure position pour juger des forces et des faiblesses d’un dossier, pour évaluer comment mieux servir l’intérêt public et pour tenir compte des positions et des droits des employés touchés, autant de choses que le directeur de l’application de la loi prendra forcément en considération avant de décider de régler le dossier ou non et d’établir les conditions, le cas échéant, de ce règlement. On présumerait – en principe – que l’avocat qui agit au nom du directeur de l’application de la loi s’assurera que les employés reçoivent les sommes dues en fonction de l’application et de l’interprétation correcte de la LNE.

Habiliter la CRTO à imposer des sanctions pécuniaires pour violation des lois sur les normes d’emploi aura pour effet non seulement de mettre en relief les objectifs d’intérêt public en matière de conformité, mais aussi de dissuader les parties intimées et d’autres parties de se livrer dans le futur à des comportements proscrits par la LNE.

Recommandations :

  1. L’annexe 4.2 du Règlement de l’Ontario 950 pris en application de la Loi sur les infractions provinciales fixe actuellement à 295 $ les amendes en cas d’infraction de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi. L’annexe 4.2 devrait être modifiée afin de fixer l’amende pour une poursuite aux termes de la Partie 1 en vertu de la Loi sur les infractions provinciales à 1 000 $ pour les violations précisées à la Loi de 2000 sur les normes d’emploi.
  2. Les pénalités pour les avis de contravention, qui sont de 250 $/500 $/1 000 $, devraient être haussées à 350 $/700 $/1 500 $, respectivement.
  3. La Commission des relations de travail de l’Ontario devrait avoir le pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniaires pouvant aller jusqu’à 100 000 $ l’infraction et le pouvoir d’ordonner à un intimé ayant perdu sa cause de rembourser les coûts de l’enquête.
  4. La Commission des relations de travail de l’Ontario devrait avoir les mêmes pouvoirs de réparation qu’un agent des normes d’emploi pour rendre des ordonnances afin d’indemniser des employés lorsqu’il a été démontré que des violations ont eu lieu, et de rendre des ordonnances de conformité de manière prospective.
  5. Le ministère du Procureur général ou le ministère du Travail devrait nommer un agent désigné de la Couronne pour qu’il agisse à titre de directeur de l’application de la loi, personne dotée de la responsabilité particulière d’établir le moment du lancement des procédures dans lesquelles une sanction administrative pécuniaire allant jusqu’à 100 000 $ l’infraction est demandée contre un intimé et de prendre en charge le dossier à titre de demandeur.

    Remarque : Cette recommandation de donner à la Commission des relations de travail de l’Ontario la compétence nécessaire pour imposer des sanctions administratives pécuniaires vise à remplacer le processus de poursuite en vertu de la Partie III de la Loi sur les infractions provinciales.

  6. Le directeur des normes d’emploi devrait établir les taux d’intérêt en vertu du paragraphe 88(5) de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi; ou
    La Loi de 2000 sur les normes d’emploi devrait être modifiée de manière à prévoir que lorsqu’un agent ou la Commission des relations de travail de l’Ontario rend une ordonnance, les plaignants reçoivent les intérêts avant et après l’ordonnance, calculés conformément à la Loi sur les tribunaux judiciaires.

5.8 Sécurité pour la rémunération des employés

Remarque : Nous remercions E. Patrick Shea, récipiendaire de la Médaille du Barreau, s.a., pour ses conseils sur cette question.

5.8.1 L’enjeu

L’enjeu avec lequel nous sommes aux prises ici est que la LNE ne possède aucun mécanisme efficace permettant de donner priorité aux créances dues aux employés pour leurs indemnités de vacances, leurs salaires et leurs indemnités de cessation d’emploi et de licenciement, et est ainsi à la traîne des autres provinces.

Dans le cas des indemnités de vacances, la LNE crée un privilège ou une charge sur les actifs de l’employeurfootnote 164 mais il n’y a rien dans la LNE ni dans la Loi sur les sûretés mobilièresfootnote 165 (LSM) qui donne à la charge une priorité relative sur les autres créanciers. Par conséquent, sa priorité par rapport aux autres repose sur le moment de sa naissance, et sur l’ordre chronologiquefootnote 166. Il n’existe aucune disposition équivalente pour récupérer des salaires ou des indemnités de cessation d’emploi et de licenciement.

La LNE crée également une fiducie réputée pour les indemnités de vacances footnote 167, mais il n’existe aucune disposition équivalente pour récupérer des salaires ou des indemnités de cessation d’emploi et de licenciement. Contrairement au privilège statutaire, la LSM prévoit une priorité relative pour la fiducie réputée qui a pris naissance aux termes de la LNE par rapport aux autres créanciers garantis, à condition qu’elle ait priorité sur la plupart des sûretés sur des inventaires et des comptesfootnote 168 . Cependant, les fiducies présumées n’ont pas été des mécanismes efficaces pour protéger les employés à qui des montants étaient dusfootnote 169. La Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI) contient des dispositions qui limitent l’efficacité des fiducies réputées accordées à la Couronnefootnote 170, et les tribunaux ont établi que les fiducies réputées ne sont pas efficaces pour exclure les biens réputés détenus en fiducie des biens du faillifootnote 171. Le concept de fiducie réputée a comme problème majeur l’absence d’une procédure efficace pour appliquer la fiducie. Les principes juridiques applicables à la fiducie en common law ne peuvent pas être facilement adaptés à la traditionnelle relation débiteur-créancier et la législation qui crée les fiducies ne fournit généralement pas de mécanismes d’application.

5.8.2 Autres provinces

Les lois sur les normes d’emploi des autres provinces offrent aux employés une protection plus étendue que le régime de la LNE et la LSM.footnote 172.

Colombie-Britannique

L’Employment Standards Actfootnote 173 (la « BCESA ») accorde une charge et un privilège prioritaire au directeur grevant tout bien d’un employeur pour récupérer la rémunération non payée aux employésfootnote 174 et pour la saisie d’actifs par le directeur afin d’acquitter les montants dus.footnote 175. La loi permet aussi la délivrance d’exigences de paiement afin de rediriger au directeur des fonds qui seraient autrement payés à l’employeurfootnote 176.

Alberta

L’Employment Standards Codefootnote 177 l'« AESC » crée une fiducie présumée pour l’ensemble de la rémunération des employés et une charge prioritaire afin de récupérer jusqu’à 7 500 $ de rémunération pour les employésfootnote 178.

Manitoba

Le Code des normes d’emploifootnote 179 (le Manitoba Employment Standards Code ou « MESC ») crée une fiducie présumée et une charge prioritaire pour récupérer jusqu’à 2 500 $ de rémunération pour les
employésfootnote 180.

Saskatchewan

La Saskatchewan Employment Actfootnote 181 (la « SEA ») crée une fiducie réputée et une charge prioritaire afin de garantir une créance pour des rémunérations d’employés.footnote 182 L'Enforcement of Money Judgments Actfootnote 183 de la Saskatchewan (l'« EMJA ») offre également aux employés qui obtiennent un jugement contre leur employeur une meilleure capacité à récupérer les montants qui leur sont dus par rapport à l’Ontario. L’EMJA accorde aux employés (et à d’autres) un créancier en vertu d’un jugement, avec une sûreté sur les actifs afin d’obtenir un jugement, et prévoit la nomination d’un séquestre pour récupérer les montants dus aux termes d’un jugementfootnote 184.

Nouvelle-Écosse

Le Labour Standards Code prévoit un privilège d’origine législative pour faire respecter les ordonnances de la Commissionfootnote 185.

5.8.3 L’incidence pratique de la faillite

Il est important de comprendre que'à cause de la primauté de la législation fédérale en matière de faillite, dans le contexte canadien, les privilèges statutaires créés par une législation provinciale dans le but de récupérer des rémunérations d’employés sont « abandonnés » lors d’une procédure d’insolvabilité officielle. Cependant, la Loi sur la faillite et l’insolvabilitéfootnote 186 (la « LFI »), et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagniesfootnote 187 prévoient le paiement des réclamations de rémunérations d’employé, jusqu’à un certain plafondfootnote 188. L’interaction entre les lois sur les normes d’emploi provinciales et les lois fédérales relatives à l’insolvabilité donne souvent lieu à l’amorce de faillites « stratégiques ». Un employeur ou un créancier garanti touché par l’effet d’une charge prioritaire accordée aux employés aux termes des normes d’emploi d’une législation provinciale peut, p.ex., entreprendre des procédures de faillite, et ainsi faire en sorte que cette charge prioritaire soit abandonnée et remplacée par une charge accordée aux employés et créée par la LFI. La décision d’entreprendre des procédures d’insolvabilité officielles ou non se fait au cas par cas, et repose principalement sur l’aspect économique de la situation. Dans certains cas, aucune procédure d’insolvabilité officielle ne sera entreprise et les employés pourront exercer les recours prévus par la LNEfootnote 189.

5.8.4 Protection fédérale pour les réclamations de rémunérations d’employé

Les lois fédérales relatives à l’insolvabilité prévoient une certaine protection pour les réclamations de rémunérations d’employé lors de procédures officielles, en vertu de la LFI et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. La Loi sur le Programme de protection des salariésfootnote 190 prévoit le paiement de certains montants aux employés dans les cas où ils sont congédiés immédiatement avant ou en raison de procédures en matière d’insolvabilité. La loi couvre les salaires, les indemnités de vacances et les indemnités de cessation d’emploi et de licenciement, mais un plafond est imposé sur le montant maximal qu’un employé peut récupérer.

5.8.5 Analyse

La loi actuelle vise à protéger les indemnités de vacances des autres créanciers, mais elle est inefficace, parce que la disposition concernant les fiducies réputées ne parvient pas adéquatement à offrir cette protection. De même, le privilège statutaire qui est créé aux termes de la LSM n’est pas traité en priorité et, en conséquence, sa priorité dépend du moment de sa naissance, par rapport aux autres créanciers. Cette situation se compare défavorablement à celle des provinces de l’Ouest, où toutes les rémunérations d’employés reçoivent une protection prioritaire, pas seulement les indemnités de vacances, et où les privilèges statutaires qui sont créés peuvent donner plus efficacement priorité aux réclamations d’employés sur les autres créanciers.

Une priorité établie par la loi a pour but d’avoir le même effet qu’une fiducie réputée – offrir le droit à un recours contre un bien afin d’obtenir le paiement d’une obligation. Elle ne sera pas plus efficace lors de procédures de faillite que les autres privilèges statutaires, mais elle offrira une protection meilleure et plus reconnue que les fiducies réputées pour les réclamations.

À notre avis, la politique en Ontario devrait être de protéger par la loi la rémunération des employés des autres créanciers dans la mesure du raisonnable, c’est-à-dire avec un plafond par employé. Sur le plan des politiques, il n’y a aucune raison de protéger uniquement les indemnités de vacances sans étendre cette protection aux autres rémunérations dues, y compris aux indemnités de licenciement et de cessation d’emploi. Puisque la disposition concernant les fiducies réputées est inefficace, elle devrait être remplacée par un privilège statutaire, pour lequel il devrait y avoir un mécanisme d’application efficace.

Comme pour un mécanisme d’application, le gouvernement devrait prévoir un privilège statutaire grevant un bien immeuble accordé à Sa Majesté afin de garantir des créances. Cela est utilisé dans la LFI et la Loi sur les sociétés coopératives (LSC) pour garantir des créances liées à des dossiers environnementauxfootnote 191. Dans tous les cas, des dispositions pourraient être ajoutées à la LSM ou à la LNE concernant l’application de la sécurité offerte pour garantir une créance pour des rémunérations d’employés. Les recours devraient être offerts au directeur, aux employés ou à un représentant des employés.

De plus, l’Ontario devrait examiner le mécanisme utilisé par la Saskatchewan accordant aux créanciers en vertu d’un jugement une sûreté sur les actifs afin d’obtenir un jugement, et prévoyant la nomination d’un séquestre pour récupérer les montants dus aux termes d’un jugement.

Recommandations :

  1. L’Ontario devrait abroger les dispositions de fiducie réputée et de privilège d’origine législative incluses dans la Loi de 2000 sur les normes d’emploi et la Loi sur les sûretés mobilières et les remplacer par des dispositions législatives qui :
    1. créent un privilège statutaire accordé au directeur des normes d’emploi grevant tout bien d’un employeur pour récupérer la rémunération non payée aux employés, jusqu’à concurrence de 10 000 $ par employé, un peu comme le privilège prévu à l’article 23 de la Loi sur la taxe de vente au détail, incluant les dispositions relatives à l’application de ce privilège de la même manière qu’une sûreté conventionnelle est appliquée dans le cadre de la législation concernant les sûretés mobilières;
    2. permettent au directeur des normes d’emploi d’obtenir une sûreté pour le paiement de la rémunération des employés, donnent au directeur le droit d’agir directement pour récupérer la rémunération non versée et confèrent au directeur la capacité d’obtenir une sûreté en vue du paiement de la rémunération des employés, comme les droits consentis aux paragraphes 37(1) et (2) de la Loi sur la taxe de vente au détail;
    3. prévoient que des recours soient disponibles pour le directeur des normes d’emploi ou pour les employés ou un représentant des employés si le directeur ne prend pas de mesures;
    4. éliminent l’obligation de déposer un certificat auprès d’un tribunal compétent (sauf dans le cas des ordonnances réciproques) et, à la place, rendent une ordonnance valable et exécutoire dès qu’elle a été rendue, un peu comme le prévoit l’article 18 de la Loi sur la taxe de vente au détail. Par contre, il serait préférable d’indiquer dans la législation que l’ordonnance du directeur des normes d’emploi est applicable tel que l’est un jugement et qu’aucun certificat n’est nécessaire, car une disposition semblable à l’article 18 de la Loi sur la taxe de vente au détail pourrait ne pas être suffisante pour donner à une ordonnance le poids d’un jugement. L’objectif serait de permettre l’application immédiate de l’ordonnance, comme un jugement du tribunal;
    5. confèrent la capacité d’annuler et de rendre de nouveau une ordonnance pour pouvoir y apporter des corrections sans avoir à annuler l’ordonnance initiale, p.ex., si un directeur nommé dans une ordonnance n’était en fait pas directeur au moment où les sommes étaient dues;
    6. confèrent au ministère des Finances le pouvoir d’exiger et de communiquer des renseignements aux fins de l’administration et de l’application de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi.

5.8.6 Responsabilités des administrateurs en matière de rémunération des employésfootnote 192

L’enjeu

Le problème, ici, est que la LNE et la Loi sur les sociétés par actionsfootnote 193 (la « LSAO ») sont inefficaces pour présenter la réclamation d’un employé contre les administrateurs pour des salaires et des indemnités de vacances impayés.

Responsabilités des administrateurs

La LNE et la LSAO imposent une responsabilité individuelle aux administrateurs de sociétés par actions pour les salaires et les indemnités de vacances impayésfootnote 194, mais pas pour les indemnités de cessation d’emploi ou de licenciementfootnote 195. La LNE et la LSAO contiennent tous deux des conditions devant être réunies pour que les administrateurs puissent être tenus responsables. En plus de créer une réclamation directe contre les administrateurs, la LNE comprend un mécanisme d’application administratif. Contrairement aux administrateurs, les dirigeants d’une personne morale ne peuvent être tenus individuellement responsables de la rémunération des employés en vertu de la LNE ou de la LSAO. La LNE ne prévoit pas de moyen de défense fondé sur la « diligence raisonnable » pour les administrateursfootnote 196. Les administrateurs peuvent être tenus individuellement responsables de rémunérations d’employés impayées, en dépit de toutes les mesures prises pour s’assurer que les employés ont été payés. La responsabilité imposée en vertu de la LNE peut être mise en application par un employé demandant un jugement lors d’une action contre les administrateurs ou au moyen du mécanisme d’application de la LNE. L’employé ne peut pas faire les deuxfootnote 197.

Responsabilités des actionnaires

Dans la LSAO, on envisage que les actionnaires puissent retirer l’obligation des administrateurs de superviser ou de s’occuper de la gestion des activités et des affaires de la société dans une convention unanime des actionnairesfootnote 198. Dans ces circonstances, la LNE et la LSAO prévoient que les actionnaires de la société peuvent être tenus individuellement responsables des salaires et des indemnités de vacancesfootnote 199. La LSAO envisage également que dans une situation où tous les administrateurs d’une société par actions ont démissionné ou ont été démis, les actionnaires qui interviennent pour s’occuper de la gestion des activités et des affaires peuvent être tenus responsables en tant qu’administrateursfootnote 200. Les dispositions de nature procédurale et de droit substantif de la LNE et de la LSAO en ce qui a trait à la responsabilité des administrateurs pour les rémunérations s’appliquent aux actionnaires lorsqu’ils peuvent être tenus responsables.

A. Loi de 2000 sur les normes d’emploi
i. Dispositions pertinentes

 En vertu de la LNE, un administrateur est responsable à l’égard du versement de jusqu’à six mois de salaire pour du travail effectué pour la société et de jusqu’à douze mois d’indemnités de vacances accumuléesfootnote 201 dans les cas où :

  1. l’employeur est insolvable, l’employé a fait déposer une réclamation de salaire impayé auprès du séquestre nommé par un tribunal à l’égard de l’employeur ou auprès du syndic de faillite de l’employeur et la réclamation n’a pas été réglée;
  2. un agent des normes d’emploi a pris une ordonnance portant que l’employeur est responsable du versement d’un salaire, à moins que le montant fixé dans l’ordonnance n’ait été versé ou que l’employeur n’ait demandé la révision de celle-ci;
  3. un agent des normes d’emploi a pris une ordonnance portant qu’un administrateur est responsable du versement d’un salaire, à moins que le montant fixé dans l’ordonnance n’ait été versé ou que l’employeur ou l’administrateur n’ait demandé la révision de celle-ci;
  4. la Commission a rendu, modifié ou confirmé une ordonnance en vertu de l’article 119, laquelle, tel qu’elle a été rendue, modifiée ou confirmée, exige que l’employeur ou les administrateurs versent un salaire et que le montant fixé dans celle-ci n’a pas été verséfootnote 202.

Une ordonnance de versement imposée en vertu de la LNE a le même effet qu’un jugement obtenu par un employé contre un administrateurfootnote 203. Dans les deux cas, afin de satisfaire à l’ordonnance, les actifs des administrateurs peuvent être saisis et les montants dus aux administrateurs peuvent faire l’objet d’une saisie-arrêt. Toutefois, en pratique, il est difficile de faire appliquer un jugement de nature pécuniaire en Ontario comparativement à la Saskatchewan, p.ex., où une nouvelle loi a considérablement renforcé les droits des créanciers en vertu d’un jugement, ainsi que le droit d’avoir une sûreté sur le montant du jugement et d’être en mesure de nommer un séquestrefootnote 204. Aucun de ces droits n’est offert en Ontariofootnote 205.

ii. Obstacles à l’efficacité

Le recours administratif prévu par la LNE concernant les administrateurs envisage un processus relativement simplifié, qui donne lieu à jugement contre les administrateurs sans qu’il soit nécessaire d’intenter une poursuite au civil conformément aux Règles de procédure civilefootnote 206. L’efficacité de cette procédure, toutefois, dépend d’une affectation suffisante de ressources du Ministère au processus. Certains pensent dans la communauté juridique que le Ministère n’affecte pas assez de ressources à l’exercice de recours contre des administrateurs, bien que la politique du Ministère soit de poursuivre les administrateurs dans tous les cas.

Les barrières à l’efficacité de la LNE comme recours direct pour les employés contre les administrateurs sont :

  1. l’exigence que des procédures d’insolvabilité officielles de type judiciaire aient été introduites à l’égard de l’employeur avant que les employés puissent poursuivre les administrateurs;
  2. l’exigence que l’employé dépose une preuve de réclamation et attende pour déterminer s’il y aura une répartition au cours des procédures d’insolvabilité avant que les employés puissent poursuivre les administrateurs;
  3. l’impossibilité pour un employé d’agir comme représentant de tous les employés lors d’une action contre des administrateurs pour des rémunérations non payées.

L’exigence que l’employeur déclare faillite ou fasse l’objet d’une mise sous séquestre ordonnée par un tribunal avant que les employés aient le droit de présenter des réclamations aux administrateurs pour des rémunérations non payées oblige dans les faits les employés à entreprendre des procédures de faillite, ou à attendre que l’employeur ou un autre créancier le fasse.

L’exigence qu’un employé dépose une preuve de réclamation dans le cadre d’une faillite ou d’une mise sous séquestre n’est pas, en soi, un obstacle important. Toutefois, bien qu’il y ait une procédure de réclamation d’origine législative lors de procédures de faillite, il n’existe aucune exigence légale selon laquelle un séquestre nommé en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires ou de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI ») doit mener un processus de réclamation, et par conséquent, un employé peut ne pas être en mesure de déposer une preuve de réclamation lors d’une mise sous séquestre.

L’exigence que la réclamation des employés dans le cadre de la faillite ou de la mise sous séquestre ne soit pas rémunérée limite l’efficacité du recours contre les administrateurs. Même dans le cas de procédures de réclamation, il peut se passer des mois, et même des années, avant qu’il soit déterminé si une répartition entre les créanciers non garantis aura lieu ou non.

De plus, la portée des procédures en matière d’insolvabilité indiquée dans la LNE est incomplète en ce qu’elle ne tient compte que des faillites et de la nomination d’un séquestre par le tribunal. La LNE ne prévoit pas la prise de mesures par un créancier garanti pour nommer un séquestre aux termes d’un contrat de sûreté visant la totalité, ou presque, des actifs d’un employeur. La LNE n’envisage également pas la possibilité que des procédures de réorganisation puissent être entreprises en vertu de la LFI ou de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, selon laquelle les réclamations des employés pour des rémunérations peuvent ne pas être entièrement réglées, et en vertu de laquelle le paiement de montants aux employés peut être considérablement retardé. La LFI et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies offrent toutes deux des protections aux employésfootnote 207, mais les dispositions pertinentes peuvent ne pas couvrir les montants totaux dus, et la récupération des montants dus aux employés lors des procédures de réorganisation peut prendre beaucoup de temps.

La LNE envisage la possibilité qu’une personne représente les intérêts de plusieurs parties avec un intérêt similaire ou identique devant la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO)footnote 208, mais pas qu’un seul employé représente l’intérêt de tous les employés lors de la poursuite d’administrateurs pour des rémunérations non payées.

B. Loi sur les sociétés par actions
i. Dispositions pertinentess

En vertu de la LSAO, les administrateurs de sociétés sont conjointement et individuellement responsables à l’égard du versement de jusqu’à six mois de salaire et de jusqu’à douze mois d’indemnités de vacances pour des services effectués pour la société pendant qu’ils étaient administrateurs, sifootnote 209 :

  1. à la suite d’une action en recouvrement de la créance contre la société, les actifs saisis ne satisfont pas au montant accordé par le jugement;
  2. la société fait l’objet d’une liquidation, d’une mise en liquidation ou de procédures de faillite et l’existence des dettes est prouvée dans chacun de ces cas.

La LSAO ne prévoit pas de moyen de défense fondé sur la « diligence raisonnable » pour les administrateurs. Les administrateurs peuvent être tenus individuellement responsables de rémunérations d’employés impayées, en dépit de toutes les mesures prises pour s’assurer que les employés aient été payés.

La LSAO ne prévoit pas de procédure administrative pour imposer les responsabilités des administrateurs. Un employé qui souhaite poursuivre un administrateur pour rémunération impayée doit entreprendre une procédure conformément aux Règles de procédure civile. Lorsqu’une procédure est entamée contre les administrateurs conformément aux Règles de procédure civile, il est alors interdit d’entreprendre des procédures d’application administratives en vertu de la LNEfootnote 210.

Obstacles à l’efficacité

Les obstacles à l’efficacité de la LSAO comme recours direct pour les employés contre les administrateurs sont :

  1. l’exigence que, en l’absence de procédure officielle de liquidation, un jugement soit obtenu contre l’organisme employeur comme condition préalable pour tenir les administrateurs personnellement responsables;
  2. l’impossibilité pour un employé d’agir comme représentant de tous les employés lors d’une action contre des administrateurs pour des rémunérations non payées;
  3. la liste des procédures en matière d’insolvabilité qui « entraînent » la responsabilité des administrateurs est incomplète.

Contrairement à la LNE, la LSAO exige seulement qu’une preuve de réclamation soit déposée par les employés lorsqu’une procédure officielle de liquidation contre un employeur est entamée. Cela ne crée pas d’obstacles déraisonnables ou de retards excessifs. Toutefois, la LSAO n’envisage pas la possibilité qu’un séquestre visant les actifs d’un employeur puisse être nommé par le tribunal ou par un contrat de sécurité et, comme c’est le cas pour la LNE, il y a une lacune dans la LSAO en ce qu’elle ne tient pas compte des procédures de réorganisation en vertu de la LFI et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Comme souligné précédemment, bien que la LFI et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies offrent une certaine protection aux employés lors de procédures de réorganisation, le risque existe que les employés n’obtiennent qu’une créance ordinaire lors d’une réorganisation.

Analyse

Une responsabilité personnelle est imposée aux administrateurs afin de s’assurer que les employés sont payés. Il devrait y avoir des recours efficaces permettant de garantir un paiement rapide de ce qui est dû. Les procédures et les exigences existantes créent des obstacles inutiles et coûteux, en temps et en argent, à l’obtention par les employés des salaires et des indemnités de vacances qui leur sont dus. Dans les cas où la responsabilité repose sur le fait que l’employeur est insolvable et n’est pas en mesure de payer (et il y a d’autres circonstances où il y a responsabilité sans insolvabilité officielle), il ne devrait pas être nécessaire d’entreprendre des procédures officielles avant que l’employé puisse prendre des mesures directes. Le fait que la rémunération des employés n’ait pas été payée devrait, en elle-même, servir de base aux employés pour entreprendre des procédures contre les administrateurs de l’organisme employeur. L’objectif devrait être des modifications qui offrent un moyen efficace d’obtenir le paiement de ces rémunérations, sans élargir davantage la responsabilité des administrateurs.

Lorsque les administrateurs paient les rémunérations dues, ils seraient subrogés dans les réclamations des employés contre la société, y compris pour toute réclamation des employés dans le cadre d’une faillite ou d’une mise sous séquestrefootnote 211. La LNE ne prévoit aucune exigence demandant que les recours contre la société soient épuisés avant de poursuivre les administrateurs pour rémunération non payéefootnote 212.

Il n’existe aucune raison, sur le plan des politiques, pour laquelle la capacité des employés à poursuivre les administrateurs pour rémunérations non payées en vertu de la LSAO devrait être limitée aux cas où l’employé a d’abord obtenu un jugement contre l’employeur. En fait, cet obstacle est injustifié compte tenu du coût très élevé des litiges et du fait que la LSAO n’envisage pas des recours collectifs au nom de tous les employés. Cette critique ne s’applique pas à la LNE.

Exiger des employés qu’ils obtiennent un jugement contre la société avant de poursuivre les administrateurs fait de ces derniers les « véritables » garants. La loi actuelle n’est pas cohérente avec les pratiques commerciales modernes où la plupart des garanties sont structurées comme des garanties à « principal débiteur », où il y a généralement recours contre le garant sans qu’il soit d’abord nécessaire pour le créancier de poursuivre le principal débiteurfootnote 213.

Comme pour l’exécution d’un jugement contre l’employeur en Ontario, il devrait être plus facile d’obtenir l’exécution d’un jugement contre des administrateurs. Il devrait être possible d’obtenir une sûreté sur le montant du jugement et d’être en mesure de nommer un séquestre.

Il y a incompatibilité entre la LNE et la LSAO en ce qui concerne l’accessibilité à un recours contre des administrateurs. Par exemple :

  1. dans le cas d’un employeur en faillite, la LNE exige qu’une preuve de réclamation soit déposée et qu’il n’y ait aucune répartition pour les employés, mais la LSAO exige seulement qu’une preuve de réclamation soit déposée;
  2. la LNE offre un redressement aux employés lorsqu’un séquestre visant les actifs de l’employeur est nommé par le tribunal, mais ce n’est pas le cas de la LSAO.

L’harmonisation de la LNE et de la LSAO aiderait les employés à comprendre les recours possibles contre les administrateurs, et les administrateurs à comprendre leurs responsabilités potentielles à l’égard de leurs employés.

En adoptant cette approche, l’efficacité des recours offerts par la LNE et la LSAO concernant la responsabilité personnelle serait améliorée, sans modifier la portée ou l’étendue de la responsabilité qui incombe aux administrateurs (et aux actionnaires). Ces modifications seraient plus efficientes et efficaces pour les employés sans exposer les administrateurs (ou les actionnaires) à des responsabilités supplémentaires ou accrues. Étant donné les difficultés inhérentes à l’exécution de jugements contre des sociétés, il est très important que les responsabilités existantes des administrateurs soient mises en vigueur. Nos recommandations à cet égard s’appuient simplement sur l’objet actuel de la loi et visent à apporter des modifications importantes à cette dernière pour la rendre efficace. Il sera toutefois important pour le Ministère d’accorder des ressources adéquates afin de poursuivre les administrateurs et de récupérer les montants dus.

Recommandations :

  1. Les dispositions de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi et de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario devraient être modifiées pour que les administrateurs d’une entreprise soient responsables de prévoir six mois de salaires et jusqu’à douze mois d’indemnités de vacances accumulées, et que pour qu’un employé puisse obtenir ces sommes, la seule condition à remplir soit celle de ne pas avoir reçu ces sommes de l’entreprisefootnote 214.
  2. Les dispositions de la Loi de 2000 sur les normes d’emploi et de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario devraient être cohérentes.
  3. Un représentant des employés devrait être en mesure d’entreprendre des procédures ou de déposer une réclamation contre les administrateurs au nom des employés.
  4. Le ministère du Travail devrait faire en sorte que les ressources adéquates soient accordées, ou continuent de l’être, et servent à récupérer auprès des administrateurs les sommes non payées et dues à un employé par une entreprise.

Notes en bas de page